vendredi 29 décembre 2023

Sujet du Merc. 03 Janvier 2024 : POURQUOI ARISTOTE CRITIQUAIT IL PLATON ?

 

POURQUOI ARISTOTE CRITIQUAIT IL PLATON ? 

Aristote (-384-322 de notre ère) , élève de Platon (-428  -348 de notre ère) , représente comme son maître un des plus important philosophe métaphysicien de l’histoire de la philosophie. Toutefois d’importants points de divergence séparent les deux auteurs essentiellement sur l’approche de la nature de la réalité, de la connaissance et de l’être.

Pour Platon, le monde sensible que nous percevons avec nos sens est changeant, éphémère et imparfait. Ce que nous voyons, touchons ou entendons dans le monde physique n'est qu'une copie imparfaite des Formes éternelles et immuables.

Les Formes, en revanche, représentent la véritable réalité. Elles sont éternelles, immuables et parfaites. Par exemple, alors que nous pouvons voir de nombreux objets ronds dans le monde physique, ils ne sont que des manifestations imparfaites de la Forme parfaite et éternelle de la rondeur.
Les formes existent indépendamment du monde sensible. Alors que les objets que nous percevons dans le monde physique sont changeants, imparfaits et éphémères, les Formes sont stables, parfaites et immuables.

Les objets du monde sensible, tels que les tables, les arbres ou les chevaux, ne sont que des manifestations imparfaites et changeantes des Formes éternelles. Par exemple, tous les chevaux que nous voyons dans le monde physique ne sont que des copies imparfaites de la Forme éternelle et parfaite du cheval.

Fonction des Formes :

Les Formes servent de modèles ou d'archétypes pour les choses que nous observons dans le monde sensible. Elles sont la cause de l'existence et de la nature des objets du monde sensible. C'est grâce à la participation (ou imitation) des objets du monde sensible aux Formes qu'ils acquièrent leur réalité et leur caractère.
Platon pensait aussi que la connaissance véritable ne peut être atteinte que par la raison et l'intellect, et non par les sens. Puisque les Formes représentent la véritable réalité, la connaissance des Formes est la connaissance la plus élevée et la plus pure.

Par conséquent, pour Platon, la philosophie est une quête de la connaissance des Formes. Le monde sensible, bien que réel dans un sens, n'offre que des opinions ou des croyances (doxa). Seule la connaissance des Formes peut fournir une véritable sagesse.

 Cette théorie des Formes influence également la conception platonicienne de l'éthique. Platon croyait que la vertu et le bien étaient liés à la connaissance des Formes. Par exemple, la vertu est une forme de connaissance, et le vice est une forme d'ignorance.

 En cherchant à connaître les Formes, notamment la Forme du Bien, un individu peut atteindre la vertu et mener une vie juste et équilibrée.

En conséquence, dans la philosophie de Platon, l'ontologie (étude de l'existence) est étroitement liée à sa théorie des Formes. Les Formes sont des entités ontologiques distinctes et séparées des objets du monde sensible. Elles existent indépendamment des choses particulières et sont la cause de leur existence et de leur nature.

 En somme, la théorie des Formes de Platon offre une perspective métaphysique, épistémologique et éthique sur la nature de la réalité, la connaissance et la conduite morale. Elle souligne l'importance de la raison, de la contemplation et de la quête de la vérité pour parvenir à une compréhension plus profonde de la réalité ultime.


Platon croyait en une réalité supérieure, accessible par la raison et non par les sens. Pour lui, la connaissance véritable est la connaissance des Formes, et le philosophe aspire à cette connaissance pour comprendre la réalité ultime.

« Le monde est le résultat de l'action combinée de la nécessité et de l'intelligence. L'intelligence prit le dessus sur la nécessité, en la persuadant de produire la plupart des choses de la manière la plus parfaite ; la nécessité céda aux sages conseils de l'intelligence ; et c'est ainsi que cet univers fut constitué dans le principe (Platon, Timée, 48 a.) »

Plus de trois siècles avant le christianisme on retrouve dans ces conceptions les fondements de la métaphysique religieuse qui va jouer un rôle si néfaste sur l’avancée des connaissances scientifiques.

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Contrairement à Platon, qui accordait une priorité à la raison pure et à la connaissance des Formes, Aristote valorisait l'observation empirique et l'expérience sensorielle comme moyens d'acquérir des connaissances sur le monde.

Pour Aristote, la connaissance commence avec les sens, et la raison s'appuie sur ces données sensorielles pour comprendre la réalité.

En conséquence pour Aristote, la réalité est une combinaison de forme et de matière, et les Formes existent dans les choses mêmes plutôt que dans un monde séparé. Pour lui, la réalité est accessible par l'expérience et l'étude du monde naturel.

Aristote avait une vision plus téléologique (étude, doctrine, des causes finales, de la finalité de la nature, croyant que tout dans la nature avait une fin ou un objectif intrinsèque. Cette perspective est reflétée dans sa notion de "cause finale". Ainsi, distingue-t-il dans sa « Métaphysique », quatre causes dans la formation des choses :
la cause matérielle (matière de la chose),
la cause formelle (essence de la chose, eidos),
la cause efficiente (force motrice, kinèsis)
et la cause finale (ce en vue de quoi la chose est faite, telos).


Dans le premier chapitre des « Parties des animaux », il fait de la cause finale la première des causes. Sa vision est donc téléologique. Elle est appuyée par une conception de la nécessité.

Platon comme Aristote, s’opposent, chacun avec leurs spécificités (mais leurs convergences idéologiques) aux penseurs matérialistes et atomistes (comme Démocrite) de leur époque pour lesquels tout dans l'univers était composé d'atomes - des particules indivisibles et éternelles, formant ainsi la matière et les objets que nous observons.

 Pour ces philosophes, il n'y avait pas de finalité ou de but ultime dans la nature. Les mouvements et les interactions des atomes étaient le résultat de causes et d'effets mécanistes, sans intervention divine ou finalité.

L’arrivée du christianisme, puis les traductions très orientées qui se développèrent au XIIème siècle, dans les trois religions monothéistes, menèrent directement à l’édification d‘une doctrine : le thomisme qui figea pour des siècles la pensée occidentale sur les plans scientifiques et philosophiques.
Il fallut attendre  Pierre de la Ramée (1515-1572) qui déclara dans sa thèse : « quaecumque ab Aristotele dicta essent commentitia esse », « tout ce qu’a dit Aristote n’est que fausseté », pour qu’une brèche critique apparaisse. Elle ne cessa de s’ouvrir grâce aux travaux de Galilée, de la Réforme Protestante…

samedi 23 décembre 2023

Sujet du Mercredi 27 Déc. 2023 : L’idée de nature chez Sade nous aide-t-elle à comprendre Spinoza ?

 

L’idée de nature chez Sade nous aide-t-elle à comprendre Spinoza ?

« Nourris-toi sans cesse des grands principes de Spinoza, de Vanini, de l'auteur du Système de la nature, nous les étudierons, nous les analyserons ensemble, je t'ai promis de profondes discussions sur ce sujet, je te tiendrai parole, nous nous remplirons toutes deux l'esprit de ces sages principes ». Sade, Œuvres, Pléiade 1998, p. 195. – Première leçon de philosophie de Mme Delbéne à Juliette.

 

Sade a-t-il lu Spinoza ? Qu’est ce qui lui fait penser qu’en ce qui concerne la notion de Nature (qui est sous-jacente dans toute l’œuvre de Sade) il serait un élève de Spinoza ?

 

Il est vrai que chez ces deux auteurs la nature est l’instance qui permet d’expliquer le réel. « Deus sive natura » : dieu c’est à dire la nature, dira Spinoza. La nature est la cause première et absolue de tout ; rien n'échappe à ses lois et rien ni personne de supérieur à elle n'oriente celles-ci selon un dessein préétabli. D'emblée, on comprend que le concept de nature, matrice de tout, implique que toutes choses sont des manifestations de cet être immense et unique qui englobe la multiplicité du réel. Il en dérive donc immédiatement une forme de panthéisme, selon lequel, pour utiliser le vocabulaire de Spinoza, Dieu ou la nature est l'unique substance, dont les êtres particuliers que nous sommes et dont nous sommes entourés sont les manifestations multiples, les « affections » ou « modes » singuliers. 

La diversité de ces attributs et modes ne compromet en rien l'unité substantielle du tout : tous soumis à la même loi, nous sommes tous en réalité des êtres entièrement naturels, où la culture et la morale sont des « natures » artificielles et toujours secondaires, toujours acquises par-dessus notre fond, unique et commun.

 

« Cette chose est dite libre qui existe par la seule nécessité de sa nature et est déterminée par soi seule à agir ; cette chose est dite nécessaire ou plutôt contrainte qui est déterminée par une autre à exister et à produire quelque effet dans une condition certaine et déterminée » Spinoza, Court Traité.

 

Sade, quant à lui, répète à de multiples reprises combien la nature est un tissu de lois nécessaires auxquelles nul être n'échappe, et combien la liberté est un concept vain si l'on croit par-là mentionner une liberté de choix :  « Si l'on voulait bien se persuader que ce système de la liberté est une chimère, et que nous sommes poussés à tout ce que nous faisons, par une force plus puissante que nous ; si l'on voulait être convaincu que tout est utile dans le monde, et que le crime dont on se repent est devenu aussi nécessaire à la nature, que la guerre, la peste ou la famine, dont elle désole périodiquement les empires, infiniment plus tranquilles sur toutes les actions de notre vie, nous ne concevrions même pas le remords, et ma chère Juliette ne me dirait pas que j'ai tort de mettre sur le compte de la nature, ce qui ne doit être que sur celui de ma dépravation " Sade, Leçon de Clairwill à Juliette.

 

                  Un autre élément consubstantiel à la nature semble aussi se retrouver chez Spinoza et Sade. Chez Sade comme chez Spinoza, tout être se définit en premier (et en dernier) lieu par le désir qui le constitue et qui le pousse à déployer son existence dans les limites de son naturel propre. Mais la vision spinoziste et sadienne s’écarte sur un point et non des moindres : celui de la conception de l’homme.

 

Dans les termes de Spinoza, ce désir, appelé conatus, constitue un effort, une tension, un élan pour persévérer dans son être propre, et il est absolument universel. « Il en découle une identité de nature de l'homme avec les autres êtres, « lesquels sont tous animés, bien qu'à des degrés divers » (Ethique 2, Prop. 13) au sens de tous tenir leur essence de cette nature qui est puissance et qui se manifeste en eux par le désir de persévérer dans l'être ».       
 

Pour Spinoza l'homme bénéficie d'une supériorité sur tous les animaux du fait de sa complexion corporelle plus grande et plus diversifiée qu'eux, laquelle lui permet, à lui et à lui seul, de parvenir à la raison

 

Pour Sade il en est tout autrement : 

« Quoi, cette qualité divine [l'immortalité], disons mieux, cette qualité impossible à la matière, pourrait appartenir à cet animal, que l'on appelle un homme. Celui qui boit, mange, se perpétue comme les bêtes, qui n'a pour tout bienfait qu'un instinct un peu plus raffiné, pourrait prétendre à un sort si différent, que celui de ces mêmes bêtes ; cela peut-il s'admettre une minute ? », « Ah ! Si le malheureux a quelque avantage sur les animaux, combien ceux-ci n'en ont-ils pas à leur tour sur lui ? 

À quel plus grand nombre d'infirmités et de maladies n'est-il pas sujet ? De quelle plus grande quantité de passions n'est-il pas victime ? Tout combiné, a-t-il donc bien réellement quelque avantage de plus ? Et ce peu d'avantage peut-il lui donner assez d'orgueil, pour croire qu'il doive éternellement survivre à ses frères ? » Sade : Clairwil à Juliette.

 

Cette assimilation à l’animalité chez Sade et cette volonté d’humanité chez Spinoza se révèle au travers de l’œuvre de Sade dans le circuit infernal de l'approfondissement toujours plus grand de la cruauté pour combler le désir insatiable qui caractérise ses personnages : un processus d'asservissement volontaire au lieu d'une libération conduisant à aimer le monde dans un détachement de ses contingences, par la paix intérieure. 

Une fuite en avant de plus en plus destructrice et, Spinoza dirait, destructrice de soi-même en premier lieu.


Mais Sade n'y voit qu'un renforcement de tout l'être, corps et esprit, amenant au façonnement d'un naturel plus puissant. A n’importe quel prix. Au prix de tous les crimes.

 

Pour Spinoza au contraire : « seule assurément une farouche et triste superstition interdit de prendre des plaisirs (...). Il est donc d'un homme sage d'user des choses et d'y prendre plaisir autant qu'on le peut (sans aller jusqu'au dégoût, ce qui n'est plus prendre plaisir). Il est d'un homme sage, dis-je, de faire servir à sa réfection et à la réparation de ses forces des aliments et des boissons agréables pris en quantité modérée, comme aussi les parfums, l'agrément des plantes verdoyantes, la parure, la musique, les jeux exerçant le corps, les spectacles et autres choses de même sorte dont chacun peut user sans dommage aucun pour autrui. Le corps humain en effet est composé d'un très grand nombre de parties de nature différente qui ont continuellement besoin d'une alimentation nouvelle et variée, pour que le corps entier soit également apte à tout ce qui peut suivre de sa nature et que l'âme soit également apte à comprendre à la fois plusieurs choses. … un désir [et donc un plaisir] tirant son origine de la raison ne peut avoir d'excès » (Spinoza, Ethique 4)

 

Héritière d’Épicure, la philosophie de Spinoza s’écarte dans son développement sur la nature de l’optique sadienne car elle incorpore, comme chez Épicure une doctrine des plaisirs intimement liée à une éthique du vivre en commun.  

Doctrine de la passion maîtrisée par la connaissance de la nature, non par son assujettissement à elle. Doctrine de la passion comme émanation de la connaissance des déterminismes qui nous meuvent et non comme asservissement à ces déterminismes. 

 

Seule la raison, chez Spinoza, est source véritable d'action pour l'homme. La raison est une connaissance adéquate qui comprend la nécessité du monde et à ce titre, libère de la servitude de l'illusion et de l'imagination. 

La liberté a à voir avec la raison, c'est l'autonomie. Ce ne sont plus les choses extérieures qui nous poussent à agir mais, grâce à la compréhension de la nécessité qui imprègne le réel dans son ensemble, on désire librement les gestes que l'on pose effectivement. La libération est donc d'ordre entièrement mental.

À l'inverse de cette santé générale du corps dans sa totalité, qui est ce que la puissance du corps peut espérer de mieux pour s'épanouir, les plaisirs sexuels (Sade) sont l'image même de ce qui nous enchaîne au lieu de nous libérer, en particulier parce qu'ils ne concernent à chaque fois qu'une partie du corps et non son ensemble.    

  « Un désir, tirant son origine d'une joie ou d'une tristesse qui se rapporte à une seule des parties du corps, ou à quelques-unes, mais non à toutes, n'a point égard à l'utilité de l'homme entier ». Spinoza, Ethique 4.

dimanche 17 décembre 2023

Sujet du Merc. 20 Déc. 2023 : Le libre arbitre, mythe ou réalité

 

Le libre arbitre, mythe ou réalité

 

Le libre arbitre est un concept philosophique qui se réfère à la capacité d'un individu à prendre des décisions de manière autonome, indépendamment de toute contrainte extérieure ou de tout déterminisme préétabli. Il s'agit de la notion selon laquelle une personne a la liberté de choisir ses actions, ses pensées et ses comportements de manière consciente, sans être strictement déterminée par des facteurs tels que la génétique, l'environnement ou le destin.

Les discussions sur le libre arbitre sont au cœur de nombreux débats philosophiques, religieux et scientifiques. Certains philosophes considèrent que le libre arbitre est essentiel pour attribuer la responsabilité morale aux individus, car il suppose que les actions résultent d'un choix conscient. D'autres remettent en question l'existence du libre arbitre, soutenant que les actions humaines peuvent être influencées par des forces inconscientes ou des facteurs externes, remettant ainsi en cause la véritable autonomie des choix.

En philosophie, le débat entre le déterminisme (l'idée que chaque événement, y compris les actions humaines, est déterminé par des causes antérieures) et le libre arbitre persiste, et il existe diverses positions intermédiaires. Le sujet est complexe et peut également être abordé dans le contexte des sciences cognitives, de la psychologie et de la théologie, entre autres domaines

 

Baruch Spinoza,  a une perspective particulière sur la question du libre arbitre. Son œuvre majeure, "Éthique", contient sa pensée sur la nature humaine, la connaissance, et la relation entre Dieu et l'homme. En ce qui concerne le libre arbitre, la position de Spinoza peut être résumée comme suit :

Déterminisme causal :

Spinoza rejette l'idée d'un libre arbitre absolu où les individus auraient une volonté indépendante et non déterminée. Selon sa philosophie, tout événement, y compris les actions humaines, est soumis à des lois causales immuables. Il soutient que tout ce qui arrive a une cause, et rien n'arrive sans raison.

Liberté par la connaissance : Spinoza propose une conception particulière de la liberté. Selon lui, la véritable liberté réside dans la connaissance de la nécessité. Les êtres humains sont libres dans la mesure où ils comprennent les causes qui déterminent leurs actions. L'ignorance, selon Spinoza, est la véritable servitude, et la connaissance conduit à la libération.

Dieu et la nature : Spinoza identifie Dieu avec la nature et affirme que tout ce qui existe est une expression nécessaire de la nature divine. Ainsi, la liberté humaine réside dans l'acceptation et la compréhension de sa place dans l'ordre naturel et divin.

En résumé, Spinoza nie l'existence d'un libre arbitre au sens traditionnel et insiste sur la nécessité causale qui régit toutes les choses. La véritable liberté, selon lui, découle de la connaissance et de la compréhension de cette nécessité plutôt que de la prétendue indépendance de la volonté individuelle.

Il synthétise lui-même sa pensé dans la phrase suivante : « Nous nous croyons libre car nous ignorons les causes qui nous déterminent. »

Mais voilà, je me permettrais de prendre un exemple contemporain dans l’actualité pour se rapprocher de notre ressenti du libre arbitre en France.

« Un policier trainé au sol à Nantes : le chauffeur de la voiture volée condamné à 35 h de travaux d’intérêt général »

Le juge qui a prononcé cette peine doit être un adepte de la politique de l’excuse, qui consiste à inverser les causalités. Le chauffard n’est pas responsable, c’est une victime, c’est la faute de la société.

samedi 9 décembre 2023

Sujet du Merc. 13 Déc.. 2023 : Le jeunisme et le ludique, deux dogmes modernes ?

                               Le jeunisme et le ludique, deux dogmes modernes ?   

Comme nous le dit, notre Rastignac couronné par le suffrage universel " Enfin le Tragique s'invite dans notre Histoire". Alors parlons de Fêtes et et de jeunesse, ça nous détendra un peu.

Sans remonter à des siècles de références, depuis toujours la jeunesse et la fête ont été soit glorifiées, majoritairement, soit diabolisées. 

La fête, par un de ses aspects, le Carnaval, paisible, a pu aussi quelquefois "secouer" l'ordre social, et sombrer dans le bain de sang. Pour exemple, le Carnaval de Romans en 1580, verra les notables et les artisans passer de l'épée de bois, aux armes réelles, et se massacrer après 15 jours de fêtes danses, et théâtre. On relèvera des dizaines de cadavres. Sur cet épisode, oublié de nos jours, lire l'œuvre magistrale de Leroy- Ladurie  .Romans,7000 habitants en 1580,est une ville riche, au cœur d'une région ravagée par les Guerres de religion, dans un pays dirigé par une reine autoritaire et vieillissante, Catherine de Médicis ,et son fils, Henri III, faible et sans grandeur. Au cours du Carnaval, les artisans et paysans, accablés d'impôts, vont affronter les notables, dans une révolte qui va s'étendre jusqu'à Montélimar. Les notables et la bourgeoisie régionale triompheront, en assassinant le chef populaire, et allant jusqu'à exhumer son cadavre enterré, et le juger, pendu par les pieds.

 Au II me siècle avant l'ère chrétienne, une Bacchanale va dégénérer à un point tel, que le Sénat romain va procéder à des arrestations et des enquêtes. La fête est toujours un instant porteur de nombreuses interprétations. Elle peut inquiéter l'ordre établi, car elle le tourne en dérision, sous couvert de conciliation provisoire, et appelle à l’irrespect ; quelquefois première marche de la révolte. Ainsi, les images de l'effigie de notre Président de la République, pendu, lors d'une marche festive a choqué, d'autant plus qu'une parodie de Tribunal populaire avait auparavant procédé à cette "sentence "Mais n'étions-nous pas, déjà là, dans cette exécution fictive, au-delà de la "Fête"?. Mais plutôt dans la mise en scène d'une réelle volonté.

La fête peut aussi témoigner d'une volonté de prosélytisme (Marche des Fiertés, Gay Pride, Love parade, Fête de l'Huma….).De nos jours, l'identité sexuelle, semble rejoindre le social, en tant que revendication et même l'occulter, au nom de l'écrasement de la question sociale par l'affirmation identitaire et "sociétale" tout cela habilement orchestrée par l'Idéologie dominante. Pour preuve, la campagne actuelle qui s'affiche sur les panneaux publicitaires, dans Paris "Mon papa est gay et j'en suis fier "....A Montpellier, pas une Love Parade sans la présence de notre Maire, où d'une figure politique d'importance …Vous avez dit "récupération" ?....

En quoi, les choix géographiques de nos  pénétrations peuvent-ils devenir un sujet de "fierté"? En quoi, une forme de sexualité peut-elle faire l'objet d'un prosélytisme, là où l'on attendrait l'INTIME et un "OBSCUR OBJET DU DESIR?..comme aurait dit Bunuel….La question mérite d'être posée. 

Présenté comme un outil de subversion, le Ludique peut l'être aussi à des fins de soumission ou d'apaisement d'un ordre social inique.

Depuis des années, se multiplient les "piques nique citoyens", les "espaces festifs alternatifs" .Retardant par une volonté de créer des ponts entre les antagonismes, l'effondrement qui vient, et qui a commencé (10 millions de pauvres en France, un tiers de la population européenne).N'affrontons t on surtout pas le "vieux Monde", mais essayons de le contourner...…Stratégie dérisoire dans une société dominante ,qui depuis des décennies a intégré sa propre contestation, et mis en scène ses "rebelles "officiels.   
 Les "Gilets jaunes", avec rudesse ont rappelé les dures réalités de la lutte pour l'émancipation sociale. Le Pouvoir inquiet de ces fameux samedis marqués par la violence, y répondant par la force, et la ruse de la fameuse" parole libérée dans l'illusion d'un "Grand Débat", se serait très bien accommodé de Carnavals et de marches festives, peut être subversives, mais sûrement inoffensives.    
L'exécution fictive du "monarque républicain" renouant avec l'acte fondateur de notre Histoire moderne, la marche sur le "Palais" de l'Élysée, et sur l'Assemblée nationale, sauvagement réprimées, ont marqué la fin d'une séquence dans laquelle, des citoyens n'avaient plus "envie de rire". Même si la concentration de la haine sociale sur une personne, un nom, fait oublier que les forces en présence, les antagonismes de Classe, dépassent et de loin la réduction à un jeu de "pathos".
Depuis des années, très instrumentalisé, le Ludique a envahi l'espace de la contestation. Fin de l'"Internationale" chantée dans les cortèges syndicaux. Nous n'en sommes plus à ces cortèges graves et conscients des enjeux, comme en témoignent les documents photos du Passé ! Un temps oû les chefs du mouvement ouvrier mettaient un point d'orgueil à porter le costume, un temps où l'on montait à l'affrontement en cravate. Non pas comme une marque d'élégance, mais de gravité.       
Place à l'incontournable camion -sono, et au non moins incontournable Zebda, et ses "Motivés", balayant tout de la force de ses décibels, et transformant la gravité de l'engagement social, en un simple concert déambulant et gentiment contestataire. Il y a aussi l'omniprésente fanfare qui est là, qui plombe de son vacarme toute velléité de scander le supposé archaïsme des slogans de classe.

Qui oserait chanter l'"Internationale "ou les chants communards après U2 et Madonna ?....".Franchement, camarade, tu ne vas pas chanter le "Temps des cerises" et l'Internationale",  on est  au XXI siècle!....          
La Fête comme acte d'intégration à la Pensée dominante, est devenue un dogme. Fêtes des voisins, Fanfare de quartier, et autres, instrumentalisées par tout édile digne de ce nom, pullulent dans nos cités. Quand un Maire déclare face à des citoyens excédés par le désordre urbain" je ne veux pas d'une ville aseptisée", tout est dit de l'émergence du concept de décadence, en lieu et place du légitime souci de retisser un lien social convivial, respectueux de tous. Évidemment, inutile d'ajouter que ce Maire, comme le Directeur de l'Office HLM ne vivent jamais dans les lieux qu'ils glorifient, et que dans leurs banlieues cossues, la "mixité sociale" qu'ils prônent tant, inexistante, ainsi que le "vivre ensemble" n'affectent pas le calme et le niveau social de leur quartier.

Cela dans une ville où les canettes de bières, tiennent lieu de revêtement urbain et ou l'ivrognerie est célébrée,

 

. Une ville dont les arrêts de TRAM, célèbrent dans leurs panneaux publicitaires, l'ode à l'alcool.

De plus en plus, la "Fête" est institutionnalisée par les municipalités, à défaut de rétablir les combats de gladiateurs, aujourd'hui les "mises à morts "symboliques sont ailleurs, se faisant sur le Net, Facebook et autres. Mais le "pain et les jeux " de la Rome antique y est. Cela n'est pas nouveau, chacun a connu la fête de village dans laquelle l'ivrognerie sacralisée par Ricard et son club Taurin était la valeur. Couronnée par dans les années 70 ,la traditionnelle "ratonnade". 

 

 Mais le phénomène apparait de plus en plus prégnant. Dans une société mondialisée, et en perte de repères, la fête peut être aussi un marqueur identitaire très fort.         
Autrefois, se jeter contre un mur avec un vélo, nous aurait fait apparaitre pour un parfait abruti. De nos jours, cela s'appelle le FISE, et a rendu richissime son créateur. De nos jours le mot "CONCEPT", nous lave de tout soupçon de connerie, et permet d'intégrer le consternant dans le champ de la Philosophie. De nos jours, tout est concept, du Matérialisme d'Héraclite, du Thomisme, à l'emballage biodégradable du Kebab. Aujourd'hui, le pressing "responsable"(?),au bout de ma rue est devenu un "concept".    
Comment écrire sur la "fête" sans parler de la jeunesse,  ?…..Détruire l'esprit critique dans la jeunesse, est une des fonctions de tout pouvoir, déjà, il y a 25 siècles, par l'empoisonnement du Philosophe, aujourd'hui,  par la réduction de l'étude de la Philosophie à une portion congrue, par l'incitation au consumérisme. (Nous avons vu apparaitre dans certaines grandes surfaces, les caddies pour enfants), par l'éloge de l'alcool s'étalant sur de somptueuses affiches et arrêts de Tram. A Montpellier, les "assommoirs "se multiplient, dans lesquels à travers les "Afters " les " Before" et autres, toute une jeunesse célèbre le culte d'un Dionysos, qui a très bien résisté à la chute de l'Olympe. Un "Dionysos" qui s'est adapté : comment se dit" rouler un joint en grec classique ?"     
Mais, ne gardons pas de nos "successeurs" et enfants, uniquement l'image d'adolescents titubants ou hystériques.
Une diabolisation commune de l'Ancien Monde, celui des droits et de sa vision progressiste (les droits sociaux sont devenus des "privilèges"), sont les marques d'une jeunesse symbolisée au plus haut sommet du Pouvoir.
Il y a loin pourtant du symbole à la réalité d'un chômage qui ravage ceux nés dans les années 95. Ajoutons qu'il n'y pas de sentiment d'appartenance à une génération, sans le langage qui convient. Mais sous le masque de l'entreprise devenue" Start Up",du grand patron devenu "manager", d'un Président qui "tombe "la veste", de la clientèle, devenue "communauté", et d'un jeunisme devenu un dogme, une autre réalité sommeille. Celle d'un monde où les "pauvres" et les "riches" ont laissé la place aux "faibles" et aux "forts"....Une conversion biologique  beaucoup plus sommaire et pratique que l'ingestion de l'étude du Matérialisme historique. La dévalorisation et l'éloignement du Paradis, ont même privé les "pauvres" de l'illusion d'une souffrance récompensée post-mortem...     
En dehors de son aspect polémique, ce petit texte n'a d'autre but que de faire appel à la Philosophie pour clarifier ce champ où s'oppose une Modernité profondément réactionnaire, dans ses fondements idéologiques, à un Passé qui fut ancré dans l'idée de Progrès social.            
Il ne s'agit pas non plus, d'une mise en accusation de la jeunesse, mais de ce que l'on en a fait, et de ceux qui en manipulent le fil. Les valeurs supposées de la jeunesse, peuvent parfois et sournoisement sommeiller dans l'antre des Anti-Lumières.

A jp

" Ce qui me rend optimiste, c'est que l'histoire que nous vivons redevient tragique. L'Europe ne sera plus protégée comme elle l'a été depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce vieux continent de petits-bourgeois se sentant à l'abri dans le confort matériel entre dans une nouvelle aventure OU LE TRAGIQUE S'INVITE"... Emmanuel Macron

 (Nouvelle Revue française (NRF) no 630, mai 2018)

Depuis 2018, le Covid, les Gilets Jaunes et Poutine, et les 10 millions de pauvres, ont comblé ses vœux et cette aspiration au tragique

vendredi 1 décembre 2023

Sujet du 06 Dec. 2023 : "La seule réalisation impérissable du travail et de l'énergie humaine, c'est l'art" A. Hitler

 

  "La seule réalisation impérissable du travail et de l'énergie humaine,
c'est l'art"  A. Hitler

Extrait de « Ma doctrine » une sorte de synthèse de Mein Kampf, cette courte phrase ne nous semble-t-elle pas est frappée du sceau du bon sens ?  Des temples grecs en passant par les vitraux des cathédrales, ou les œuvres littéraires et picturales, que reste-t-il au fond de ces générations qui nous ont précédé ?

Mais « le travail et l’énergie humaine » produisent ils seulement l’art ? « Seule réalisation impérissable » insiste A. Hitler.

A ce compte là l’évolution des langages, des sciences, des connaissances en général, d’où cela vient-il ? Ce qui ne périt pas est un processus vital et l’évolution de l’humanité est l’exemple même d’un long et complexe processus dans laquelle nature et culture s’entrechoquent en permanence.

Il y a quelque chose de pathétique derrière cette phrase lorsqu’on la considère au regard de l’histoire de ce que fut le nazisme. Pathétique cette idée de « l’impérissable », de l’éternel en somme venant d’un personnage qui rêvait pour lui et « son » peuple d’un Reich millénaire.

Pathétique mais aussi, philosophiquement parlant, profondément idéaliste et métaphysique. Il n’y a rien d’absolu, de définitif, d’éternel nous disent les philosophes de la nature et de l’homme. Comment l’art, comme forme particulière d’expression des sentiments et/ou de la réalité, échapperait-il à ces principes basiques ?

Et puis lorsque nous considérons ce que nous appelons des œuvres d’art, de quoi parle-t-on ? Un temple grec peut nous émouvoir, ses proportions nous toucher, mais lors de son édification c’était un édifice religieux, construit par et pour un monarque. Il avait une fonction sociale. Même démarche pour les cathédrales européennes ou les pyramides égyptiennes. Plus tard quand des peintres, des musiciens, des dramaturges vont produire des œuvres il faudra que celles-ci soient financées par les puissants, reçoivent l’accord des autorités religieuses. L’art doit correspondre à une commande. L’art n’existe pas dans les nuages éthérés de « l’art en soi », il est relatif à une époque et s’il suscite encore quelque émotion aujourd’hui on peut se poser la question de savoir –au fond – si nous avons vraiment changé d’époque, c'est-à-dire d’environnement idéologique.  
L’époque moderne, industrielle, a déchiré les voiles sacrés qui entouraient l’art. Tout s’achète, se vend, à sa côte. Picasso, Soulages, Rodin, Boulez … ont un prix.

Ce qui hier chez les grecs ou les chrétiens était masqué par la religion et l’illusion se révèle à nous et ce qui devient « impérissable » c’est le subterfuge qui consiste à nous faire croire que l’art serait « ailleurs », doté d’un statut particulier.

Mais qu’on nous entende bien, nous ne disons pas que l’art ne tende pas, ou ne puisse pas tendre vers une sorte d’universel, nous disons simplement que lorsque nous parlons d’universel il serait souhaitable d’envisager la possibilité que nous ne soyons que dans la contingence, le « relatif à… ». Nous disons donc qu’il faut aborder cette question là avec l’outil philosophique le plus affuté.

Et parmi les critères dont nous pourrions armer notre critique, on pourrait par exemple se demander ce que suscite en nous la vision d’une statuette représentant un cochon en Papouasie Nouvelle Guinée, ou quelque tatouage sur le visage d’un danseur Dogon. Inversement nous pourrions nous demander si la Joconde sourit aussi aux Dogons, aux Bushmen ou aux esquimaux.

Dans nos réflexions sur l’art, pourquoi devrions nous abolir notre esprit critique ?  Pourquoi ne pas soumettre notre rapport à cette activité particulière de l’homme aux outils classiques de la philosophie : observation, démonstration ?

Y aurait-il un champ particulier de l’activité humaine qui serait intouchable ?

Rappelons-nous aussi que derrière cette phrase d’A. Hitler, charmeuse et qui nous semble couler de source, il y a la condamnation impitoyable de ce que les nazis appelèrent « l’art dégénéré », et la glorification de « l’élite » :

« Tout ce que nous admirons aujourd’hui sur cette terre - science et art, technique et inventions - est le produit de l’activité créatrice de peuples peu nombreux et peut-être, primitivement, d’une seule race.

Tout ce que nous avons aujourd’hui devant nous de civilisation humaine, de produits de l’art, de la science et de la technique est presque exclusivement le fruit de l’activité créatrice des Aryens. Ce fait permet de conclure par réciproque, et non sans raison, qu’ils ont été seuls les fondateurs d’une humanité supérieure et, par suite, qu’ils représentent le type primitif de ce que nous entendons sous le nom d’"homme". »  A. Hitler – Mein Kampf 

« le vrai génie est inné ; il n’est jamais le fruit de l’éducation ou de l’étude »(Idem)

vendredi 24 novembre 2023

Sujet du 29/11/2023 : "Socrate fut le polichinelle que se fit prendre au sérieux" Nietzsche.

 "Socrate fut le polichinelle que se fit prendre au sérieux" Nietzsche.

Ferry, Deleuze, Foucault, Onfray …. Tous les modernes saluent Nietzsche comme le penseur d’un passé mythique (essentiellement grec) et d’un futur qui ne cesserait de confirmer ses vues.   
Loin de ce dandysme officiel, n’est-il pas temps de quitter les rivages de l’innocence et de replacer Nietzsche dans ce grand courant anti-Lumières qui s’évertue à brouiller les cartes en s’adossant sur le style pour mieux masquer le fond de la réflexion nietzschéenne ?         
Il faudrait des livres pour cela. Nous commencerons par cette remarque sur Socrate. Que reproche donc Nietzsche à Socrate ? :  
«Avec Socrate, le goût grec s'altère en faveur de la dialectique : que se passe-t-il exactement? Avant tout c'est un goût distingué qui est vaincu ; avec la dialectique, le peuple arrive à avoir le dessus.        
Avant Socrate on écartait dans la bonne société les manières dialectiques : on les tenait pour de mauvaises manières, elles étaient compromettantes. On mettait la jeunesse en garde contre elles. Aussi se méfiait-on de ceux qui présentent leurs raisons de telle manière. Les choses honnêtes comme les honnêtes gens ne portent pas ainsi principes à la main. Il est d'ailleurs indécent de se servir de ses cinq doigts.            
Ce qui a besoin d'être prouvé ne vaut pas grand-chose. Partout où l'autorité est encore de bon ton, partout où l'on ne "raisonne" pas, mais où l'on commande, le dialecticien est une sorte de polichinelle : on se rit de lui, on ne le prend pas au sérieux.

—Socrate fut le polichinelle qui se fit prendre au sérieux. ». On ne choisit la dialectique que lorsqu'on n'a pas d'autre moyen. [...] Il faut qu'on ait à arracher son droit, autrement, on ne s'en sert pas. C'est pourquoi les Juifs étaient des dialecticiens » (Le crépuscule des Idoles)           
Que faut-il entendre par « dialectique » ? Dans le contexte de la citation, c’est cette forme d’expression, de discours contradictoire qui sert à faire émerger la vérité, la raison. Socrate, d’après Platon était passé maître dans cette discipline et ses dialogues font partie des grands moments de la naissance d’une philosophie qui n’est plus celle d’un auteur particulier, mais bien celle de l’agora, de la foule qui parle, s’exprime et du coup apprend à connaitre les chemins du raisonnement.    
Nietzsche a très bien compris cela « avec la dialectique le peuple arrive à avoir le dessus » nous dit-il, et il continue dans sa conception de la philosophie : « Ce qui a besoin d'être prouvé ne vaut pas grand-chose ».

Nietzsche synthétise de manière remarquable tout les courants philosophiques qui vont lui succéder. Il tente de déconstruire les efforts des Lumières et leur quête de connaissance de vérification. Il prône le dogme et l’asservissement à « l’autorité » (au contraire d’un Descartes).    

C’est Deleuze, et ses successeurs, qui développerons le mieux cette « philosophie » qui est devenue l’arôme spirituel de la « « nouvelle philosophie :
« …Les connaissances philosophiques d'un auteur ne s'évaluent pas aux citations qu'il fait, ni d'après des relevés de bibliothèque toujours fantaisistes et conjecturaux, mais d'après les directions apologétiques ou polémiques de son œuvre elle-même. On comprend mal l'ensemble de l'œuvre de Nietzsche si l'on ne voit pas "contre qui" les principaux concepts en sont dirigés. Les thèmes hégéliens sont présents dans cette œuvre comme l'ennemi qu'elle combat. »

« (...) le surhomme est dirigé contre la conception dialectique de l'homme, et la transvaluation contre la dialectique de l'appropriation ou de la suppression de l'aliénation. L'anti hégélianisme traverse l'œuvre de Nietzsche, comme le fil de l'agressivité » (Deleuze, Nietzsche et la philosophie).

Mais nous savons par les études de G. Lukacs, que Nietzsche ne connaissait pas l’œuvre de Hegel. Chose que Deleuze, lui ne pouvait ignorer. Par contre Deleuze a très bien compris en ce milieu du 20iéme siècle « contre qui » les concepts de Nietzsche sont dirigés.

C’est contre Hegel et la dialectique hégélienne et au-delà marxiste, que Deleuze va donc « produire des concepts » rejoignant ainsi les combats de Heidegger qui déclarait : « Le pire ennemi de la pensée, c’est la raison ».

 

Alors il est temps d’appliquer à Nietzsche ses propres devises. Il faut philosopher au marteau pour entendre que les idoles « modernes » de la philosophie sonnent aussi creux que leur maître à …. « Penser ».
Ou alors il faut se résigner, à en rester à Aristote et dire avec le maître «Il n'y a plus rien de plus démocratique que la logique : elle ne connaît pas d'égards aux personnes et même les nez crochus lui paraissent droits ».( Le Gai savoir)

Qu’en penses-tu    ……….. ?    Comme dirait Socrate.

 


samedi 18 novembre 2023

Sujet du Merc. 22 Nov. 2023 : Aujourd’hui, la métaphysique peut-elle changer l’avenir ?

 

          Aujourd’hui, la métaphysique peut-elle changer l’avenir ?

 Les hommes se sont rendus capables de plusieurs fois s’autodétruire par la guerre nucléaire.  Toujours reportée grâce à la réflexion logico-philosophique sur «la dissuasion par la menace de destruction mutuelle assurée», celle-ci s’est muée en guerre froide de l’équilibre de la terreur. L’urgence de survie a fourni les outils conceptuels nécessaires à la gestion éthique et efficace de la complexité de sociétés en auto emballement techno-économique. Certains ont pensé qu’il fallait diriger les hommes à bonne fin. Des menaces à la survie - imaginaires ou réelles, on ne peut savoir – seraient utiles dans ce but. Aujourd’hui, elles sont de caractère nucléaire, sanitaire (pandémies), industriel (pollutions), environnemental (climat), ou terroriste (Tours jumelles). Elles sont situées dans un avenir lointain concernant des générations encore à naître. Un problème protéiforme en résulte d’impossibilité de la connaissance (complexité, inconnaissabilité de l’avenir), de perception de la temporalité (métaphysique), de crédibilité (foi et croyance) et de responsabilité (éthique) se pose d’emblée.  Il semble avoir été résolu par l’imposition d’une nouvelle vision du monde (paradigme civilisationnel) et la recherche philosophique sur la  peur. Dans ce contexte, qui penserait encore à poser la question de l’utilité  philosophique pour comprendre le monde? Pour organiser la résistance? En pensant comment penser la situation?

 

Comment croire une prévision de malheur absolu et lointain?  Faut-il construire une éthique qui nous rende responsables et coupables par peur anticipée du malheur à venir de nos descendants? A cet effet, ne faut-il pas d’abord porter à l’existence un tel malheur puisqu’il n’est pas là, dans notre présent. Faut-il  développer puis intégrer dans notre conscience une nouvelle métaphysique (M) du temps? Puisque Dieu est mort et que les hommes pensent le remplacer (Nietzsche), faut-il encore qu’ils le veuillent et réalisent ainsi leur essence par des actes libres (Sartre)?  Plutôt que de verser dans la peur passionnelle, faut-il inventer une notion de  peur rationnelle des désastres à venir efficace, éthique et motivante. Et la fonder sur cette métaphysique du temps.

 

Face à l’ampleur du pouvoir technique, la prévision de l’avenir est impossible. Notre ignorance est inévitable face à la complexité des écosystèmes naturels et hybrides (naturels et artificiels) dont les seuils critiques nous restent inconnus jusqu’à ce que, une fois franchis, il soit trop tard. De plus, la prévision de l’état de chose à venir des inventions futures est en toute logique impossible. Laplace peut se récuser. Il faudrait un Dieu omniscient ou un calculateur infini pour prévoir un avenir que, du fait de notre finitude, nous sommes incapables d’anticiper qu’elles que soit l’état de nos connaissances. Que les modèles mathématiques reflètent la complexité du monde implique que nous ne pouvons les maîtriser par impossibilité d’intégrer les équations différentielles qu’ils comportent et par sensibilité des modèles aux conditions initiales et à celles aux limites. Bref, nous savons que nous ne savons pas (Socrate) les dangers à venir et nous savons que ne pouvons pas les savoir. Cette ignorance nécessaire n’impose-t-elle pas un nouvel impératif moral: envisager comme certaine la moindre possibilité de danger majeur à venir, ou même l’inventer comme pure fiction, pourvu que nous puissions croire à l’éventualité même improbable que nous sommes embarqués dans le train fou de la technique en roues libres? On est alors amené à explorer le concept de temps.

 

1.         Envisageons d’abord le principe de précaution dont on fait aujourd’hui un impératif de prévention des dangers. Il renverse le principe cartésien du doute à la base de la science. Pour établir le vrai indubitable, Descartes affirme que tout ce qui peut être mis en doute est équivalent au faux démontré. La précaution considère au contraire comme certitude pour la décision tout possible d’un certain type (danger), quelque doute qu’on puisse avoir à son sujet, même fictif. C’est une focalisation absolue sur le «scénario du pire», comme variante du pari pascalien. Elle paralyse toute action. De plus, la précaution exige que toute innovation démontre son innocuité. Ce qui est impossible car il faudrait mettre à l’épreuve d’un nombre infini d’expériences la vérité de toute proposition. C’est l’exigence de confirmation contraire à celle de falsification par laquelle une théorie scientifique sera ruinée si l’on peut exhiber un seul cas qui l’infirme. La précaution s’auto-réfute et ne peut soutenir aucune crédibilité à quelque prévention que ce soit.

 

2.         La M du temps de l’histoire est communément la nôtre.  Nous croyons que le présent ne saurait causer ou modifier le passé. La science le prouve. C’est le temps de la stratégie, de l’intention. Où, par pure convention d’un passé tenu pour fixe, des composantes du lien social comme la promesse, l’engagement et le contrat sont possibles. Concernant l’avenir, nous acceptons le lien causal de la succession des événements.  A chaque point du temps nous voyons une bifurcation de possibles dont un seul se réalisera dans l’avenir, les autres devenant des possibles non réalisés. Dès lors, mener une prévention qui réussit d’un désastre, que nous voulons imaginer dans l’avenir, le transforme en un possible qui ne sera pas réalisé. Il reste inexistant et on ne pourra donc fixer notre action sur lui. Dans cette M, la prévention constitue un sophisme caractérisé. Notre volonté de prévention in fine réussie s’auto-contredit dès le départ. Il y a auto-réfutation. La prévention fait de la menace dépourvue d’existence une coquille vide dont la représentation mentale ne peut donc soutenir aucune volonté efficace de prévenir le désastre. Le désastre qu’on voudrait prévenir n’a aucune crédibilité. La prévention est inefficace dans cette acception du temps.

 

3.         Une autre M devient nécessaire : la M du temps du projet.  Elle renverse le syllogisme bien connu d’Aristote : le sujet désire X et croit que le moyen x lui permettra d’obtenir X ; donc le sujet, s’il est rationnel, décide d’adopter le moyen x qu’il croit efficace. Les pré-supposés métaphysiques d’Aristote sont que mes désirs et croyances pré-existent à ma décision et en sont donc indépendants. Une autre M du temps introduirait une boucle de rétro-action. Celle-ci postule mentalement un arrêt du temps d’un avenir imaginé (décision) suivi d’une inversion du temps depuis cet avenir vers le présent. Cette boucle va de ma décision postulée vers ses causes, càd mes croyances et désirs. Cette M de l’action fait de mes croyances et désirs à la fois la cause et l’objectif de mon action. Il faut ici accepter de penser le monde où tant le but que je veux atteindre (mon désir) que les moyens que je mets en œuvre (croyance) puissent être postérieurs à la décision postulée et qu’ils en dépendent ou découlent. Alors seulement une seule possibilité, un seul chemin causal de désir et moyen mène à la décision finale, comme pour Aristote. C’est le temps du projet.

 

Ici, comme tout prophète ou prévisionniste, nous tenons mentalement l’avenir pour fixe. En toute violation du causalisme, on se met arbitrairement d’accord sur un avenir de désastre tout en croyant que nous le causons (causalisme de la M précédente). Le sujet croit qu’il est libre d’agir et de faire arriver les choses; et croit aussi le contraire, que l’avenir est soumis à la fatalité. La contradiction n’est qu’apparente. Comme au poker où chaque joueur se coordonne mentalement dans la spécularité : chacun pense à ce que l’autre pense de ce que lui-même pense, etc. Jusqu’à ce que, dans un avenir imaginé, un point fixe d’équilibre de «désastre» pour lui (fatalité à éviter) soit clair dans son esprit. Dans un deuxième temps, celui du présent, il développe alors une stratégie de prévention de sa prévision et joue pensant que cet acte libre va causer la réaction des autres joueurs dans le sens du nouvel avenir, celui-ci effectif, déterminé par sa stratégie (éviter le désastre et gagner le jeu). La boucle partie d’un avenir postulé s’est rabattue sur le présent pour se fermer sur la solution, le point fixe d’équilibre, devenu l’unique avenir qui se réalise.

 

Malgré la ressemblance, le joueur n’est pas dans cette deuxième étape dans le temps de l’histoire puisqu’il s’était fixé à l’étape précédente une seule possibilité d’action aboutissant au non désastre, à l’exclusion de toute autre. Tout ce qui n’est pas dans le présent ou dans cet avenir exempt de désastre est devenu impossible. Il y a donc dans cette M impossibilité de désastre puisqu’il ne peut se réaliser. Le désastre n’aura pas lieu, qu’il y ait prévention (inutile car le désastre sera, par définition de cette M, non existant) ou pas. La prévention s’anéantit. Il y a auto-réfutation. Mais ici, contrairement à la M précédente, la raison en est de pure logique objective et donc non intentionnelle. Càd indépendante du sujet, telle une fatalité. Ce projet négatif - par lequel on se fixe sur un avenir catastrophique pour qu’il ne se produise pas – est logiquement auto contradictoire, puisque, s’il réussit, on ne se sera pas fixé sur l’avenir mais sur un événement qui, parce qu’il n’est pas inscrit dans l’avenir, est impossible. La crédibilité du désastre s’évanouit. Ici aussi la prévention est inefficace.

 

4.         De ces deux M ne ressort qu’une aporie ou impasse logique.  On est coincé entre autoréfutation et non crédibilité. La prévention étant exclue, comment aboutir à une dissuasion efficace? Par la peur, nous visions une dissuasion parfaite (Platon).  L’erreur était de viser l’absolu au lieu de tendre vers lui, ce qui est conforme à la finitude inéluctable des choses. Faudrait-il quelque incertitude sur l’efficacité pour que la dissuasion face à un désastre mentalement postulé dans l’avenir soit efficace? L’incertain, l’accident peut-il établir la crédibilité et la fixité de la menace? Il faut le prouver en définissant le statut métaphysique de cet incertain particulier.

 

a.         Une solution stratégique donc intentionnelle et volontaire participant de la M de l’histoire viserait à mimer l’irrationalité par des jeux spéculaires. On pense au joueur de poker ou à celui qui fait semblant de «perdre la raison» pour dissuader avec efficacité et crédibilité ses adversaires qui le menacent.  Pourtant ces jeux ne mènent à rien dans les situations de vulnérabilité réciproque des menaces nucléaire, terroriste, sanitaire ou environnementale car ils ne se jouent qu’une seule fois, et c’est alors une fois de trop ! Il faut également rejeter la fausse solution de «la machine apocalyptique» d’un stratège fou que Kubrick porta à l’écran dans «Docteur Folamour» où, face à une erreur involontaire (fatalité) survenue dans le camp adverse, les Soviétiques se liaient les mains en rendant leur riposte nucléaire automatique, «sans retour» possible sur l’enclenchement fatal de la machine. Cette M n’offre pas de point fixe ou solution à l’incertain du désastre à venir.

 

b.         Il reste l’option d’explorer l’incertain dans le temps du projet. Par définition, toute stratégie est ici exclue: il faut choisir de ne pas choisir. Il ne s’agit donc pas ici d’une fatalité intentionnelle du temps de l’histoire de type conditionnelle: «Si tu m’agresses (dégagement de CO2), il est inévitable que je te gazes l’atmosphère à profusion». Ici la fatalité inscrite dans l’avenir n’est pas conditionnée par l’homme. Elle est de l’ordre de la simple logique. Ce qui pourrait conduire à une solution ? Il s’agit de voir sur quel type de point fixe se referme la boucle qui relie l’avenir au présent dans le temps du projet. Le désastre ne peut être ce point fixe car il s’agirait de prévention réussie et donc auto-réfutante. Cette M autorise que des signaux venus du futur postulé atteignent le présent. Pour qu’ils ne déclenchent pas cela même qui annihilerait leur source, il faut que subsiste, inscrite dans l’avenir, une imperfection du bouclage. En fait, il faut obtenir une image de l’avenir suffisamment catastrophique pour être repoussante pour l’éthique et suffisamment crédible pour déclencher les actions efficaces qui empêcheraient sa réalisation, à la probabilité infime d’un accident près (fatalité).

 

Cette fatalité doit être de très faible probabilité p tendant vers zéro pour maintenir l’éthique exigeant la survie humaine, mais non nulle pour maintenir la crédibilité de la menace. L’apocalypse est comme inscrite dans l’avenir.  La dissuasion réussie et quasi certaine à une infime erreur près, correspond alors à la très forte probabilité 1-p, complément logiquement nécessaire et simultané de cette erreur quasi inéluctable (fatalité d’un destin) indépendante de la volonté des hommes. C’est parce qu’il y a une faible probabilité que la dissuasion ne marche pas qu’elle marche avec une quasi certitude de forte probabilité. Il y a là comme un principe d’incertitude où la solution du point fixe correspond à la simultanéité de l’accident fatal et de son absence.

 

Cette solution serait une tautologie dans la M du temps de l’histoire pour laquelle la proposition de probabilité p est un possible non réalisé, inexistant càd à probabilité p nulle. Dans le cas de la M du projet, la dissuasion ne marche que si p existe et n’est donc pas nulle, ce qui correspond à l’inscription irréfutable et effective du désastre dans l’avenir avec cette très faible probabilité. Par définition dans cette M l’erreur, correspondant à cette fatalité peu probable du désastre, est nécessaire et inévitable, certes avec une probabilité très faible.  Il serait donc faux d’affirmer que ce serait seulement la possibilité d’une erreur de probabilité p qui pourrait sauver l’efficacité authentique de la dissuasion, comme si l’erreur et son absence pouvaient constituer les deux branches d’une bifurcation. Non, il n’y a qu’une seule voie possible du présent vers l’avenir dans la M du projet. L’erreur n’y est pas seulement possible, elle y est actuelle, effective, irrémédiable. Le désastre est inscrit dans l’avenir.  En d’autres termes, c’est parce que nous croyons par la peur que le dérèglement climatique va se produire comme nous l’imaginons mentalement que nous sommes amenés à croire qu’il nous faut aujourd’hui agir selon l’unique voie possible qui nous mènera à un climat sain, à un accident près quasi certain mais très peu probable.

 

Il en est de même pour les autres menaces majeures actuelles.  Ce qui a des chances de nous sauver est cela même qui nous menace. C’est notre destin, nous serine-t-on, la fatalité qui mène au Salut. De toute façon, n’est-il pas bon de sauver les hommes et la nature en sus. De plus cela ne rend-il pas plus heureux? N’assurons-nous pas ainsi la venue du meilleur des mondes possibles (Leibniz)? Quel autre avenir pourrions-nous souhaiter avec l’Instance Souveraine qui connaît le destin des hommes? Pour autant que nous nous en remettions à sa Grâce en consentant les efforts nécessaires pour qu’Elle advienne.

 

Où est l’erreur dans ce galimatias logico-philosophique? Comment échapper à ce «libre arbitre» par Nos Seigneur ou maîtres actuels consenti? Par des actes libres et responsables? Les hommes seraient-ils engagés dans un jeu de la peur par menace de «destruction mutuelle assurée» (MAD) avec des adversaires métaphysiques qui s’appelleraient la Nature, la Technique ou le Temps? Les hommes n’auraient-ils pas à faire toujours qu’avec eux-mêmes via les médiations naturelles ou artificielles?  Il n’y a qu’un seul protagoniste, l’humanité, même si le mal qui la guette prend la forme du destin sous couvert de la prétendue objectivité du syndrome technico-économique. Le destin n’est pas un sujet, il n’a ni intention ni volonté.

 

La situation MAD n’a-t-elle pas précisément cette structure ? «Sous l’apparence de deux jumeaux inextricablement liés par leur rivalité mimétique, on trouve en fait un seul acteur: l’humanité aux prises avec sa propre violence qui prend la forme d’un destin apocalyptique. Ce mal est sans intention.» (Dupuy). Il ne faut pas le nier puisqu’il existe. La ruse consiste à faire comme s’il était un sujet et que nous étions sa victime, tout en gardant à l’esprit que nous sommes la cause unique de ce qui nous arrive.

 

Aujourd’hui, ce stratagème peut-il être la condition de notre survie? Et celle de notre liberté? L’explication proposée est la suivante. Dans le temps du projet nous gelons le temps sur un désastre par nous postulé dans une boucle close où le présent et l’avenir se répondent. Puis nous libérons le temps qui continue tel un supplément de vie et d’espoir qui ouvre la boucle.  Nous poussons alors le temps sur un chemin unique allant de causes à effets vers un avenir «presque» exempt de désastre. Tout au long de ce chemin l’erreur, que nous pouvons décider de ne pas commettre, a le statut d’un accident peu probable qui prend la forme d’un destin. Cette fiction du temps du projet que les hommes peuvent s’inventer rejoint Spinoza (être libre, c’est acquiescer la nécessité (destin), Nietzsche (la mémoire de la volonté) ou Sartre (choisir son destin; être fini, c’est se choisir, càd se faire annoncer par nos actes ce qu’on est en se projetant vers un seul possible, à l’exclusion des autres). Ma fiction est de me considérer comme déterminé par une essence, mais une essence inconnue. Je ne suis libre, dans aucun monde possible, d’agir contrairement à cette essence.  Mais dès lors, comment puis-je croire à la fiction de ma liberté? En faisant comme si j’étais libre de choisir cette essence en choisissant mon existence par mes actes. C’est «choisir son destin», «se déterminer». C’est le projet par lequel les hommes et eux seuls se dissuadent d’aller au désastre par le choix délibéré (liberté) de leurs actes pleinement assumés (éthique de l’engagement): «Si je faisais ceci plutôt que cela (premier temps du projet d’un avenir fictif postulé), c’est que mon essence serait celle-ci et non celle-là (deuxième temps, un seul chemin possible vers un avenir unique) et il en résulterait causalement telle chose (avenir choisi puis réalisé à une erreur près)».

 

Dès lors peut-on encore imaginer pouvoir être déterminé de l’extérieur? Sauf à imaginer une défaillance de notre motivation ou de notre volonté? Pour prévenir cette « défaillance », certains ont conçu de faire appel à la peur? L’herméneutique de la peur, cette recherche systématique des moyens de faire peur, en a fourni de si puissants qu’ils tendent aujourd’hui à anesthésier la réflexion et la volonté de se déterminer soi-même?

 

    Cela ne conforte-t-il pas le pouvoir de ceux qui veulent tout agencer pour nous dominer par la peur de désastres. Dont il nous est par ailleurs impossible de connaître la réalité, mais que le détour par une métaphysique particulière du temps permet de fonder en croyance et en foi, elles-mêmes sous-tendues par une éthique des conséquences pour la survie humaine?  Cette menace n’est-elle pas plus énorme que celle à laquelle une solution est proposée?  Le drame n’est-il pas que cette solution – soudainement majoritaire dans la population grâce à la peur angoissée et militante promue à grands renforts médiatiques d’affects et de morale - est déjà presque réalisée ?

 

 

 

 

mercredi 8 novembre 2023

Sujet du 15/11/2023 : 1+1=3

Sujet : 1+1=3

La proposition 1+1=3 est invalide. Mais sous quelles considérations ? Formelles ? Intuitives ? Si un pur formalisme condamne l’opération, si l’intuition même se refuse au concours de cette symbolique, l’imagination est-elle vraiment seule à pouvoir tirer de cette apparente inadéquation la prégnance de la métaphore qu’elle évoque, et qui siérait à la définition contingente de la dialectique ? Où la poésie sert la philosophie, la synthèse sert effectivement la pensée. Des Topiques au matérialisme historique, l’effort sera donc proprement synthétique, afin de dégager les mécanismes réalistes et conceptuels ayant édifié des monuments tels Logique, Mathématiques et Dialectique, en s’appuyant finalement sur une doctrine complète – celle d’Henri Bergson – pour défaire l’écheveau de son fil conducteur (logique) et comprendre ses implications. L’enjeu va jusqu’à s’enquérir d’une nécessité morale interne de la dialectique, non seulement parce que la synthèse relève du jugement, mais parce qu’elle est basée sur un processus critique (la négation hégélienne).

 

THESE

 

En sociologie, le 1+1=3 est une référence idéologique au concept dit de « non-additivité », lequel place les répercussions de la collaboration humaine au-delà de la simple addition des capacités individuelles (cf. William Burroughs et Brion Gysin, The Third Mind). En fait, cette notion s’applique à toute communauté vivante (exempli causa les cellules d’un même organisme), au-delà des facultés cognitives de l’homme, en raison de la complémentarité adaptative du vivant, donnant potentiellement naissance à des capacités troisièmes après mise en commun de deux ensembles de capacités chez deux entités différentes (on pourra dire : comme l’huile et le jaune d’œuf émulsionnés et associés donnent la mayonnaise, laquelle possède des propriétés structurelles et gustatives nouvelles). Cette conséquence ici réalisée dans l’acte a son pendant au niveau de l’esprit humain, pour y revenir ; c’est ce que l’on appelle le jugement synthétique, que nous aborderons ultérieurement.

Dans le grand manège du monde vivant, le mutualisme (un cas particulier de la symbiose) illustre on ne peut mieux le phénomène, quand on constate ne serait-ce qu’avec ce qu’on appelle le lichen l’impact (photo)synthétique de l’association de deux organismes unicellulaires si différents, en l’occurrence d’une algue et d’un champignon, comme l’appropriation de vertus pionnières et de polyvalence métabolique, sachant qu’une bactérie intègre parfois ledit lichen pour former un organisme triple, et triplement compétitif.

 

A fortiori, par son principe même, une communauté sociale d’hyménoptères tire avantage de cette même loi de non-additivité, par les options nouvelles s’offrant à la coopération de ses individus ; d’où la sauvegarde génétique de ce comportement par l’évolution. C’est ainsi que dans son œuvre de science-fiction La révolution des fourmis, Bernard Werber utilise la même métaphore arithmétique 1+1=3, et, fidèle à son genre, en propose une démonstration mathématique tenant de l’axiomatique libre ; peut-être sans s’en apercevoir, au-delà de la portée strictement sociale et de la relativisation du rôle de la nature humaine (par l’application à la société insecte) dans le phénomène, il pose à la fois la question de la logique non-aristotélicienne et de la dialectique hégélienne. Du reste, le pouvoir « synthétique » d’un fonctionnement social apparemment indissociable d’une hiérarchie, cause ou conséquence du phénomène, relève d’une argumentation tierce.

 

Le syllogisme est un discours dans lequel certaines choses étant posées, quelque chose d’autre que ces données en résulte nécessairement du seul fait de ces données.

Aristote, Organon

 

Selon : Un débit de spiritueux est philosophique, un café est un débit de spiritueux, donc un café est philosophique, nous avons le prédicat (« philosophique ») et le sujet (« le café ») qui, en vertu du formalisme logique, peuvent s’abstraire en des variables ; les propositions deviennent alors des formes propositionnelles, des symbolismes. On pourra écrire dès l’école primaire : a=b et c=a à c=b, formule syllogistique par excellence, aristotélicienne bien conformément à la stagnation antique des enseignements. De là, si l’exigence de cohérence interne de la logique est nécessaire à la forme du discours philosophique, qui s’adresse à l’entendement, on en fera un calcul ou une tautologie, il ne lui en restera pas moins sa stérilité ; cerner l’originalité d’un cheminement de pensée, qu’elle soit apparente ou intimement conditionnée, tient d’un autre niveau conceptuel. 

 

          La logique reste stérile, à moins d’être fécondée par l’intuition.

          Henri Poincaré     

 

La logique, donc, aussi leibnizien que l’on soit – car on se rappellera la théorie des petites parties et de son obsession calculatoire (« algèbre de la pensée ») – n’est point d’aide ici, car aucune proposition ne peut assurer une cohérence interne à l’opération 1+1=3. La mathématique alors ? D’abstraction supérieure, pourrait-on penser, la métaphore arithmétique d’une mathématique syllogistique serait : 1+1=2. De fait, il y a dépassement conceptuel de la logique par la mathématique. On dira proprement les outils intellectuels des mathématiques « transcendantaux », mais quant à leurs objets, quelle que soit d’ailleurs la théorie de laquelle on se place (empiriste, idéaliste ou opératoire), ils ne seront jamais rien que l’étape d’un cheminement hypothético-déductif ; d’aucuns ayant voulu se défaire de la question de l’origine des mathématiques par l’axiomatique, ils ont bien dû s’apercevoir que cela ne faisait qu’élider la question, puisqu’en substance, si la variable A de la logique renvoie à une proposition plus ou moins réaliste, plus ou moins formelle, la variable A de la mathématique renvoie à un signe motivé, un symbole, qui participe déjà de l’abstraction du monde. L’on en revient donc à l’intuition (non sans rappeler l’intuition sensible kantienne) pour des théoriciens comme Luitzen E.J. Brouwer, voire au « relationnel » pour Jean Toussaint Desanti, sans toutefois résoudre le mécanisme de la synthèse mais plutôt celui de l’analytique (réductionnisme symbolique). La synthèse en effet n’est en rien dans le résultat mathématique, mais dans l’idée, et par radicalisation dans son exposition même ; en cela, à tout système analytique préfigure peut-être une synthèse dont il ne serait que l’explicitation, d’où l’argument de certains mathématiciens situant leur activité dans une sorte de perpétuelle illumination.

 

ANTITHESE

 

Très tôt dans l’histoire des idées, ce qu’on a appelé dialectique (dia-legein, « parler à travers ») a servi à désigner la rhétorique du philosophe (avec ses avatars, telle la maïeutique) pour, avec Platon, dépasser le statut de méthode pour celui de science à part entière. Promotion conceptuelle que réfutera Aristote, la resituant comme technique argumentative du vraisemblable et du probable, aux côtés de la science, telle la logique, qui elle tiendrait de la démonstration et donc du vrai et du nécessaire. Il s’était agi donc dès le départ de cerner la méthode du discours philosophique traitant des objets échappant à la science ; dans sa structure initiale, la dialectique est déjà faite de l’exposition décisive de son contenu et de la portée métaphysique de sa finalité : 1+1=3.

 

Emmanuel Kant, qui établit les bases de l’épistémologie moderne, rattacha dans le prolongement de la thèse d’Aristote la dialectique à l’usage illégitime des facultés de la raison, celle-ci faisant accroire à l’homme qu’il puisse connaître des concepts inexpérimentables tels l’âme, la totalité du monde ou encore Dieu, plutôt que de se restreindre à les penser ; la dialectique transcendantale, fidèlement à sa doctrine et là en porte-à-faux d’Aristote, devenant la science (logique de l’apparence) des conditions de possibilité de contradictions dans lesquels l’esprit s’empêtre nécessairement lorsqu’il fait cet usage illégitime de ses facultés. A partir de cette avancée idéologique, dans son acception encore davantage que dans son essence, dira-t-on, la dialectique colporte les notions de créativité, de productivité de l’esprit (pour lesquelles intervient alors l’imagination) qui dans un premier temps conduisent à la nécessité de la critique, comme pour contenir la puissance spirituelle de l’esprit humain dans une cohérence rationnelle. Kant s’en tient à cette dualité, puisqu’il oppose la dialectique à l’analytique (« logique de la vérité »), laquelle ne parvient cependant pas à la connaissance sans jugement synthétique, tout aussi fondamental dans la structure de la critique.

 

Kant a montré dans sa dialectique l’objectivité de l’apparence et la nécessité de la contradiction.

 

Friedrich Hegel, Sciences de la logique.

 

Rebondir sur cette définition de la dialectique laissée en chantier n’a précisément demandé qu’un esprit synthétique comme celui de Friedrich Hegel, parachevant en quelque sorte dans la dialectique le parangon de la critique kantienne, ce qu’elle est comme processus de négation du préexistant, non sans rappeler le scepticisme cartésien quelque part qui se situe peut-être entre l’analytique et la dialectique au sens d’Hegel.

Au demeurant, au rythme binaire à répétition qui siérait à l’analytique, à son processus dichotomique, on pourrait opposer le rythme ternaire de la dialectique hégélienne, qui ajoute à la thèse et à la négation (critique antithétique) de la thèse, la synthèse, surélévation, sommation qui vaut plus que la simple somme, comme la symbiose, comme le progrès né de l’interactivité des populations – qui servira le matérialisme dialectique de Marx – : die Aufhebung, le 3 de l’opération.

 

SYNTHESE

 

L’Aufhebung de la dialectique de ce philo-piste, après la thèse analytique et l’antithèse dialectique, a donc pour objectif d’aller plus loin que la simple étude de la corrélation des deux procédés, mais de faire ressurgir la modalité nouvelle qui en naît, point par une synthèse synthétique, mais par la force de l’exemple. Il ne m’est pas apparu de meilleur support à cet effet que la philosophie d’Henri Bergson, dans laquelle la critique est au centre de balances successives que font vaciller deux concepts opposés alternativement. Au-delà des concepts dualistes classiques, c’est d’abord tout le langage qui fonctionne de cette manière. On en trouvera à loisir dans les expressions de la langue (œufs / panier ; charrue / boeuf ; chat / souris) mais il est d’un autre intérêt encore que de constater qu’il s’agit de la base même des tropes (métonymie, métaphore, synecdoque) et d’un certain nombre de figures. Cette dichotomie apparemment immédiate dans le langage ne reflèterait que le mécanisme catégoriel de l’entendement : comment cela corrobore-t-il donc Kant, qui place trois catégories par classe, disant que la « troisième catégorie résulte toujours de la liaison de la seconde classe avec la première. Ainsi la totalité n’est pas autre chose que la pluralité considérée comme unité, etc. » (Critique de la raison pure).

 

N’est-ce pas là un effort dialectique ? Quoiqu’il en soit, ce dualisme a effectivement conditionné la philosophie de Bergson, commençant par une opposition durée / temps (quand dans l’esthétique transcendantale, Kant a instauré le couple temps / espace), s’enquérissant suite à cela – bien anthropocentriquement – du réalisme de la mémoire-habitude face au spiritualisme de la mémoire pure, d’où la distinction action / connaissance, laquelle fait de l’intelligence et de la science la pratique instinctive de l’homme pour survivre à son monde (pensée de la non-durée), et de l’intuition, empathie de l’esprit avec lui-même et avec ce qui l’entoure, l’instrument de la philosophie.

 

La durée ayant indiscutablement une orientation morale au départ de l’œuvre de Bergson, s’il concède un parallélisme entre science et philosophie vers des absolus propres, c’est cette dernière qui prend le pas sur la première, puisqu’elle considère la conscience et les phénomènes de la vie en ce qu’ils durent. Cette « évolution créatrice » impliquerait de voir le développement des êtres vivants, de l’individu à l’espèce, comme inféodé à un élan vital, lequel rejoint la conception phare de Jean-Baptiste Monet de Lamarck.

 

Sous couvert d’existentialisme, la durée, dont traite la philosophie, puisque son instrument est l’intuition qui permet de l’appréhender, est à la fois le fond de l’être mais la substance même des choses, en ce qu’elles sont nécessairement perçues dans la durée ; le morceau de sucre qui fond sera perçu différemment selon que l’on attende sa fonte ou non.

Puisque pour Bergson, il s’agit plus d’une activité de l’esprit que d’un point de vue existentialiste, cela introduit plutôt ce qui a été appelé sa doctrine pan-spiritualiste.

 

Bergson surenchérit conséquemment sur la morale, affectant sa doctrine, laquelle amène par l’opposition entre rituel religieux et élan spirituel la notion essentielle de sa pensée qu’est le dynamisme. Voilà donc comment, enfilée dans un costume analytique, la dialectique est omniprésente : à la fois, de chaque dualité, il tire une dualité suivante, laquelle n’est pas analytique mais bien synthétique, puisqu’elle fait intervenir l’imagination, notamment dans l’élaboration de l’idée nouvelle, qui constitue à chaque fois une critique ; à la fois, l’ensemble successif des oppositions, de thèses et d’antithèses, forme un ensemble thétique et antithétique qui fait émerger une synthèse générale, une Aufhebung.  

La thèse se rapporte à la philosophie, dont l’instrument d’intuition permet d’appréhender le monde dans sa durée ; l’antithèse à la science, qui use de l’intelligence pour agir sur le monde. La synthèse, le spiritualisme dynamique.

 

Or, ce dernier non seulement s’exprime au travers d’une opposition terminale traitant de morale, mais est moral lui-même, puisqu’en dépassant son statut de synthèse, il entre dans la démonstration d’une supériorité de la philosophie sur la science.

 Où 1+1=3, le 3, synthèse dialectique, doit par définition avoir une portée supérieure à la thèse et à l’antithèse qui doivent s’équivaloir sur le plan démonstratif. Si la dialectique renvoie au mouvement réel de la pensée, celui de Bergson fut d’opérer une critique systématique, tout en installant progressivement des fondations de plus en plus solides pour la justification morale (par la morale) de sa thèse initiale.

Cet écart est-il propre à celui de Bergson ?    

La dialectique n’est-elle pas en substance qu’un leurre, terminant toujours dans un contexte moral parce que son processus est lui-même moral a priori ? La dialectique, et davantage, la critique, sont peut-être condamnées à ne produire des idéologies nouvelles, sans plus de quête de vérité, qu’en rebondissant d’un esprit à l’autre, plutôt que dans un même esprit.         

La dialectique ne serait là que pour permettre à d’autres d’établir une contre-argumentation structurée, critique « coopérative », véritable dialectique alors, où la philosophie rejoindrait la sociologie, et serait cette communauté pour laquelle sur le long terme la critique serait le signe d’additivité, ou plutôt de non-additivité du fameux 1+1=3.

 

 

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