Jupiter veut nous faire taire : vive la censure démocratique.
Jacques-Marie BOURGET
En
1981 l'avènement du "socialisme" façon Mitterrand (par ailleurs
guillotineur en Algérie), a installé dans la presse et l'édition une
"modernité", un "consensus", qui a petit à petit éradiqué toute liberté,
toute audace. Ce suicide de presse, puisqu'elle est morte même si elle
bouge encore, est le triomphe de l'idéologie dite des "Nouveaux
Philosophes", avatars des analyses erronées de Furet et Foucault. La
presse a mis la tête sur le billot. Aujourd'hui elle applaudit le
censeur Macron . Ollé.
Bienheureux
que nous sommes, nous voici face à une nouvelle version du Jupiter : le
Jupi-taire. Un dieu propre à faire taire, à étouffer, bâillonner. Le
concept de censure démocratique est né. Ouf, on y arrive, le monde du
silence approche. Le moment où les « pas contents » devront choisir
entre se taire ou aller en prison, couverts d’amendes amères. Comme le
fait remarquer Patrick Weil (vrai militant des Droits de l’Homme et
professeur à Yale) la différence entre Sarkozy et Macron est que le
premier annonçait avec fracas des choses horribles -qu’il n’appliquait
jamais- alors que le second proclame du doucereux pour mettre
immédiatement en œuvre de l’épouvantable. Le roi nous prie donc, en
attendant mieux, d’accepter la censure d’Internet. Avatar symbolique du
rétrécissement progressif du champ de la liberté. Vous avez cru entendre
le mot Résistance ? Rêvez encore : la censure est là pour le bien de
l’homme. Ce sont les médias eux-mêmes, depuis 1981 et l’avènement de
Dieu Premier, qui ont rendu les armes face à la pensée juste. La crise
économique de la presse, -conséquence de la fabrique de mensonges- et le
regroupement des journalistes derrière la oumma des bien-pensants, ont
creusé leur tombe et celle des libertés. Ce qui fait une économie de
croque-mort.
Un lecteur vétilleux, précautionneux, de ceux qui ne montent à vélo qu’équipés d’une trousse de secours, me dira : « Comment peut-on désapprouver une mesure qui veut bannir le mensonge et la diffamation d’Internet ? ». J’applaudis et précise qu’en France la loi de 1881 -et suivantes ayant le même objet- permettent de traquer la diffamation et le mensonge. L’incrimination de « propagation de fausses nouvelles » n’a pas été abolie. Le tout, en précisant que cette fameuse loi de 1881, qui, soi-disant, définit la liberté de la presse, est au départ un texte scélérat voté pour en limiter l’exercice ; et criminaliser certains propos favorables à la Commune de Paris... Peu importe. Même ce texte approuvé par la droite au XIXe siècle, suffit à poursuivre menteurs et manipulateurs. Tous les apprentis sorciers. Le voici : « La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros.
Les mêmes faits seront punis de 135 000 euros d’amende, lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction faite de mauvaise foi sera de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l’effort de guerre de la Nation. » Que faire de plus ? Affûter la guillotine ? Quand Internet a propagé des « fakes » en forme d’ordures du genre « La France donne à chaque migrant une Carte Bleue bien garnie »... ou encore « En France les vieux payent la télé alors que les gens emprisonnés l’ont gratuitement », pour donner des exemples ordinaires de mensonges forgés dans les ateliers de l’extrême droite, avez-vous vu un procureur poursuivre ces incendiaires ? La fausse nouvelle n’est grave que si elle frôle un homme politique, pire un Président. Comme un outil existe pour évaluer l’importance d’un tremblement de terre, c’est « l’échelle de Richter », un instrument comparable permet de mesurer la considération que porte Emmanuel Macron à la liberté de la presse, c’est « l’échelle Delahousse ». Un président qui tolère ou encourage une séance de flagornerie comparable à celle mise en scène par France 2 -lors d’un entretien à l’Elysée le 17 décembre 2017- ne peut avoir que mépris pour les médias et ses « fonctionnaires ».
La question est donc : pourquoi le président français attaque-t-il la liberté d’Internet alors que l’outil répressif existe ? La réponse est simple. C’est pour rejoindre le flux de tous les néo-libéraux et néo-conservateurs de la planète. Ceux qui estiment que laisser vivre à sa guise un web qu’ils ne maîtrisent pas est un très grand danger pour leur gouvernance. Une menace mortelle pour leur doctrine, l’asservissement par la finance mondialisée et néocoloniale. Les journaux eux-mêmes, petit à petit dépossédés de leur magistère par Internet, ont tout de suite milité pour que tout « site d’information » ne puisse exister « sans être adossé à un « grand média » »... Aux Etats-Unis, le New York Time en tête, nous avons assisté à de telles croisades de limitation du Net. Le tout est resté sans grand effet jusqu’au mois dernier où les géants américains, industriels du web, ont annoncé une restriction progressive de l’accès aux réseaux performants pour tout candidat qui ne soit pas un partenaire puissant ou « convenable ». Voilà où veulent en venir Macron et ses alliés : nous faire taire. Je dis « nous » puisque le débat, l’information plurielle sont devenues impossible en France et que le seul moyen de mettre à jour des sources et des points de vue différents c’est Internet. Tant pis si ce tuyau à deux conduits véhicule les meilleures nouvelles du monde, mais aussi des tonnes d’ordures. Comme devant la poubelle jaune et la poubelle verte, nous assez sommes assez adultes pour affronter le tri sélectif.
Ne soyons pas injustes envers Jupiter, il a bénéficié, comme on le dit en matière d’artillerie, d’une très forte « préparation ». C’est la presse subventionnée par des crédits d’Etat, c’est-à-dire tout, ou presque, ce qu’exposent les kiosques, qui, depuis des années, de docilité en compromission, a poussé le wagon vers l’abîme. C’est elle qui a conçu, financé l’avènement de journaux asexués tous clones de la « bien pensance », des pages dans lesquelles on pouvait lire sans une virgule de doute « Saddam Hussein a des armes de destruction massives » avec schémas à la clé. La doctrine de BHL a triomphé, agissant sur les rebelles comme un agent orange sur la jungle du Vietnam. L’engeance, celle des « nouveaux philosophes » (portée sur les fonds-baptismaux par François Furet avec pichenette de Michel Foucault), a réussi à imposer son néo-catéchisme : toute pensée non tamponnée « Atlantique » ne doit être ni exprimée ni survivre. De bons disciples comme Perdriel, Mougeote, Plenel, Joffrin, Giesbert, Minc, Barbier et leur bouffon Ménard ont veillé à ne jamais offenser Washington. Et la presse française est devenue une feuille d’avis de l’OTAN. Hélas pour eux, cette lecture ne rassemble pas des centaines de milliers de curieux. Ainsi Plenel, celui du Monde en 1999, a compté « 700 000 morts au Kosovo » ( pour un bilan officiel et final 2500) et publié en scoop les détails d’un plan serbe, dit « Fer à Cheval » qui prévoyait la déportation des albanais... Manque de flair, ce « Plan » était un faux bricolé par les services secrets allemands ! Voilà donc des « fakes » avant la mode. Et les « fakes » sont têtus.
Au passage, pour vous faire observer que la maladie de presse est ancienne, je me permets de relater une expérience personnelle. Au début du mois d’aout 1985, en publiant dans « VSD », un hebdomadaire populaire, un article de deux pages chapeauté du titre « La DGSE a fait couler le Rainbow Warrior », je croyais par ces lignes, avoir fait avancer la « vérité ». Et appeler un chat un chat : c’est-à-dire Mitterrand un assassin (un photographe est mort lors du sabotage du bateau avalisé par le Président). A défaut de recevoir une symbolique médaille je m’attendais à ce que mes découvertes éveillent l’attention de mes confrères... Bernique. Hormis Michel Polac, le magnifique trublion, personne n’a bronché. Mieux, Claude Angeli, alors chef du Canard Enchainé, est venu faire le flic de presse : « Toi il faut que tu te calmes ! ». Ah bon ? Et, SVP facteur, de qui vient le message ? Le message venait de « Dieu Premier ».
Cette foi nouvelle dans les vertus d’une presse couchée a été facilitée, aussi, par l’idéologie qui noie les « écoles de journalisme », et par le statut social des étudiants ici recrutés. Croisant un jour place de la Bourse un ancien confrère, devenu prof au Centre de Formation des Journalistes, je lui pose une question : « Enseignez-vous le doute ? »... et entendu sa réponse désabusée : « Non rien que des certitudes ». La pensée unique, née dans le bouillon Kub des idées de Furet, issue aussi des « droits de l’homme » tripotés par le BHLisme, s’enseigne désormais dans ces écoles. Institutions onéreuses pour tout étudiant, ce qui implique une sélection de classe. Pour l’essentiel, les nouveaux journalistes sont donc des fils d’archevêque ; peu inquiets du sort du monde.
Dernier paillasson tendu sous les pieds de Macron et de la censure d’Internet, tous ces sites autoproclamés chasseurs de « Fakes news ». A défaut de s’acheter un miroir et de s’y mirer, Le Monde et Libération se sont constitués en meute pour désigner comme « fake » ou « complot » tout ce qui nuit à la ligne générale dessinée par Niel ou Drahi. Ces innocents ignorent que le concept de « complotisme » a été inventé par la CIA comme outil capable de discréditer tout interlocuteur trop bien informé. Reste dans le canon fumant de ces drôles de censeurs la cartouche de l’antisémitisme, écrire que Netanyahou perd ses cheveux peut vous conduire au pilori. Vous êtes socialement mort.
Dans la battue contre la liberté sur Internet, comme dans les polars, on trouve enfin des « privés ». Des types qui s’ennuyant d’être « rien » -comme le dirait Macron- et qui montent leur propre stand de tir. Dénonçant sur Internet et au doigt mouillé des innocents. Leur but ? Exister, participer à l’honorable festin de la pensée juste pour -rêve d’un jour- être invités aux côtés de Sifaoui sur le plateau des « experts » de BFM.
Il est fort Deloire, il devrait faire journaliste ! Bizarre, quand Patrick Drahi a lancé « i24 News » une télévision en français qui entend officiellement « montrer le vrai visage d’Israël », Deloire s’est tu. Sans doute enroué ? Et rechute en laryngite contre CNN ou Fox News, qui, même en anglais, diffusent pas mal de bêtises ?
Avez-vous entendu Deloire protester contre la disparition de « Afrique Asie », un mensuel spécialisé dans l’actualité internationale, un journal d’une qualité rare ? Non. Il devait être en RTT. Ce journal historique, fondé par Simon Malley, a été le compagnon de lutte de tous les mouvements de décolonisation de la planète. Ce n’est pas rien. Comme par hasard l’Etat français a commandé un interminable contrôle fiscal contre « Afrique Asie », enquête ridicule au sein d’un journal militant. Mais qui s’est achevée par une amende de 150 000 euros. Majed Nehme, le directeur-héros de cette aventure, a donc été obligé de fermer ce journal exemplaire. Voilà les dernières nouvelles du monde libre, où les français ne parlent plus aux français.
En guise de travaux pratiques je livre à nos lecteurs l’expérience vécue par la grande et courageuse historienne Annie Lacroix-Riz. Au prétexte qu’elle est l’une des seules à s’opposer à la cohorte placée sous la férule de Stéphane Courtois, un communiste très repenti qui passe ses heures à expier son passé, et qui est devenu le guide suprême en matière de marche arrière historique, Lacroix-Riz, avec son sac à vérités, est devenu l’ennemi numéro 1. Comme la dame est imbattable, tant elle est documentée, face à elle il faut fuir ou annuler tout débat. D’autant que la spécialité de l’historienne est brûlante : la collaboration sous toutes ses formes, liens entre nazis et Vatican, construction de l’Europe sous la dictée américaine... Elle a même découvert que, pendant la période nazie, le Zyklon B avait été, pour partie, produit dans des usines françaises...
Un jour c’est France 2 qui la convoque pour évoquer André Bettencourt, un homme trop actif sous Vichy. L’historienne racle ses fonds, prend de son temps et répond aux questions du documentariste. Quelques heures avant la diffusion du « sujet » elle reçoit un SMS : « Désolé, mais faute de place votre témoignage a été coupé ». Ah ça alors c’est vrai, la lutte des places est un phénomène connu !
En 2016 c’est une certaine Juliette Dubois qui, sur RMC TV, se passionne pour une tranche d’histoire « 1939-1945 la face cachée du Vatican ». Lacroix-Riz est incontournable, elle est ici assise dans son jardin. La naïve historienne sort ses archives les plus explosives et attend le passage de la questionneuse... qui, comme Godot, ne viendra jamais. Le dernier acte de censure est aussi lié à ce documentaire de RMC, un conte de fée qui donne la part belle aux hommes de Dieu. Cette fois, le film étant diffusé par la RTBF la télé belge, Lacroix-Riz est convoquée à Bruxelles « pour un débat ». On lui envoie des billets de train...Et, magie habituelle, sans que les TGV de Guillaume Pépy y soient pour quelque chose, l’historienne qui dérange ne se dérange pas : elle est décommandée. Si je mets en avant l’exemple de Lacroix-Riz c’est que la dame, même sans le relais des médias officiels, a une certaine capacité d’alerter un petit réseau. Mais quid des inconnus, des isolés, qui se font moucher dès qu’ils évoquent des sujets touchant à la « contre pensée ». Quid d’un chercheur qui n’embouche pas, pour ses travaux, la bonne trompette, l’écrivain qui n’écrit pas les bons livres ?
Voilà un état des lieux. C’est le mien et vous direz qu’il n’a pas de valeur universelle, rien de « scientifique ». C’est juste le résultat de 50 ans d’expérience dans la presse et l’édition, un demi-siècle à voir de près bouger le monde, et se faire la guerre plus que la paix. Un demi-siècle de mensonges, de presse ou d’Etat, vécus sur le champ. Que dire de plus ? La liberté, valeur sans partage avait un goût, il est devenu light, comme le Coca.
Jacques-Marie BOURGET
PS. « Je déteste ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez continuer à écrire » (Voltaire).
https://www.legrandsoir.info/jupiter-veut-nous-faire-taire-vive-la-censure-democratique.html
• Le choix de Marianne : les relations franco-américaines de 1944 à 1948, Paris, Éditions Sociales, 1985, puis 1986, 222 p.
• Les Protectorats d’Afrique du Nord entre la France et Washington du débarquement à l’indépendance 1942-1956, Paris, L’Harmattan, 1988, 262 p.
• L’économie suédoise entre l’Est et l’Ouest 1944-1949 : neutralité et embargo, de la guerre au Pacte Atlantique, L’Harmattan, 1991, 311 p.
• Le Vatican, l’Europe et le Reich de la Première Guerre mondiale à la Guerre Froide (1914-1955), Paris, Armand Colin
• Industrialisation et sociétés (1880-1970). L’Allemagne, Paris, Ellipses, 1997, 128 p.
• Industriels et banquiers français sous l’Occupation : la collaboration économique avec le Reich et Vichy, Paris, Armand Colin, coll. « Références » Histoire, 1999, 661 p. puis 2007.
• L’Histoire contemporaine sous influence, Paris, Le Temps des cerises, 2004, 145 p., puis, 2e édition (1er, 120 p.), 2010.
• Le choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930, Paris, Armand Colin, 2009, 2e éd. (1re éd. 2006), 679 p.
• L’intégration européenne de la France : La tutelle de l’Allemagne et des États-Unis, Paris, Pantin, Le Temps des cerises, 2007, 108 p.
• De Munich à Vichy : l’assassinat de la Troisième République, 1938-1940, Paris, Armand Colin, 2008, VIII-408 p.
• L’Histoire contemporaine toujours sous influence, Pantin, Le Temps des cerises, 2012, 263 p.
• Aux origines du carcan européen (1900–1960) : la France sous influence allemande et américaine, Pantin, Delga / Le Temps des cerises, 2014, 197 p.
• Les élites françaises entre 1940 et 1944 : de la collaboration avec l’Allemagne à l’alliance américaine, Paris, Armand Colin, 2016, 496 p.
Un lecteur vétilleux, précautionneux, de ceux qui ne montent à vélo qu’équipés d’une trousse de secours, me dira : « Comment peut-on désapprouver une mesure qui veut bannir le mensonge et la diffamation d’Internet ? ». J’applaudis et précise qu’en France la loi de 1881 -et suivantes ayant le même objet- permettent de traquer la diffamation et le mensonge. L’incrimination de « propagation de fausses nouvelles » n’a pas été abolie. Le tout, en précisant que cette fameuse loi de 1881, qui, soi-disant, définit la liberté de la presse, est au départ un texte scélérat voté pour en limiter l’exercice ; et criminaliser certains propos favorables à la Commune de Paris... Peu importe. Même ce texte approuvé par la droite au XIXe siècle, suffit à poursuivre menteurs et manipulateurs. Tous les apprentis sorciers. Le voici : « La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler, sera punie d’une amende de 45 000 euros.
Les mêmes faits seront punis de 135 000 euros d’amende, lorsque la publication, la diffusion ou la reproduction faite de mauvaise foi sera de nature à ébranler la discipline ou le moral des armées ou à entraver l’effort de guerre de la Nation. » Que faire de plus ? Affûter la guillotine ? Quand Internet a propagé des « fakes » en forme d’ordures du genre « La France donne à chaque migrant une Carte Bleue bien garnie »... ou encore « En France les vieux payent la télé alors que les gens emprisonnés l’ont gratuitement », pour donner des exemples ordinaires de mensonges forgés dans les ateliers de l’extrême droite, avez-vous vu un procureur poursuivre ces incendiaires ? La fausse nouvelle n’est grave que si elle frôle un homme politique, pire un Président. Comme un outil existe pour évaluer l’importance d’un tremblement de terre, c’est « l’échelle de Richter », un instrument comparable permet de mesurer la considération que porte Emmanuel Macron à la liberté de la presse, c’est « l’échelle Delahousse ». Un président qui tolère ou encourage une séance de flagornerie comparable à celle mise en scène par France 2 -lors d’un entretien à l’Elysée le 17 décembre 2017- ne peut avoir que mépris pour les médias et ses « fonctionnaires ».
La question est donc : pourquoi le président français attaque-t-il la liberté d’Internet alors que l’outil répressif existe ? La réponse est simple. C’est pour rejoindre le flux de tous les néo-libéraux et néo-conservateurs de la planète. Ceux qui estiment que laisser vivre à sa guise un web qu’ils ne maîtrisent pas est un très grand danger pour leur gouvernance. Une menace mortelle pour leur doctrine, l’asservissement par la finance mondialisée et néocoloniale. Les journaux eux-mêmes, petit à petit dépossédés de leur magistère par Internet, ont tout de suite milité pour que tout « site d’information » ne puisse exister « sans être adossé à un « grand média » »... Aux Etats-Unis, le New York Time en tête, nous avons assisté à de telles croisades de limitation du Net. Le tout est resté sans grand effet jusqu’au mois dernier où les géants américains, industriels du web, ont annoncé une restriction progressive de l’accès aux réseaux performants pour tout candidat qui ne soit pas un partenaire puissant ou « convenable ». Voilà où veulent en venir Macron et ses alliés : nous faire taire. Je dis « nous » puisque le débat, l’information plurielle sont devenues impossible en France et que le seul moyen de mettre à jour des sources et des points de vue différents c’est Internet. Tant pis si ce tuyau à deux conduits véhicule les meilleures nouvelles du monde, mais aussi des tonnes d’ordures. Comme devant la poubelle jaune et la poubelle verte, nous assez sommes assez adultes pour affronter le tri sélectif.
Ne soyons pas injustes envers Jupiter, il a bénéficié, comme on le dit en matière d’artillerie, d’une très forte « préparation ». C’est la presse subventionnée par des crédits d’Etat, c’est-à-dire tout, ou presque, ce qu’exposent les kiosques, qui, depuis des années, de docilité en compromission, a poussé le wagon vers l’abîme. C’est elle qui a conçu, financé l’avènement de journaux asexués tous clones de la « bien pensance », des pages dans lesquelles on pouvait lire sans une virgule de doute « Saddam Hussein a des armes de destruction massives » avec schémas à la clé. La doctrine de BHL a triomphé, agissant sur les rebelles comme un agent orange sur la jungle du Vietnam. L’engeance, celle des « nouveaux philosophes » (portée sur les fonds-baptismaux par François Furet avec pichenette de Michel Foucault), a réussi à imposer son néo-catéchisme : toute pensée non tamponnée « Atlantique » ne doit être ni exprimée ni survivre. De bons disciples comme Perdriel, Mougeote, Plenel, Joffrin, Giesbert, Minc, Barbier et leur bouffon Ménard ont veillé à ne jamais offenser Washington. Et la presse française est devenue une feuille d’avis de l’OTAN. Hélas pour eux, cette lecture ne rassemble pas des centaines de milliers de curieux. Ainsi Plenel, celui du Monde en 1999, a compté « 700 000 morts au Kosovo » ( pour un bilan officiel et final 2500) et publié en scoop les détails d’un plan serbe, dit « Fer à Cheval » qui prévoyait la déportation des albanais... Manque de flair, ce « Plan » était un faux bricolé par les services secrets allemands ! Voilà donc des « fakes » avant la mode. Et les « fakes » sont têtus.
Au passage, pour vous faire observer que la maladie de presse est ancienne, je me permets de relater une expérience personnelle. Au début du mois d’aout 1985, en publiant dans « VSD », un hebdomadaire populaire, un article de deux pages chapeauté du titre « La DGSE a fait couler le Rainbow Warrior », je croyais par ces lignes, avoir fait avancer la « vérité ». Et appeler un chat un chat : c’est-à-dire Mitterrand un assassin (un photographe est mort lors du sabotage du bateau avalisé par le Président). A défaut de recevoir une symbolique médaille je m’attendais à ce que mes découvertes éveillent l’attention de mes confrères... Bernique. Hormis Michel Polac, le magnifique trublion, personne n’a bronché. Mieux, Claude Angeli, alors chef du Canard Enchainé, est venu faire le flic de presse : « Toi il faut que tu te calmes ! ». Ah bon ? Et, SVP facteur, de qui vient le message ? Le message venait de « Dieu Premier ».
Cette foi nouvelle dans les vertus d’une presse couchée a été facilitée, aussi, par l’idéologie qui noie les « écoles de journalisme », et par le statut social des étudiants ici recrutés. Croisant un jour place de la Bourse un ancien confrère, devenu prof au Centre de Formation des Journalistes, je lui pose une question : « Enseignez-vous le doute ? »... et entendu sa réponse désabusée : « Non rien que des certitudes ». La pensée unique, née dans le bouillon Kub des idées de Furet, issue aussi des « droits de l’homme » tripotés par le BHLisme, s’enseigne désormais dans ces écoles. Institutions onéreuses pour tout étudiant, ce qui implique une sélection de classe. Pour l’essentiel, les nouveaux journalistes sont donc des fils d’archevêque ; peu inquiets du sort du monde.
Dernier paillasson tendu sous les pieds de Macron et de la censure d’Internet, tous ces sites autoproclamés chasseurs de « Fakes news ». A défaut de s’acheter un miroir et de s’y mirer, Le Monde et Libération se sont constitués en meute pour désigner comme « fake » ou « complot » tout ce qui nuit à la ligne générale dessinée par Niel ou Drahi. Ces innocents ignorent que le concept de « complotisme » a été inventé par la CIA comme outil capable de discréditer tout interlocuteur trop bien informé. Reste dans le canon fumant de ces drôles de censeurs la cartouche de l’antisémitisme, écrire que Netanyahou perd ses cheveux peut vous conduire au pilori. Vous êtes socialement mort.
Dans la battue contre la liberté sur Internet, comme dans les polars, on trouve enfin des « privés ». Des types qui s’ennuyant d’être « rien » -comme le dirait Macron- et qui montent leur propre stand de tir. Dénonçant sur Internet et au doigt mouillé des innocents. Leur but ? Exister, participer à l’honorable festin de la pensée juste pour -rêve d’un jour- être invités aux côtés de Sifaoui sur le plateau des « experts » de BFM.
- Aujourd’hui la nouvelle censure démocratique ne s’exerce pas seulement au pied du mur, c’est-à-dire en refusant l’édition de textes ou d’images jugées inacceptables pour la pensée dominante, elle réussit l’exploit d’un grand bond en arrière en nous renvoyant à Richelieu. Oui, à la « censure préalable », le filtre de l’imprimatur qui évite tout malentendu. N’étant pas gardien du phare des libertés, je n’ai pas en main le décompte des réunions, conférences et autres propositions de débats annulées en France sous la pression du politiquement correct. Depuis 2012, et le début de la guerre en Syrie, il est impossible au pays de Voltaire, de rassembler dans une salle ouverte au public des hommes et des femmes s’exprimant sur cette guerre. Dès l’annonce d’un tel colloque les menaces tombent et les organisateurs apeurés, honteux, annulent le rendez-vous. Dans une salle de l’Assemblée Nationale il a été possible au Front National de réunir la fleur des groupes anti-avortement, mais impossible de trouver un auditorium pour exposer la situation syrienne et la politique étrangère de la France. Que le forum soit « partisan » n’est pas une excuse à la censure dans un pays de libre parole. L’interdiction de ces débats-là vaut aussi pour ceux qui concernent l’Ukraine et mieux encore pour la Palestine. Evoquer ce pays martyrisé c’est additionner les salles de réunion refusées, les intervenants décommandés. Si besoin est, les censeurs s’abritent derrière la menace de « troubles l’ordre public ». Comme si « l’ordre public » était une excuse au mensonge.
-
Plus caché, feutré mais aussi corrosif a été, en 1994, l’interdit
d’édition qui a frappé le colossal historien et philosophe anglais Éric
Hobsbawm avec son livre « L’Age des Extrêmes ». Ce bouquin essentiel a
été traduit en bantou alors que pas un éditeur tricolore ne s’est
aventuré à mettre ce texte en librairie. L’interdit, non-dit et
non-écrit donc tacite, avait été édicté par la clique Rosanvallon et
Nora, petits maîtres à penser agissant comme des veaux sous leur mère,
en l’occurrence François Furet. Pas question qu’un penseur, obstinément
marxiste, ouvre sa gueule. Pour lire ce bouquin il a été nécessaire que
l’équipe du Monde Diplomatique se joigne à un éditeur belge. C’est vous
dire si le libre propos est un sport de combat !
L’exception française, doncarie BOURGET l’esprit de censure, a contaminé la Suisse. Guy Mettan, co-fondateur de la version helvétique de Reporters Sans Frontières (RSF) est un mort vivant depuis qu’il a eu l’idée d’instaurer un débat sur le rôle joué en Syrie par les « Casques Blancs »... C’est Christophe Deloire, le Ménard après Robert, de RSF qui a pulvérisé Mettan. Pour Deloire il n’est pas question de débattre de l’action de ces magnifiques sauveteurs couverts de lauriers par Hollywood, les intervenants ne lui conviennent pas. Pauvre Deloire qui, il y a quelques mois, faisait la retape auprès du dictateur gabonais Bongo. Son but ? Que ce dernier finance un « forum » organisé de concert avec Libération. Résumons ! Nous avons RSF, un machin matricé par l’ultra facho Ménard, qui intervient en tant qu’organisation de journalistes pour réclamer la censure. Après cela étonnez-vous que la presse meure !
Il est fort Deloire, il devrait faire journaliste ! Bizarre, quand Patrick Drahi a lancé « i24 News » une télévision en français qui entend officiellement « montrer le vrai visage d’Israël », Deloire s’est tu. Sans doute enroué ? Et rechute en laryngite contre CNN ou Fox News, qui, même en anglais, diffusent pas mal de bêtises ?
Avez-vous entendu Deloire protester contre la disparition de « Afrique Asie », un mensuel spécialisé dans l’actualité internationale, un journal d’une qualité rare ? Non. Il devait être en RTT. Ce journal historique, fondé par Simon Malley, a été le compagnon de lutte de tous les mouvements de décolonisation de la planète. Ce n’est pas rien. Comme par hasard l’Etat français a commandé un interminable contrôle fiscal contre « Afrique Asie », enquête ridicule au sein d’un journal militant. Mais qui s’est achevée par une amende de 150 000 euros. Majed Nehme, le directeur-héros de cette aventure, a donc été obligé de fermer ce journal exemplaire. Voilà les dernières nouvelles du monde libre, où les français ne parlent plus aux français.
En guise de travaux pratiques je livre à nos lecteurs l’expérience vécue par la grande et courageuse historienne Annie Lacroix-Riz. Au prétexte qu’elle est l’une des seules à s’opposer à la cohorte placée sous la férule de Stéphane Courtois, un communiste très repenti qui passe ses heures à expier son passé, et qui est devenu le guide suprême en matière de marche arrière historique, Lacroix-Riz, avec son sac à vérités, est devenu l’ennemi numéro 1. Comme la dame est imbattable, tant elle est documentée, face à elle il faut fuir ou annuler tout débat. D’autant que la spécialité de l’historienne est brûlante : la collaboration sous toutes ses formes, liens entre nazis et Vatican, construction de l’Europe sous la dictée américaine... Elle a même découvert que, pendant la période nazie, le Zyklon B avait été, pour partie, produit dans des usines françaises...
Un jour c’est France 2 qui la convoque pour évoquer André Bettencourt, un homme trop actif sous Vichy. L’historienne racle ses fonds, prend de son temps et répond aux questions du documentariste. Quelques heures avant la diffusion du « sujet » elle reçoit un SMS : « Désolé, mais faute de place votre témoignage a été coupé ». Ah ça alors c’est vrai, la lutte des places est un phénomène connu !
En 2016 c’est une certaine Juliette Dubois qui, sur RMC TV, se passionne pour une tranche d’histoire « 1939-1945 la face cachée du Vatican ». Lacroix-Riz est incontournable, elle est ici assise dans son jardin. La naïve historienne sort ses archives les plus explosives et attend le passage de la questionneuse... qui, comme Godot, ne viendra jamais. Le dernier acte de censure est aussi lié à ce documentaire de RMC, un conte de fée qui donne la part belle aux hommes de Dieu. Cette fois, le film étant diffusé par la RTBF la télé belge, Lacroix-Riz est convoquée à Bruxelles « pour un débat ». On lui envoie des billets de train...Et, magie habituelle, sans que les TGV de Guillaume Pépy y soient pour quelque chose, l’historienne qui dérange ne se dérange pas : elle est décommandée. Si je mets en avant l’exemple de Lacroix-Riz c’est que la dame, même sans le relais des médias officiels, a une certaine capacité d’alerter un petit réseau. Mais quid des inconnus, des isolés, qui se font moucher dès qu’ils évoquent des sujets touchant à la « contre pensée ». Quid d’un chercheur qui n’embouche pas, pour ses travaux, la bonne trompette, l’écrivain qui n’écrit pas les bons livres ?
Voilà un état des lieux. C’est le mien et vous direz qu’il n’a pas de valeur universelle, rien de « scientifique ». C’est juste le résultat de 50 ans d’expérience dans la presse et l’édition, un demi-siècle à voir de près bouger le monde, et se faire la guerre plus que la paix. Un demi-siècle de mensonges, de presse ou d’Etat, vécus sur le champ. Que dire de plus ? La liberté, valeur sans partage avait un goût, il est devenu light, comme le Coca.
Jacques-Marie BOURGET
PS. « Je déteste ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez continuer à écrire » (Voltaire).
https://www.legrandsoir.info/jupiter-veut-nous-faire-taire-vive-la-censure-democratique.html
Listes de publications d’Annie Lacroix-Riz :
• La CGT de la Libération à la scission (1944-1947), Paris, Éditions Sociales, 1983, 400 p.• Le choix de Marianne : les relations franco-américaines de 1944 à 1948, Paris, Éditions Sociales, 1985, puis 1986, 222 p.
• Les Protectorats d’Afrique du Nord entre la France et Washington du débarquement à l’indépendance 1942-1956, Paris, L’Harmattan, 1988, 262 p.
• L’économie suédoise entre l’Est et l’Ouest 1944-1949 : neutralité et embargo, de la guerre au Pacte Atlantique, L’Harmattan, 1991, 311 p.
• Le Vatican, l’Europe et le Reich de la Première Guerre mondiale à la Guerre Froide (1914-1955), Paris, Armand Colin
• Industrialisation et sociétés (1880-1970). L’Allemagne, Paris, Ellipses, 1997, 128 p.
• Industriels et banquiers français sous l’Occupation : la collaboration économique avec le Reich et Vichy, Paris, Armand Colin, coll. « Références » Histoire, 1999, 661 p. puis 2007.
• L’Histoire contemporaine sous influence, Paris, Le Temps des cerises, 2004, 145 p., puis, 2e édition (1er, 120 p.), 2010.
• Le choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930, Paris, Armand Colin, 2009, 2e éd. (1re éd. 2006), 679 p.
• L’intégration européenne de la France : La tutelle de l’Allemagne et des États-Unis, Paris, Pantin, Le Temps des cerises, 2007, 108 p.
• De Munich à Vichy : l’assassinat de la Troisième République, 1938-1940, Paris, Armand Colin, 2008, VIII-408 p.
• L’Histoire contemporaine toujours sous influence, Pantin, Le Temps des cerises, 2012, 263 p.
• Aux origines du carcan européen (1900–1960) : la France sous influence allemande et américaine, Pantin, Delga / Le Temps des cerises, 2014, 197 p.
• Les élites françaises entre 1940 et 1944 : de la collaboration avec l’Allemagne à l’alliance américaine, Paris, Armand Colin, 2016, 496 p.
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