dimanche 28 août 2022

Sujet du Merc. 31 Aout 2022 : Philosophie du langage et construction du sens

 

               Philosophie du langage et construction du sens

 

La correspondance entre notre perception du monde et ce que nous en disons (nos représentations) n’est pas simple, au sens de biunivoque. Toutes les langues sont imprécises, floues, incohérentes : c’est le principe du dialogue, où les intervenants passent leur temps à ajuster leurs représentations, sans que l’accord ne soit jamais garanti.

Alors, comment fonctionne notre rapport au monde :    
 on le décrit, ou on le façonne ? Nos représentations sont-elles une donnée de l’observation, ou une construction par et dans des langues naturelles ? La communication, c’est un processus d’encodage, de transmission et de décodage, ou bien un processus de construction essentiellement variable ?

Petit rappel historique : Platon et Aristote, le Moyen-Âge, la logique classique et les valeurs de vérité, l’époque moderne (Saussure, Martinet, la philosophie du langage de tradition anglo-saxonne, Searle, Chomsky, Tesnière, Benvéniste…), l’intelligence artificielle…

On présente souvent le langage comme un instrument de communication dont on se servirait dans nos interactions sociales. Mais peu de place est accordée aux aspects qui ne s’accommodent pas de ce point de vue idéal, à savoir à la communication non réussie : mensonge, lapsus, productions aphasiques, discours de tel ou tel domaine, humour…

La notion d’ambiguïté devient alors centrale : c’est la propriété d’un terme (mot, phrase, signe…) de recevoir plus d’une interprétation. Et cette propriété dépend des locuteurs, qui ne portent pas forcément les mêmes jugements d’univocité ou d’ambiguïté sur les mêmes termes.

Les langues naturelles présentent, par définition, des propriétés génératrices d’ambiguïté. Par rapport à la séparation en syntaxe, sémantique et pragmatique – c’est toujours pareil : on découpe, on nomme, et on pense avoir fait le tour de la question… –, c’est un renversement de perspective.

Dans le vocabulaire, on retrouve toujours les mêmes notions primitives universelles : ça tombe (le stylo), ça mouille (la pluie), c’est plat (la table), ça ne se produit qu’une fois (la bombe explose), etc. On va pouvoir discuter du stylo qui s’envole ou de la mitraillette qui ne crépite qu’une fois… ou sur la représentation de la glace chez les Inuits ou chez les Wolofs.

La structuration du réel est régulière dans les langues : il y a ce qui est ouvert (le courage), ce qui se compte (les voitures) et ce qui se mesure (la farine). Il y aussi les ‘’state of affairs’’ qui ne sont pas bornés (On l’appelle Trinita), ceux qui sont bornés (Après la pluie, le beau temps), ceux que l’on borne (Il a plu : la route est mouillée), ceux que l’on place dans le non vérifiable (Demain il pleut), etc.

Voir René Thom et les ‘’Modèles mathématiques de la morphogénèse’’, ou encore la construction du réel dans les processus d’acquisition du langage par les enfants en psychologie cognitive.

De même dans le découpage du temps/aspect : passé–présent–futur, ce n’est pas universel. En anglais, on n’a pas de futur, au sens de temps de la conjugaison, mais on a recours à des modaux (will, may, can…), qui renvoient plutôt à des notions de contrainte qui pèsent sur le locuteur, ou pas (You shall do as you’re told, We shall never surrender, Any day will do…).

Le locuteur, nous y voilà. Son activité de sujet parlant consiste à tout repérer par rapport à lui en établissant des identités (je, ici, maintenant), des différences (tu, là-bas, hier) ou des ruptures (il, ailleurs, un jour), dans un entrelacs de relations de repérage, et c’est bien le diable si tous les participants au dialogue sont d’accord…

C’est par là qu’il faut comprendre la construction du sens. Les cas où nous nous comprenons sont bien rares et plutôt miraculeux…

Pour finir, il faut renvoyer aux tentatives de mise à l’épreuve de ces hypothèses par le recours à la formalisation et à la confrontation avec l’outil informatique.

On peut isoler des mots-clés dans une question et les comparer avec les mots-clés d’un texte de référence : c’est la notion d’indexation, à la base des moteurs de recherche.

Pour ce qui est de représenter les n structures lexicales (Il a été blessé au front) ou syntaxiques (Flying planes can be dangerous), on a recours à des programmes qui donnent effectivement les n représentations sous forme d’arbres ou de listes enchassées (notion de récursivité). Pour la pragmatique, la signification selon le contexte d’énonciation, c’est plus compliqué. Les outils conceptuels doivent être construits, là encore, plus loin que la logique des propositions et des prédicats.

Ainsi, lorsqu’il faut produire les innombrables paraphrases d’un énoncé (Il a beaucoup plu, il va pleuvoir, la pluie ne s’arrêtera donc pas, il faudrait qu’il pleuve…), la difficulté est de se donner les moyens de représenter les propriétés topologiques des procès en question (systèmes d’apprentissage), et des grammaires d’opérateurs de repérage pour représenter l’ambiguïté et les ajustements permanents entre locuteurs.

 

C’est le sens des recherches menées naguère à Paris 7, Paris 3, Caen, Clermont-Ferrand, et ailleurs.

 

dimanche 21 août 2022

Sujet du Mercredi 24 Aout 2022 : Comment réfréner la satisfaction de nos désirs ?

 

Comment réfréner la satisfaction de nos désirs ?

L’animal satisfait instantanément ses instincts ce qui lui procure les plaisirs liés à l’assouvissement de sa nature. En cela l’animal n’a pas de désirs. Il est parfaitement conforme à ce qu’il est et se réalise d’emblée comme tel. C’est un être complet en soi. Limité, sans plus.

E. Kant

 
On ne peut pas dire que ce soit le cas de l’homme qui lui n’est jamais pleinement satisfait. Il désire toujours. Parce qu’incomplet il fait toujours un retour réflexif sur lui-même et pense sans cesse aller plus loin. Il n’est pas fini, il est même assez mal fini et est en quelque sorte contre-nature car sans nature complète. Il naît en effet gravement prématuré et inachevé et le reste tout au long de sa vie tant il est dans une recherche illimitée de lui-même en formation dans le rapport social aux autres, avec et grâce à eux. Si bien qu’il ne peut vraiment s’accomplir. Ne serait-ce que pour cette raison constitutive, il ne saurait se contenter d’assouvir instantanément ses désirs en plaisirs pleins et entiers puisque cela lui est impossible du fait même qu’étant incomplet il est toujours en devenir. Il lui faut donc sans cesse tendre à se constituer avec les autres une surnature compensatoire. Ils inventent alors ensemble une culture, laquelle supplée à leur manque originaire.

S’interrogeant nécessairement sur ce déficit et sur ce qu’ils sont et ne sont pas, les hommes demeurent toujours comme dépourvus quoi qu’ils fassent… En recherche permanente, ils placeront au centre de toute culture, qu’il leur faut inventer pour compenser leur manque, une croyance (doxa) en un ou plusieurs « objet » qui les dépasse. Inaccompli dans leur première nature (animale et pulsionnelle), ils ne peuvent vivre sans cette seconde nature ou institution qu’ils créent pour s’y projeter.

La constitution infantile de l’humanité rend nécessaire la fabrication de cet irréel qui devient un nouveau réel où sensation et entendement ne s’accordent pas. Cela peut offusquer mais il demeure que, l’homme étant fini et même toujours mal fini et comme tel sujet à l’hubris et au pathos, il accède alors à l’infini. En effet, si comme les animaux il s’était suffi à lui-même, il n’aurait pas eu besoin d’aller toujours voir ailleurs s’il y était sans néanmoins jamais pouvoir se trouver. La fiction pour lui est donc vitale. L’homme est en effet un corps inabouti auquel se greffent les fictions qui lui permettent d’halluciner ce dont il a besoin pour vivre. On comprend cette nécessité de structuration sans bornes où se trouve l’homme comme sujet en manque de nature instinctuelle accomplie.

B. Spinoza

 
Cette structure, cette construction de soi de l’individu et du collectif humains comme illusion nécessaire ne peut que se délégitimer au cours de l’histoire et doit donc sans cesse être ré-édifiée. C’est ce qui a permis le passage de la croyance religieuse (la doxa) au politique par l’accès à la pensée discursive, critique, rationnelle et réflexive (le logos). Cet accès n’a pu se faire que par une discipline, une ascèse exigeante et continue impliquant une privation, un « moins-jouir » par le report de la satisfaction du désir de déboucher rapidement sur des réponses, une solution définitive qui, par définition, ne saurait exister qu’en rapport avec une nature animale qui, loin s’en faut, n’est pas tout l’apanage de l’humain.

Le conditionnement actuel à la soumission aux pulsions par la démocratie de marché libérale libertaire du laisser-faire («il est interdit d’interdire») conduit à un pseudo assouvissement des désirs par la satisfaction rapide dans les plaisirs toujours renouvelés d’objets marchands de consommation. Cette possibilité de satisfaction des pulsions instinctives n’est cependant qu’illusoire pour les raisons déjà citées. Son incitation illimitée en cours, mais contraire à la condition d’humanité, conduit à de mortifères écarts de la psychè d’individus saisis d’angoisses lancinantes dont on observe aujourd’hui les effets dans le délitement du logos et de la « cité ». La passion des plaisirs commandée par la démocratie libertaire de marché n’est que celle de l’intérêt égoïste illusoire d’individus isolés face à leur versant animal et par là privés du nécessaire accès à la surnature de la culture et de la civilisation. La barbarie vient alors régner tant à l’intérieur des individus que dans leur rapport aux autres.

Réfréner la satisfaction rapide des désirs re-devient alors une nécessité. La culture en est le moyen ; l’outil, l’éducation à l’accès au discours rationnel et réflexif afin de pouvoir s’affirmer comme sujet critique et autonome en rapport avec les autres. Pour assurer à chacun cet accès et faire société, une refondation de l’école est nécessaire sur le modèle de la scholè grecque dont l’objet premier était l’apprentissage de la maîtrise de soi et du contrôle des passions par divers exercices et enseignements; et certes pas par l’abandon au bon-vouloir et «génie» de l’immature animal contemporain.

Mais en pratique que faire aujourd’hui ? C’est à vous de le dire. Néanmoins en voici des bribes. Tout d’abord et en contradiction avec le dogme libéral, seule une institution peut promouvoir et défendre la chose publique et le bien commun contre les intérêts particuliers privés parce que c’est le seul cadre possible permettant le complet développement de l’être-soi libéré (le sujet) de tout accaparement. Cette institution, qui ne peut être que l’Etat, mettra fin à la transformation des services publics (école, santé, etc.) en entreprises devant à toute force dégager des profits croissants. Ensuite ne faut-il pas envisager de revenir sur : 1) le dogme libéral du « laisser-faire », 2) l’application du principe d’illimitation de l’économie marchande aux autres économies (politique, symbolique, sémiotique, psychique), 3) la logique de l’efficacité à court terme et de l’exténuation du vivant et de l’environnement, 4) l’accaparement de la femme et sa mise à l’écart du logos, 5) le rejet de l’éthique ou de la dignité de tout homme tenu comme fin et jamais comme moyen (Kant). On trouverait d’autres mesures à instaurer mais sans doute moins cruciales.

Ne voit-on pas enfin qu’entre le laisser-faire illimité actuel du pathos consommatoire et l’abandon à une croyance (doxa) qu’elle nous dépasse ou soit banale et à laquelle on s’abandonnerait par facilité, l’édification de soi avec les autres dans une civilisation digne des hommes ne peut aboutir que par la rigueur et l’ascèse d’une pensée critique.

 

samedi 13 août 2022

Sujet du Mercredi 17 aout 2022 : L’homme précède-t-il la société ?

 

L’homme précède-t-il la société ?

Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation de vide de la pensée progressiste. Une situation dans laquelle les politiques justifient leurs décisions au nom de l’économie, source de tout bien et réalité dernière (à la volonté de dieu se sont substituer les exigences du marché). Une situation dans laquelle les mouvements qui contestent la soumission de la politique à l’économie ne dispose pas encore d’une philosophie alternative. Une situation dans laquelle les partis dits socialistes sont incapables de penser et de dire ce qu’est au juste une société.

 

C’est que nous sommes actuellement dans une période de transition entre deux conceptions de l’être humain et de la société : l’une qui, bien qu’obsolète, est dominante (un peu comme le géocentrisme au début du XVII siècle); l’autre qui, lentement et silencieusement, est en train de se constituer et n’a pas encore de visibilité (tel l’héliocentrisme à la même époque).

 

L’ancienne conception, étroitement liée au grand mouvement d’émancipation de l’individu, qui traverse la philosophie antique, le christianisme puis la pensée des Lumières, voit dans la société une organisation utilitaire dont, par conséquent, l’économie constitue la base. Cette idée, qui passe aujourd’hui pour une évidence, fut soutenue par le marxisme et l’est encore par la science économique orthodoxe.

 

La nouvelle vision, encore en germe, se traduira par une conception de l’être humain et de la société très différente. … la vie en société précède l’émergence des individus, et l’économie n’est donc pas la seule base de la société, l’être même des individus n’est pas extérieur à la vie en société, mais se constitue dans et par celle-ci, de sorte que leur interdépendance est beaucoup plus profonde que la notion de contrat ne nous le fait croire.

 

… Les biens marchands ne constituent qu’une partie des biens et des liens qui soutiennent l’existence des individus, et il est donc faux de dire que, « quand l’économie va, tout va ».  L’idée que la croissance économique constitue une fin en soi implique que la société est un moyen. Mais, s’il apparaît que la vie sociale et la culture constituent également une fin en soi, la place de l’économie dans la société se conçoit autrement. Et autrement aussi la politique.

 

Cette révolution entraînera d’ailleurs des remaniements considérables dans la philosophie, les sciences cognitives et la morale.  Dans la philosophie, parce que les nouvelles connaissances sont difficilement compatibles avec la conception du sujet à laquelle la philosophie reste profondément attachée. Dans les sciences cognitives, parce qu’il faudra tenir compte du fait que le cerveau ne fonctionne pas par lui-même comme le foie ou les muscles, mais en réseau avec d’autres cerveaux. Dans la morale, parce qu’il faudra repenser l’autonomie en tenant compte d’une interdépendance dont les effets échappent à la volonté.

 

En somme depuis la renaissance, la volonté d’émancipation et de progrès a fait fond sur une vision prométhéenne de l’être humain. Il s’agit désormais, tout en gardant cette volonté, d’entrer dans une ère post prométhéenne.

 

Philon d’Alexandrie nous montrait Adam et Ève déjà pleinement humains. Hobbes et Locke professeront une conception artificialiste de la société. L’important pour la modernité était de se débarrasser du pécher originel, mais en le faisant, les philosophes des lumières ont quand même caressé l’idée d’un être humain originel, s’élevant à lui-même, par lui-même, sans le secours d’aucune vie sociale.

 

Le point essentiel est que l’existence psychique, l’être même de tout individu -si égoïste soit-il- ne peut se reproduire et s’entretenir que dans un réseau d’interdépendance sociale où circulent les différents types de biens marchands et non marchands. (Dans son étude sur le don, Mauss s’interroge sur notre conception de l’être humain, sur son besoin fondamental de relations entre personnes, la nécessité de nourrir l’existence psychique et sociale qui ne peut être obtenu par les échanges marchands)

 

A côté du « chacun pour soi » ou dans  un sens plus positif, l’ensemble des manières de vivre et des ressources sociales qui permettent à un individu de se développer librement et de s’épanouir,  l’individualisme peut aussi désigner une certaine conception de ce qu’est l’être humain qui implique que l’existence de soi est une donnée de base, un fait naturel : d’abord l’individu existe confronté aux choses, ensuite il noue des relations avec les autres.

Les occidentaux opposent cette conception à celle des africains ou des asiatiques pour qui l’individu « ne compte pas ». Les sociétés non occidentales ont tendance à penser qu’une personne ne saurait exister sans occuper une place par rapport à d’autres et entretenir des liens avec eux. L’homme libre y est souvent défini comme celui qui peut s’appuyer sur les liens familiaux ou sociaux, alors que l’esclave lui est sans lien.

 

Extraits de l’ouvrage «  le paradoxe de Robinson » François Flahault , (2003)

lundi 8 août 2022

Sujet du Mercredi 10 aout 2022 : SOCRATE a-t-il menti ?

 

SOCRATE a-t-il menti ?

Nous ne connaissons de Socrate presque exclusivement que ce qu’en dit Platon. Il devait harceler les autres, les inciter au dialogue parce qu’il était contraint par un oracle qui faisait de lui « le plus sage des grecs » (Apologie de Socrate).

Pour savoir d’où lui venait cet honneur il se mit donc de poser des questions pour savoir ce qu’il avait de plus que les autres.

Au final il se rendit compte (nous dit Platon) c’est que la seule chose qui le distinguait des autres c'était son absence d'illusion quant à son propre savoir. Ce n'était pas un plus, c'était un moins : il avait moins d’illusions que les autres sur ce qu'il croyait savoir, puisque, précisément, il n'était sûr de rien, tandis que les autre croyaient, sur un sujet, sur un domaine, sur un point de droit, de morale, de politique, ou de religion, savoir quelque chose.

Mais c’est là la version de Platon !

 

S'il faut en croire Xénophon, Socrate était avant tout moralisateur. Peu porté à la rhétorique, il se plaisait à déceler le juste et l'injuste dans les actions dont il était le témoin. Si bien qu’on prit l’habitude de lui soumettre des   cas « difficiles », Souvent invité aux banquets des riches, il savait faire preuve de modération, tant sur les mots que sur la boisson. Encore fallait-il ne pas le provoquer, car, alors, il se révélait redoutable - sur un terrain comme sur l'autre. Jamais ivre, toujours maître de lui aussi bien en paroles qu'en actes, c'est surtout par son mode de vie que Socrate était remarquable.

Selon Xénophon, Socrate vivait pour le « bien » donnant le premier l’exemple de ce qu'était la vie d’un juste. C'était, en outre, le seul moyen de faire renaître pour de bon  dans la cité le goût de la vertu si souvent bafouée.

Mais voici qu’intervient Aristophane, Et là Socrate nous est dépeint sous un tout autre jour.

 

Aristophane ( Les Nuées) reproche à Socrate des faits graves: il s'agit ni plus ni moins de la cohésion interne de la cité et de la permanence de sa protection par les dieux. Selon Aristophane, Socrate méritait l'opprobre parce qu'il enseignait l'art de ne pas tenir ses engagements. Grâce à des raisonnements ad hoc, on pouvait apprendre à faire passer le noir pour du blanc, à neutraliser toute affirmation et à faire naître à volonté l'incertitude, ce qui à l'occasion procurait notamment l'avantage de débouter ses créanciers le jour venu et, par conséquent, de ne jamais payer ses dettes lors qu’on en faisait de nouvelles.

Accusation redoutable! Car, si de tels actes se multiplient, la confiance disparaît entre citoyens, entre générations, entre hommes et dieux.

Du reste, faut-il vraiment choisir? Que Socrate ait enseigné l'art du sophisme, qu'il ait tait payer ses leçons, cela n’est guère compatible avec l'image qu'en donnent ses disciples. Mais qu'il ait contribué à déstabiliser la démocratie en importunant ses concitoyens, à une période où Athènes était particulièrement vulnérable, voilà qui rapproche tous les points de vue.

Le sort d’Athènes était en effet scellé, en -404 ce fut la débâcle. La dictature des Trente dura un an et la démocratie reprit le dessus. Mais Socrate continuait à poser ses questions au point d’importuner les prêtres et les maitres de la cité. Il fut condamné à mort.

 

Il va donc résister à ses amis qui cherchent à le faire s’enfuir de sa prison car il respecte la loi de la cité.

La mort, il ne la craint pas et ce pour trois raisons :

-        Sa dignité

-        Sa force de caractère, il n’a pas peur.

-        Sa doctrine la plus importante, il croit à l’immortalité de l’âme.        

Va pour les deux premières explications rapportées par Platon et Xénophon. Mais la troisième pose problème.

 

Comment l’homme « les plus sage des grecs » celui qui a proclamé partout que « tout ce qu’il savait c’est qu’il ne savait rien », phrase quasi mythologique de toute la philosophie, comment cet homme, s’il prétend ne rien savoir, sait il que son âme est immortelle ?

Dernière pirouette sophistique ? Socrate nous aurait il menti depuis le début ?

Son refus des hommes, lui qui n’a cessé de les questionner, le pousse  t il  jusqu’à la réjouissance de mourir ? Puisqu’il n’a rien pu pour sa cité, n’espère t il plus rien de ses concitoyens ?

Dès lors sa mort telle qu’il la conçoit n’est elle pas une fuite vers un au-delà dont il nous avait secrètement caché le doux réconfort pour un homme âgé et las ?

( Certaines références de ce texte sont extraites du livre de Marc Sautet :un café pour Socrate – 1995 – Ed. R. Laffont )

mardi 2 août 2022

Sujet du Merc. 03 aout 2022 : Philosophie et poésie : comment se rencontrent-elles ?

 

              Philosophie et poésie : comment se rencontrent-elles ?

Philosophie et poésie me semble être dans une quête de vérité, de manières différentes : la première à travers la raison, la seconde à travers les sens. J’ai trouvé intéressant d’amener le questionnement sur ce qui les font se rencontrer, et ainsi ce qui les différencie.

Selon Santo Alessandro Arcoleo, philosophe contemporain Italien, le rapport poésie-philosophie joue un rôle important dans la pensée de Marcel Conche dès ses premières pages dédiées à Épicure, Lucrèce et Montaigne : « Si nombre d’ouvrages de philosophie distillent l’ennui, c’est que la vie en est absente... Le simple jeu des concepts n’apporte pas la vie... Il y a différentes façons de faire vivre un ouvrage. La poésie en est une », écrivait Marcel Conche dans ses réponses à A. Comte-Sponville. La confrontation entre poésie et philosophie ou pour adopter ses termes, entre créativité et sagesse, est très ancienne : malgré ce qui les rapproche parfois, elles demeurent irréductiblement séparées. La vérité de la poésie et celle de la philosophie nous donnent des perspectives tout à fait différentes sur l’homme. « Le réel de l’artiste n’est autre que le réel commun... Quant au Tout, ce peut-être la Nature : la Nature est alors ressentie comme le Tout. Mais la Nature est-elle le Tout ? La question n’est pas posée. Ainsi, il est essentiel à la philosophie de poser des questions que l’artiste, comme tel, ne pose pas : ce sont les questions dites ultimes, par lesquelles la philosophie s’est, dès l’origine, distinguée aussi bien de l’artiste que du savant. » La vision esthétique qui définit la poésie comme connaissance plus élargie de la réalité humaine serait en accord avec l’affirmation de Dostoïevski qui soutient que ce sera la beauté qui un jour sauvera le monde.
En effet, les efforts que la raison produit pour atteindre une connaissance de la réalité humaine pâlissent devant les renseignements de la poésie qui nous conduit à une illusion « productrice de vérité ».
 Appréciant les idées philosophiques et la poésie de François Cheng il me tenait à cœur de le citer ici. Voici comment l’écrivain et poète Matthias Vincenot parle de la poésie de François Cheng:

La poésie de François Cheng est au plus proche des éléments et leur redonne vie, essence, dans l’écriture. Quelque chose naît du mot, qui le charge moins d’une signification que d’une sensation, celle que procure son énoncé même. En effet, si la poésie est une certaine façon de dire le monde, elle est aussi une façon de dire le langage. Non pas nécessairement le réinventer, mais l’utiliser au maximum de ses possibilités. Il y a dans la poésie de Cheng comme une manière d’être au monde, proche de l’essentiel : la pierre, l’arbre, par exemple. Mais leur présence n’est pas anodine, et elle reprend sens par l’entremise de la poésie, qui les réinvestit. Cette poésie est aussi proche du mot, car si la poésie souvent tourne autour du langage, celle de Cheng est, assurément, une poésie du mot. Non du mot juste, mais du mot comme objet à observer et non pas à investir d’un nouveau sens, mais à ressentir, au sens premier. Il y a la définition d’un mot, mais il y a quelque chose avant le sens, et le mot existe, non pas pour lui-même, mais en lui-même.

Cette présentation se terminera à propos du mystère qui relient philosophie et poésie.

Selon Bernard Grasset, éditeur, l’appel du mystère résonne comme l’appel à une autre parole. Le Logos est le chemin de la pensée et du poème vers le mystère. Que demeure présent le mystère au cœur de l’homme, à son intelligence, qu’il aime le mystère, s’en nourrisse, telle est la tâche la plus haute confiée au poète et au philosophe. Et si les poètes-penseurs, les penseurs-poètes, au sein de notre monde errant, saturé de vide et tremblant d’indéfinissable attente, si les penseurs-poètes, les poètes-penseurs étaient les derniers gardiens du mystère…

Pour terminer, un poème de François Cheng, abordant le thème du mystère :

Bleus de la profondeur,

Nous n’en finirons pas

D’interroger votre mystère

L’illimité n’étant point à notre portée

Il nous reste à creuser,

O bleus,

Du ciel et de la mer,

Votre mystère qui n’est autre,

Que nos propres bleus à l’âme. 

Sujet du Merc. 17 Avril 2024 : L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme …

           L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme …   Tout système économique institutionnalisé sous la forme d’un état, de lo...