samedi 25 juin 2022

Sujet du Merc. 29 Juin 2022 : "Nécoutez jamais votre coeur" A. D. marquis de Sade.

                              « N’écoutez jamais votre cœur » Sade


« N’écoutez jamais votre cœur, mon enfant, c’est le guide le plus faux que nous ayons reçu de la nature. » in Philosopie dans le boudoir – A.D de Sade


Sade (1740-1814), noble et franc-maçon, passera 27 années en prison. Ses œuvres ne seront publiées ouvertement par un éditeur qu’en 1957.

 

Il connait les auteurs des Lumières de son temps et il partage leur vision du monde. Un monde dans lequel dieu est une chimère au service du pouvoir, un monde dans lequel le citoyen, puis l’individu vont balayer le sujet féodal.

L’homme est désormais libre. Mais sa liberté a-t-elle des bornes ?

Pour Sade l’homme est de nature. Et la nature n’éprouve ni sentiment ni morale. C’est le règne de la nécessité.

Pour Sade si l’homme est de nature, c’est l’homme « fort ». La position sociale (le noble, le bourgeois) s’explique par la force. L’homme sadien n’est pas l’homme kantien : pas de morale sacrificielle, pas d’intérêt général, mais un calcul froid sur ce que peuvent lui apporter les autres ou les situations : “Il ne faut jamais calculer les choses que par la relation qu’elles ont avec notre intérêt“. On retrouve ici Hobbes et Adam Smith.

Sade défend aussi l’idée d’une absence d’identité ou d’universalité entre les hommes. Chacun, nous dit-il, est unique et porté par sa propre nature, on ne peut donc pas leur demander d’agir de la même manière. En découle un relativisme moral, fondée sur une conception différenciée de l’homme, qui rappelle celle de Sartre sur la question de la nature humaine : “Je vous demande si elle est bien juste la loi qui ordonne à celui qui n’a rien de respecter celui qui a tout : ce qui va pour l’un ne va pas à l’autre”

Pour résumer Sade nous propose une définition nouvelle de la « nature humaine ». Elle est désormais poussée à son paroxysme. Mélange détonant entre l’ouverture des Lumières et le cadre rigide de la structure sociale féodale.
Pour Sade tout provient de la Nature. Et dans sa citation, qui sert de sujet ce soir, il nous dit que le cœur (passions, sentiments, émotions…)
« est le guide le plus faux que nous ayons reçu …de la nature ».
Cette nature qu’il déifie aurait elle donc failli ? Il y aurait donc une imperfection de la nature (à la différence des dieux) et ce serait de croire qu’il est possible de comprendre le monde à partir de ce « cœur » ? Pour le coup nous pourrions dire que chez Sade il y a une ruse de …la nature (pour paraphraser Hegel).

L’œuvre de Sade est complexe, foisonnante. Les biens pensants d’aujourd’hui du style M. Onfray, ont tôt fait de diaboliser « Sade le fasciste ». Mais L’injonction sadienne : « n’écoutez jamais votre cœur » n’est elle pas destinée à rendre les hommes lucides ? Sade ne nous dit il pas aussi : « A quelque point qu'en frémissent les hommes, la philosophie doit tout dire. ». Tout dire ; mais combien de philosophes ou d’écrivains, de créateurs, ont-ils eu le courage, la volonté de « tout dire » ? Peu, et souvent ils l’ont payé cher !

Une piste aussi, peut être, pour rentrer dans la pensée de Sade « Je ne m'adresse qu'à des gens capables de m'entendre, et ceux-là me liront sans danger. ». La philosophie, les choses nouvelles, doivent être vues avec des yeux neufs, que la clarté n’éblouit point. La philosophie est un apprentissage et un savoir. Pas une émotion. Loin des passions.

Bien sûr cela a des conséquences sur celui qui émet des propos nouveaux, scandaleux, dérangeants, « Ce n'est point ma façon de penser qui a fait mon malheur, c'est celle des autres. » répond un Sade qui assume.

Libres à vous, aussi libres que Sade – je l’espère -, de vous prononcer sans détour, ce soir, sur cette phrase sortie de Sade l’éducateur de la « philosophie dans le Boudoir – Français encore un effort pour être républicains ».

Ne craignez rien car, comme le dit le Marquis, : « Plus un homme triomphe des préjugés, plus il est raisonnable. ». Et comme chacun le sait un café philosophique n’est pas un lieu de préjugés. S’en est même un des principes ! 

lundi 20 juin 2022

Sujet du Merc. 22 Juin 2022 : Est ce que ça change ?

 

                                              EST CE QUE ÇA CHANGE ?

Mots et concepts connexes : finalité-finalisme, relativité-relativisme, monisme-dualisme-pluralisme, etc.

Attention, il s'agit là sans doute de la question philosophique qui nous détermine au fond, même si c'est souvent à notre insu. Par l'indéfini du "ça" de l’intitulé on signifie Monde, Univers, Tout : le Tout de toutes les choses qui existent. (L’utilisation de majuscules souligne le caractère idéaliste de ces mots, notions et concepts.)

Cela dit nous pouvons démarrer.

L'intitulé du texte est déroutant. Il suggère le contraire de l'évidence pour des Européens comme nous construits et formatés par trois millénaires de monothéisme et de philosophie idéaliste, spiritualiste et anti matérialiste. Cette situation a des conséquences pratiques radicales. Par exemple, bien que nous constations que tout change sans cesse autour de nous, souvent nous souhaitons et affirmons le contraire. Cela contredit le fait logique relevé par Parménide et les Eléates qu’ "une chose ne peut pas être et ne pas être" ou, en même temps, être et être son contraire.

Ce constructivisme ancien est à l'opposé de la déconstruction actuelle qui, néanmoins, lui reste intimement liée comme l'est l'indispensable contraire de toute chose. Cette évolution a conduit au relativisme qui débouche sur une forme de nihilisme par lequel le plus fort peut prendre le pouvoir et en abuser sans limite. Entre constructivisme et déconstruction, l'un et l'autre constituant une même illusion trompeuse, il y a un réalisme matérialiste pluraliste tenant compte de l'évolution des choses. Voyons cela.

Les Grecs anciens se posaient sans cesse la question lancinante du changement et cela jusqu'à de nombreux philosophes actuels. Ce questionnement a historiquement séparé les philosophes en deux groupes. Nous en sommes les héritiers au quotidien quand nous pouvons affirmer tout et son contraire, croire que tout est permanent et à la fois changeant ! Par exemple, se dire athée tout en croyant à un Principe explicatif directeur.

Un premier groupe comprend ceux qui postulèrent une organisation de ce qu'ils ont appelé le "Cosmos", le Tout ou le Monde qui, pour qu'Il puisse logiquement exister, doit faire saillie, sortir du lot. En effet, toute chose quelle qu'elle soit -- et le Monde en est une, même s'Il comprend toutes les choses -- n'existe que parce qu'elle apparaît quelque part en dehors d’elle-même. C'est tout simplement logique. Et enfin le Monde, le Grand Tout ne peut pas apparaître en lui-même, dans le Monde ; sinon Celui-ci n'est plus le Monde. L'ensemble des ensembles (de toutes les choses) n'existe pas, ainsi que l'a démontré le philosophe logicien Bertrand Russell. C'est pourquoi les premiers philosophes grecs de la nature, afin d'admettre que le Monde existe comme Principe Unique et immuable (permanent, sans changement) qui engloberait Tout, ont dû -- de façon illogique -- inventer le Chaos universel, le Néant du tout sans cesse changeant. Ce que précisément le penser humain peine à appréhender tel quel sans avoir recours à un Principe ou Référent absolu (soutenu par des archétypes). Ce Principe premier est une aporie de laquelle il faut s'échapper pour ne pas tomber dans l'absurde. C'est pourtant là où ordinairement l'on se perd sans se rendre compte de l'inanité de la situation.

Une petite balade philosophique avec Markus Gabriel dans "Warung es die Welt nicht gibt ?" (2013), mais en version française, aidera à le comprendre *.

Reconnaissons qu’un tel Principe de fixité absolue n'existe pas. C'est une illusion dont on aime se bercer. Si bien que, voulant échapper aux mythes et aux dieux, les premiers philosophes en sont néanmoins restés prisonniers. Pour maintenir l'illusion du Principe idéaliste, il leur fallut sans cesse tenter d'abattre tout réalisme matérialiste et pluraliste qui reconnaisse le caractère évolutif de toute chose. Y compris celui du Monde qui ne saurait être fixe, stable et immuable comme issu de toute pièce d'un Dieu créateur, Primus Motor ou Principe originel explicatif d'un Tout illusoire.

Là est le fondement des monothéismes, idéologies et fanatismes, tyrannies et autres affabulations, manipulations mentales et propagandes. En voici quelques exemples concrets actuels : la psychanalyse qui sabote les cœurs et les esprits, la propagande de pandémies et de guerres dont la vérité est la première victime, la science de l'écologie retournée en fanatisme religieux. Ou encore le dogme du consumérisme pulsionnel, celui du capitalisme de l'individu-roi incité sans cesse à se berner lui-même comme Narcisse, celui de la réification humaine quotidienne. Bref, ce sont là les effets de l'imposition constante et conjointe du constructivisme et de son inaliénable associée, la déconstruction philosophique des esprits comme participant tous deux d’une même illusion idéaliste.

La simplicité d'un réalisme matérialiste, pluraliste et évolutif admettant la réalité des changements serait sans doute plus proche des choses réelles.

* "Pourquoi le monde n'existe pas ?" (Biblio essais, Le Livre de Poche). Il faut entendre " comment s'y prendre pour comprendre que le concept monde est creux". Dire que le monde existe est une vue de l'esprit et associer cette croyance à l'affirmation que tout change est absurde. Même si la majorité d'entre nous n'arrête pas sans cesse d'affirmer chaque jour et dans un même souffle que ces deux propositions, bien que parfaitement contradictoires et incompatibles, soient conjointement acceptables.

lundi 13 juin 2022

Sujet du merc. 15 Juin 2022 : Qu'est ce que penser ?

 

                      Qu'est ce que penser ?

La pensée est l’une des productions de l’esprit. Les définitions concernant l’action de penser sont multiples. Il s’agit avant tout de former et de combiner des idées, de construire des raisonnements.

Penser par soi-même, c’est ne pas sen remettre au jugement dautrui, c’est se forger sa propre opinion, en s’éloignant autant que possible des croyances ou des idées reçues. C’est savoir se donner des champs de réflexion. Penser, c’est imaginer par avance, prévoir, évaluer les conséquences avant dagir. 

Penser est difficile, parce quune telle activité nous oblige à voir le monde en face, à ne plus nous soustraire à ce quil est, mais aussi à ce que nous sommes. Penser, cest accepter, cest chercher à comprendre. Rien nest plus délicat que de poser ses yeux sur les beautés comme sur les horreurs des Hommes et du monde. Mais penser cest aussi aspirer à la liberté. Exercer sa liberté dans sa pensée, cest accepter, encore, que cette dernière puisse se perdre dans des chemins tortueux. Cest accepter lidée même de la responsabilité d’être à lorigine de ses pensées et l’idée d’être responsable tout court.

Le reste du monde ne vient plus plaquer dans notre cerveau des idées préconçues. Non, ces idées sont retravaillées par un processus intellectuel, sont interrogées, passées au filtre de nos convictions les plus profondes. Sextirper de la dépendance, devenir autonome : tout ceci est déjà délicat matériellement, alors comment ne pas s’étonner de la difficulté à le devenir complètement ? La pensée vient gonfler un peu plus encore langoisse existentielle qui nous habite. Oui, penser en soi est dangereux. Tout le processus est une prise de risque perpétuelle. Penser fait peur, inquiète, parce que ce que nous aimons occulter dhabitude, le Mal, le Chaos, la complexité. Le reste du monde auquel nous sommes assimilés nous contraint à agir en interaction avec les autres. Peu à peu, une pensée collective remplace la conscience qui s’éteint et lhomme disparaît.

 On pourrait affirmer ici que sont négligés les sentiments. On pourrait en effet penser quil est nécessaire d’éteindre le cerveau pour laisser parler son cœur. Les émotions seraient alors plus pures et transmissibles avec davantage daisance. Lamour et lamitié seraient alors débarrassés de la conscience pour pleinement sexprimer.  De même, que dire de lArt, de la Création, de la Culture, si tout devait être intellectualisé? Seraient-ils tués dans l’œuf ? Faudrait-il, à linstar des sentiments, laisser libre cours à la virtuosité, « sans cerveau », pour créer’ inventer, imaginer, contempler’ atteindre ce qui fait de nous des êtres humains ?

La pensée reste un préalable à toutes nos actions. Cest en cela quelle est dangereuse. Parce que nous sommes humains, nous ne pouvons pas aimer, créer, jouir, sans penser. Cest en laissant lesprit vagabonder, contempler, imaginer, que la création sengage. Nietzsche appelle à une forme divresse dans lArt. ne peut-on pas latteindre dans une ivresse de liberté ? dans le chaos de nos pensées contradictoires, dissonantes ? dans langoisse existentielle qui croît chaque jour un peu plus à force de pensées? L’état supérieur auquel nous aspirons dans la création comme dans la jouissance ne sera jamais pleinement vécu en absence de pensée : il sera contenu, retenu par les pensées du monde extérieur immiscées dans nos cerveaux. Les détricoter, les faire nôtres est le seul moyen de nous extirper de l’état actuel et datteindre cet état personnel désiré, inaccessible sil est censuré par la vision des autres.

Cesser de penser nest rien dautre que linterruption de jugement qui conduit à la banalité du mal, tels que vus et revus avec Arendt et Terestchenko. Le risque saccroît chaque jour davantage. Le place que nous avons accordée au travail dans nos sociétés comme dans nos vies ne risque pas de changer la donne. Pire, lintérêt du travail, et linvestissement que nous lui offrons, conditionnent de plus en plus notre souhait de liberté, alors même que le travail et la société consument peu à peu les autres espaces de notre vie. La seconde cherche à simposer dans nos cerveaux pendant que le premier les occupe.

Nos cerveaux devraient être en veille. Non pas placés en veille, cest-à-dire à un état de conscience minimal. Penser « un peu » reviendrait à avoir seulement conscience des grands mécanismes qui cherchent à structurer nos vies, mais sy soumettre tout de même. Penser pour être libre, Mais à quel prix ? Au prix de langoisse, de la peur, de la pleine conscience dun monde incompréhensible? Arendt  répondrait que le plus dangereux restera toujours de ne pas penser.

A l’extérieur, les contradictions qui nourrissent notre époque ne sont pas si éloignées de celles connues par Hegel. Il se demandait comment définir les critères qui nous permettraient de nous assurer de la correspondance entre ce que l’on pense et ce qui est vraiment? Rien n’est vrai par soi-même, tout doit s’avérer, se vérifier. Dans cette logique de négation, chaque nouvelle figure de l’esprit, supérieure à la précédente, en suppose la suppression. Ce mouvement dialectique serait la vie même de l’esprit.

A l’intérieur, Pascal considère que chaque homme est soumis à une guerre des sens qui fait naître en lui une insatisfaction fondamentale conduisant les philosophes à l’orgueil des stoïciens ou au désespoir de sceptiques. Nombre d’obstacles empêche la pensée d’être livrée à elle-même. L’amour-propre centre l’homme sur lui-même et l’empêche de penser au néant, l’imagination permet de meubler le vide qui hante notre condition, le divertissement nous empêche de penser à la mort. Et pourtant, sa pensée, bien que bornée, confère à l’homme une dignité inégalable en le rendant capable de méditer sur sa condition, si misérable soit-elle.

 


jeudi 2 juin 2022

Sujet du Merc. 08 Juin 2022 : « Le travail : aliénation ou émancipation ? »

 

                               « Le travail : aliénation ou émancipation ? »

Définitions :

·       Travail : du latin tripalium (instrument constitué de trois pieux pour maintenir les bœufs ou les chevaux difficiles à ferrer, plus généralement :   instrument de torture).

 Activité professionnelle et rémunérée, avec une connotation de contrainte pénible.

Mot grecque correspondant : poiësis (fabrication, production), ergon (œuvre)

En latin : labor

·       Aliénation : Etat de l’individu dépossédé de lui –même par la soumission de  son existence  à un ordre de choses auquel il participe  mais qui le domine. 

Plus précisément chez Hegel et Marx :  état de l’individu qui par suite des conditions sociales (économiques, politiques, religieuses) est privé de son humanité et est asservi.

·       Par extension : tout processus par lequel l’être humain est rendu comme étranger à lui-même.
Émancipation : Action de s’affranchir d’une autorité de servitudes, des contraintes sociales.

Il est nécessaire de travailler mais pourquoi ?

Parce qu’il éprouve des besoins (nourriture, protection) que la nature ne satisfait pas immédiatement, l’homme   doit travailler, c’est le travail biologique

 Comment envisager cette activité ? est – ce un asservissement ou une libération ? une contrainte ou un plaisir ?

Tout type de travail serait-il aliénant ? ou bien seulement certains ?

Au contraire que voudrait dire le travail libère ? de quoi ? comment ? à quelles conditions ?

Comment doit –on comprendre l’expression pour vivre ?

Est – ce dans le sens purement physique ?  Le travail est le moyen d’acquérir les biens nécessaires à sa subsistance ; en un sens social ? le travail permet de trouver sa place au sein de la société ; en un sens d’épanouissement personnel ? le travail offrant la possibilité de se réaliser

Le travail est- il d’ailleurs une condition nécessaire à ses différents objectifs ? est –il une valeur universelle ?

Le travail : aliénation ?

L’aliénation intègre une double inflexion conceptuelle : la séparation et l’hétéronomie, prenant la forme de trois paradoxes majeurs dont la source est la contradiction entre capital et travail

Le travail représente pour l’ouvrier un appauvrissement alors qu’il participe à l’accroissement de la richesse produite,

L’aliénation implique un dépouillement physique, moral et économique pour l’ouvrier, donc

Une déperdition de son être,

Elle se traduit en outre par une forme d’étrangeté entre l’activité du salarié et le produit fini.

Dans le travail, l’ouvrier se nie lui-même, il est étranger aux conditions et au modalités de son travail, l’aliénation devient sacrifice de soi. 

Dans la tradition judéo chrétienne, depuis la genèse une malédiction divine (châtiment de Dieu de la faute d’Adam et Eve au paradis terrestre) pèse sur le travail.

Longtemps ce terme n’évoqua qu’un labeur pénible, improductif et méprisant.

Dans la cité grecque, le travail était dévolu aux esclaves, cependant que les citoyens ainsi déchargés des problèmes de subsistances pouvaient se consacrer à la vie politique.

Le travail se distinguait donc de l’action (praxis) qui manifestait la liberté humaine tout autant que la production (poiésis), travail par lequel l’homme s’approprie le monde en transformant la nature à son image.     

C’est au nom de la nécessité du travail biologique qu’Aristote justifiera l’institution de l’esclavage :    

En 1776 , Adam Smith publie un traité intitulé recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations qui  met en lumière les avantages de la division du travail, (séparation de la conception  et de l’exécution) , particulièrement en accroissant la puissance productive des hommes mais en mettant simultanément les travailleurs en état d’hétéronomie qui se manifestera  par un affaiblissement du lien social, de la conscience de classe  et d’un appauvrissement des tâches, le tout conduisant à une déshumanisation de l’acte de production.

Le travail va alors apparaître sous le double aspect de la contrainte naturelle et sociale et de la libération humaine.

Avec l’exercice d’un management  à forme pyramidale (toutes les instructions  partent  du haut vers le bas sans aucune concertation) et le  morcellement du travail  qui  ira  crescendo  au fur et à mesure  du développement de la croissance  économique et de la mondialisation, laquelle aggravera encore les conditions de travail devant l’ exigence des entrepreneurs de taux de profits de  plus en plus élevés eu égard à l’élévation des risques encourus sur les investissements internationaux, le travail n’est plus une valeur et va à l’encontre de la réalisation de soi du travailleur.  

 Marx (dans les manuscrits de 1844) montre que dans la modernité, avec le développement du mode de   production capitaliste, le travail est aliéné. Il cesse d’être une création de soi pour soi. Il devient une source d’abêtissement qui, au lieu d’humaniser l’homme, le rabaisse en deçà de l’humanité.  Ainsi l’homme devient étranger à lui-même, dépossédé à la fois de l’objet qu’il fabrique (séparation totale de la conception et de l’exécution) et de son essence propre.  

Le travail : Emancipation ?

Si parmi les conséquences heureuses de la révolution française on peut retenir l’avènement de la première République, la fin du pouvoir de droit divin et la naissance de l’homme citoyen détenteur de la souveraineté par délégation de la nation et au total la naissance d’un courant libéral qui conduira au cours du 19° siècle au suffrage universel et à la démocratie, donc à un homme ayant conquis la liberté politique ;

La démocratie conduira aussi à la naissance d’un courant égalitariste uniformisant et à une forme d’individualisme qui va s’exprimer à travers le cogito à la mode « je consomme donc je suis » que Marx aurait pu qualifier d’aliénation moderne tant les besoins réels ou artificiels (stimulés par le système) sont sans limite et rendent l’homme encore plus dépendant qu’avant de son travail.

Libérés politiquement mais toujours aliénés par leur travail, tous ceux qui pour vivre ne disposent que de leur force de travail, sont toujours obligés de l’échanger contre un salaire et  parce que leurs besoins se renouvellent  naturellement et que les produits du travail disparaissent dans la consommation sont, tel Sisyphe,  obligés  de  recommencer sempiternellement leur labeur, privés  d’une partie de leur liberté.

 

Réflexions :

Il apparaît donc que ce n’est pas le travail qui est une malédiction en soi mais les conditions dans lequel il s’exerce.

Si le règne de la liberté commence seulement à partir du moment ou cesse le travail  dicté par la nécessité ou les fins extérieures (Marx) ,  l’homme moderne, s’il veut sortir de sa condition « d’animal  laborans » doit exiger que le travailleur soit associé à la préparation  du travail,  voire à sa conception et  que le progrès technique (qui ne se préoccupe plus de l’être)  ne se limite pas  à prendre  en compte, pour en faire une valeur prégnante dans une économie globalisée de concurrence exacerbée, l’augmentation de l’efficacité productive  mais libère le travailleur des tâches pénibles sans porter par ailleurs  atteinte aux conditions de travail.    

Kant nous rappelle que l’être humain est porteur de la loi morale et par conséquent digne de respect, le travail ne pourra donc devenir un facteur d’émancipation que si l’on agit en sorte  de traiter  l’humanité toujours comme une fin en soi et jamais comme un moyen.



Sujet du Merc. 17 Avril 2024 : L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme …

           L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme …   Tout système économique institutionnalisé sous la forme d’un état, de lo...