dimanche 26 juillet 2020

Sujet du Merc. 29 Juil. 2020 : Racialisme et question sociale.


                   Racialisme et question sociale.    

Depuis le 25 Mai 2020, date de l’assassinat par la police de George Floyd à Minneapolis (U$A), un mouvement international, rangé sous l’étiquette Black Lives Matter (BLM : « les vies noires comptent »), bénéficiant d’un appui médiatique considérable, condamne tout à la fois les « violences policières » et le « racisme ». Une campagne de manifestations se développe partout dans le monde.

Mais tout cela, ne le savions nous pas ? Le racisme au U$A est le fondement idéologique même de cette société (massacre des peuples indigènes, esclavagisme, discrimination …).         

Les « violences policières » doivent elles nous étonner ? L’Etat a besoin d’hommes en armes, armée, police, milices pour défendre les intérêts de la classe sociale qui dirige les rapports économiques. En juillet 1942 la police parisienne a raflé 13 000 (dont 1/3 d’enfants) pour les remettre aux nazis. Cette même police fut lancée sur les grèves ouvrières des années 1948, juste après la libération. Etc. … Sans oublier les massacres de Sétif et Guelma en Algérie occupée dès le ….8 Mai1945.           

Ne faut-il pas faire rentrer dans les têtes qu’il n’y pas de classes sociales. Mais une infinie mosaïque de « communautés » : blacks, blancs, beurs, lgbt, queer ….. C’est la nouvelle doctrine ! Bourgeois et prolétaires c’est fini. La violence, la haine doit se racialiser, se communautariser.

La police tue des gens tous les jours de par le monde au nom d’une violence légale.
Mais tous les jours des milliers de gens (dont beaucoup de jeunes enfants) meurent dans les usines, les mines, les chantiers, au travail. Ils ont un nom : « les damnés de la terre », les ouvriers, les petits paysans.
Ils sont noirs, blancs, jaunes, vieux, jeunes ? Non, ce sont avant tout des exploités.         

Mais creusons un peu les affaires Floyd et Traoré. Au-delà de la morale il y a les faits : Le frère de George Floyd est reçu à Genève et l’organisateur de ce déplacement est le mouvement cité plus haut : BLM. Quant au sponsor médiatique il s’agit "Democracy Now", un site US/news/tv animée par la journaliste Amy Goodman.
Mais au fait qui finance DN et Amy ? Le bienfaiteur bien connu : Georges SOROS ! (Democracy Now!
Democracy Now! Was created in 1996 by WBAI radio news director Amy Goodman and four partners to provide “perspectives rarely heard in the U.S. corporate-sponsored media,” i.e., the views of radical and foreign journalists, left and labor activists, and ideological foes of capitalism. Pour fournir des perspectives rarement entendues dans les médias sponsorisés par les entreprises américaines '', c'est-à-dire les points de vue de journalistes radicaux et étrangers, de militants de gauche et de travailleurs et d'ennemis idéologiques du capitalisme. ». En 2014, Soros a financé BLM à hauteur de 33 millions de dollars.
    

Peut-on mettre sur le même plan un peuple travailleur et des individus vivant d’expédients ?

Aujourd’hui il est politiquement incorrect de parler ainsi. Et pourtant ne devons-nous pas constater que par suite du développement du capitalisme, des masses importantes de gens n’ont jamais
travaillé ? Sont exclues de toutes socialisation et se réfugient dans des appartenances claniques, de gangs, de groupes religieux ; développant « leurs » lois, « leurs » territoires, « leurs » trafics …. « leur» racisme.
Rejetées aux périphéries de nos villes, elles développent une forme « d’économie » sur fond de
« commerces » de tous genres : vols, drogue, prostitution, rackets….          

K. Marx caractérisait cette population ainsi :

« Le lumpenprolétariat — cette lie d’individus déchus de toutes les classes qui a son quartier général dans les grandes villes — est, de tous les alliés possibles, le pire.    
Cette racaille est parfaitement vénale et tout à fait importune. Lorsque les ouvriers français portèrent sur les maisons, pendant les révolutions, l’inscription
: “Mort aux voleurs !”, et qu’ils en fusillèrent même certains, ce n’était certes pas par enthousiasme pour la défense de la propriété.         

Malheureusement notre société sécrète constamment cette frange de lumpenprolétariat (prolétariat en haillons – Mot créé par Marx) qui développe elle aussi du racisme et de la violence et si elle y trouve son intérêt bascule, sans état d’âme, dans le camp du « plus fort ».        

Voici ce qu’écrivait Marx lors de la répression de la révolution de 1848 :

« C’est la garde républicaine et la garde mobile qui se sont comportées le plus mal… La garde mobile, qui est recrutée, dans sa plus grande partie, dans le lumpenprolétariat parisien, s’est déjà beaucoup transformée, dans le peu de temps de son existence, grâce à une bonne solde, en une garde prétorienne de tous les gens au pouvoir.
Le lumpenprolétariat organisé a livré sa bataille au prolétariat travailleur non organisé. Comme il fallait s’y attendre, il s’est mis au service de la bourgeoisie, exactement comme les lazzaroni (voleurs, brigands) à Naples se sont mis à la disposition de Ferdinand. Seuls, les détachements de la garde mobile qui étaient composés de vrais ouvriers passèrent de l’autre côté.

Mais comme tout le remue-ménage actuel à Paris semble méprisable quand on voit comment ces anciens mendiants, vagabonds, escrocs, gamins et petits voleurs de la garde mobile que tous les bourgeois traitaient en mars et avril de bande de brigands capables des actes les plus répréhensibles, de coquins qu’on ne pouvait supporter longtemps, sont maintenant choyés, vantés, récompensés, décorés parce que ces « jeunes héros », ces « enfants de Paris » dont la bravoure est incomparable, qui escaladaient les barricades avec le courage le plus brillant, etc., parce que ces étourdis de combattants des barricades de Février tirent maintenant tout aussi étourdiment sur le prolétariat travailleur qu’ils tiraient auparavant sur les soldats, parce qu’ils se sont laissés soudoyer pour massacrer leurs frères à raison de 30 sous par jour ils ont abattu la partie la meilleure, la plus révolutionnaire des ouvriers parisiens ! »   

Ne devons-nous pas refuser le mot d’ordre de Soros : BLM : « les vies noires comptent », comme slogan raciste, source de divisions fausses ?
Il n’y a qu’une humanité et toutes les vies « comptent ». Faut-il se laisser bercer par un moralisme puant, une  « culpabilité » sortie tout droit de la « philosophie » morale ? Trop facile ……

Il y a des responsables à ces morts et il faut les nommer : misère, pauvreté, exclusion, chômage, tous fruits d’un système économique bien identifié. 
           
 « Il faut reconnaître tout être humain, sans chercher à savoir s’il est blanc, noir, basané ou
rouge ; lorsque l’on envisage l’humanité comme une seule famille, il ne peut être question d’intégration ni de mariage inter-racial.
 »
  MALCOM X        

Racialiser la question sociale c’est vouloir la décomposition des peuples. Le mot d’ordre de l’universalisme philosophique ne doit-il pas être : ni race, ni peuple élu : unité du genre humain ?

Le sens philosophique du mot « peuple » concerne tous les êtres humains considérés d’un point de vue éthique, universel, qui ne peut que rejeter toute division raciale ou autre.


lundi 20 juillet 2020

Sujet du Merc. 22/07/2020 : Qu'est que la dialectique ?


QU'EST QUE LA DIALECTIQUE  ?  



« Tout s’écoule et rien ne reste » (Héraclite)

La dialectique est une méthode de pensée et d’interprétation du monde – du monde naturel comme de la société humaine. C’est une façon d’observer l’univers qui part du principe que tout est dans un état constant de flux et de changement. Mais ce n’est pas tout.

La dialectique explique que le changement et le mouvement impliquent des contradictions et ne peuvent exister qu’à travers des contradictions. Les choses n’évoluent pas suivant une ligne régulière et ininterrompue, mais suivant une ligne qui est ponctuée par des périodes de changement soudain et explosif. Pendant de telles périodes, les changements lents et cumulatifs (changements quantitatifs) subissent une rapide accélération au cours de laquelle la quantité se transforme en qualité. La dialectique est la logique de la contradiction.

Lorsque nous contemplons le monde qui nous entoure, il nous apparaît au premier abord comme un immense et étonnamment complexe enchaînement de phénomènes, un enchevêtrement apparemment infini de changements, de cause et d’effets, d’actions et de réactions.

La force motrice de l’investigation scientifique est précisément la volonté de jeter une lumière rationnelle sur ce labyrinthe déroutant, de le comprendre pour le conquérir. On cherche des lois qui nous permettent de séparer le particulier du général, l’accidentel du nécessaire, et de comprendre les forces qui donnent naissance aux phénomènes auxquels nous sommes confrontés. Comme l’écrit le physicien et philosophe anglais David Bohm :

"Dans la nature, rien n’est constant. Tout est dans un état de transformation permanente, de mouvement et de changement. Cependant, nous découvrons que rien ne surgit de nulle part, sans rapport avec ce qui existait préalablement.
De la même façon, rien ne disparaît sans laisser de traces, c’est-à-dire sans contribuer à des phénomènes existant ultérieurement.
Cette caractéristique générale du monde peut être exprimée par un principe qui résume les conclusions d’un vaste domaine d’expériences diverses et qui n’a jamais été contredit par quelque observation ou expérience – scientifiques ou non – que ce soit, à savoir que toute chose dérive d’autre chose et donne lieu à encore autre chose. »

La thèse fondamentale de la dialectique est que tout est dans un processus permanent de transformation, de mouvement et de changement. Même lorsqu’il nous semble que rien ne se passe, la matière est sans cesse en train de changer. Les molécules, les atomes et les particules subatomiques sont constamment en mouvement. La dialectique est donc essentiellement une interprétation dynamique des phénomènes et des processus qui se déroulent à tous les niveaux de la matière organique et inorganique."

Cette idée est tellement essentielle à la dialectique que Marx et Engels considéraient le mouvement comme la caractéristique la plus fondamentale de la matière.

Comme c’est souvent le cas, Aristote avait déjà anticipé sur cette notion dialectique. Il écrivait :
« Par conséquent la première et véritable signification de la " nature " est l’essence des choses qui contiennent en elles-mêmes  le principe de mouvement. ») Il ne s’agit pas de la conception mécanique d’après laquelle le mouvement serait communiqué à une masse inerte par un force « externe », mais d’une conception complètement différente de la matière comme étant elle-même en état de mouvement permanent.

Ici, la matière et le mouvement (l’énergie) sont une seule et même chose, une même idée formulée de deux manières différentes. La théorie d’Einstein sur l’équivalence de la masse et de l’énergie a brillamment confirmé cette idée. Engels l’exprimait de la manière suivante :

"Le mouvement, au sens le plus général, conçu comme mode d’existence de la matière, comme son attribut inhérent, embrasse tous les changements et tous les processus qui se produisent dans l’univers, du simple changement de lieu jusqu’à la pensée"
.
Donc " TOUT S’ÉCOULE ET RIEN NE RESTE"

lundi 13 juillet 2020

Sujet du Merc. 15 Juillet 2020 : « Seule la pierre est innocente » Hegel





« Seule la pierre est innocente » Hegel
Homme et destin

Ce que Hegel nomme l’opération (Tat), l’acte d’effectuer, n’est pas la simple réalisation de l’idée, elle en est bien plutôt la transformation et l’épreuve de vérité.  L’agir, et l’audace qui le motive, sont ainsi la force qui contraint le concept à sortir de son indifférence et à développer les moments qui scindent son unité simplement pensée. « L’opération est elle-même scission, l’acte de se poser soi-même pour soi-même et en face de cela de poser une extériorité effective étrangère […] Innocente est donc seulement l’absence d’opération, l’être d’une pierre et pas même celui d’un enfant »
            La réflexion sur la tragédie accompagne, en son entier développement, la pensée de Hegel. …

La philosophie est [quant à elle] la contradiction pensée comme moteur du négatif dans l’histoire de l’esprit ; la tragédie montre, représente, la contradiction vécue dans la souffrance et dans la mort. Elle est une philosophie en action, envisagée du point de vue de la conscience individuelle dont le destin exige l’anéantissement, du fait de sa partialité même. Pour Hegel, le heurt violent des actes contraires doit nécessairement se résoudre dans l’identité, et la tragédie doit s’achever sur le retour à l’équilibre dans ce que la Phénoménologie nomme le « Zeus simple ».
          
 A l’inverse de Schelling, Hegel conçoit donc le conflit tragique comme quelque chose qui doit être dépassé. La contradiction qui apparaît sur la scène tragique du fait que l’idéalité doit sortir d’elle-même et devenir effective, se réaliser par l’action individuellement revendiquée, est la contradiction de la substance elle-même (non de caractères particuliers, car en ce cas nous serions sur une scène comique, non tragique), et doit donc être résolue dans l’élément de la vérité et de la totalité. La tragédie n’est qu’un moment de l’histoire de l’esprit, elle n’est pas son destin. La tragédie naît ainsi du conflit des devoirs objectivement déterminés, conflit qui met à jour l’insuffisante détermination de la totalité comme telle. Le conflit tragique, que Schelling pense dans l’Absolu, comme l’éternel combat du sujet et de l’objet par lequel l’un et l’autre se maintiennent vivants, présents, Hegel le pense au contraire dans l’Histoire : sa nécessité provient d’une insuffisante détermination de la totalité qui se résout en des moments particuliers opposés et conflictuels. La tragédie est un moment du combat nécessaire du concept avec lui-même : aussi le conflit n’est tragique que pour les héros qui, chacun incarnant un moment particulier, s’affrontent sur la scène ; mais pour le philosophe,

Hegel lui-même, qui démontre la nécessité dialectique du conflit, il n’y a pas de tragédie, mais la rigueur d’une phénoménologie de l’Esprit absolu. L’esprit de Hegel, ordonnateur et metteur en scène du drame conceptuel de la dialectique, s’élève donc au-dessus des buts nécessairement particuliers que poursuivent les combattants de la scène tragique : il devient lui-même scène tragique, le lieu d’un combat du concept avec lui-même qui est aussi l’histoire de la réalisation de l’Absolu.

Hegel l’écrit lui-même dans un texte assez extraordinaire, dans l’introduction aux Leçons sur la philosophie de la religion : « Par la pensée, je monte vers l’Absolu et me dresse au-dessus de toute finalité ; je suis conscience illimitée et en même temps conscience de soi finie, et cela en accord avec la totalité de ma constitution présente empirique. Les deux côtés se recherchent et se fuient en même temps. Je suis, et il y a en moi et pour moi, ce conflit mutuel et cette unité. Je suis le combat. Je ne suis pas l’un des combattants. Je suis au contraire les deux combattants et le combat lui-même » (cité par George Steiner, p. 23-24).

            Pour Schelling, la lutte entre la liberté et la nécessité est éternelle : elle se situe dans l’intemporalité de l’allégorie et du mythe, et c’est pourquoi seul le mythe est digne de la tragédie ; pour Hegel en revanche, le destin n’est pas une force intemporelle contre laquelle et par laquelle l’homme est appelé à affirmer son existence. Il est donc faux de définir la situation tragique selon Hegel par le conflit des devoirs : dans la tragédie, les deux termes du conflit finissent nécessairement par se résoudre dans l’universel, cad par supprimer les volontés particulières des protagonistes qui s’identifient à un moment, et à un seul, de la manifestation du vrai.

Le conflit tragique n’est donc qu’apparent et doit nécessairement s’apaiser avec le dénouement – même si cette paix est cruelle pour les individus qui se sont engagés dans l’action toujours partielle, et partiale. En revanche, c’est sur la scène comique, que l’absolu ne réussit plus à faire l’unité avec lui-même, et que le conflit des devoirs, qui ne sont plus ici que des lubies ou des manies, demeure dans la contradiction : « Comique est la collision des devoirs parce qu’elle exprime la contradiction, précisément celle d’un absolu en opposition ; elle exprime donc l’absolu, et immédiatement la nullité de ce qui est ainsi nommé absolu ou devoir » (Phg, II, 31).

La contradiction tragique, à l’inverse du quiproquo comique, n’est donc jamais indépassable. Selon une note assez énigmatique de L’Esprit du christianisme et son destin, le destin n’est que la conscience de soi-même mais perçue comme conscience d’un ennemi (Esprit du christianisme, éd. Fischbach, 92 note 1).
Il suffit donc que la conscience s’élève à l’intelligence de son ennemi comme d’un moment nécessaire de son propre développement, pour que cesse aussitôt le conflit tragique, les deux partis se trouvant alors réconciliés dans l’identité de la substance.

Citons ce texte difficile : « C’est ainsi que le destin n’est rien d’étranger, contrairement au châtiment ; non pas quelque chose d’effectif et fixement déterminé, comme la mauvaise action dans la conscience morale ; la destin est la conscience de soi-même, mais comme d’un ennemi ; l’amitié peut restaurer en elle-même le Tout, il peut faire retour à sa pure vie par l’amour ; et ainsi sa conscience redevient foi en soi-même, son intuition de lui-même est devenue autre et le destin est réconcilié ». Ce texte est commenté par Dominique Janicaud, dans son ouvrage Hegel et le destin de la Grèce, p. 68 sq.
           
                       En opposant le destin au châtiment
, Hegel, comme le montre le contexte, entend surtout opposer l’hellénisme au judaïsme. La loi juive exprime la certitude subjective de la conscience de soi (non sa vérité effective), en tant qu’elle perçoit en elle-même le divin ou l’Absolu, en tant qu’elle se sait l’élue de Dieu, et se pose ainsi contre le monde qui n’est plus à ses yeux qu’un désert que la vérité n’habite pas.
La solitude d’Abraham, son errance dans le désert incarnent selon Hegel ce premier moment de la conscience, qui se pose comme un Absolu et s’oppose au monde comme à tous les peuples qui ne sont pas issus de sa descendance.
En tant que la conscience juive perçoit le secret de sa propre intériorité comme un Absolu, elle exprime cet Absolu sous la forme de la Loi divine. A cette loi, comme à sa propre vérité, la conscience est intimement assujettie, et elle l’est infiniment dans la mesure où sa vérité lui est encore inconsciente, puisque l’Absolu est ici conscience mais non encore conscience de soi, et que l’esprit est encore aliéné au divin dont il s’éprouve le dépositaire, mais non pas encore le responsable. C’est pourquoi toute transgression entraîne inéluctablement le châtiment, la conscience succombant à un Dieu étranger en lequel elle ne sait pas encore reconnaître la vérité de sa propre substance. Aucune reconnaissance, amitié ou amour, ne peut dépasser cette radicale opposition : la soumission de la conscience à l’Absolu qui est en elle est infinie, à la mesure de la négation infinie que la conscience elle-même impose au monde, cad à ce qui n’est pas elle.
           
En revanche, l’idée grecque du destin n’implique nullement cette hostilité de la conscience et du monde. Bien au contraire, l’âge d’or des cités grecques représente, aux yeux de Hegel comme à ceux de toute sa génération, un moment de grâce où l’homme défini comme citoyen vit en parfaite harmonie avec la nature, cad avec le nombre et la proportion qui ordonnent le cosmos. La conscience grecque se forme dans l’unité indivise de la cité, mais aussi en accord avec la beauté du monde. En effet, la communauté politique est ici encore immédiate et naïve, elle n’est pas le résultat douloureux du travail du négatif, d’un processus historique, mais naturellement constituée, dans une innocence non médiatisée qui relève déjà de ce que Renan nommera plus tard « le miracle grec ».

La cité se pense donc elle-même comme immédiateté, cad comme nature, et non comme l’équilibre toujours précaire des intérêts opposés et de la lutte pour le pouvoir. Bien que mesure d’elle-même et tout entière politique, la cité relève de la sphère naturelle et c’est selon la nature, non selon la convention, comme le pensent les Modernes, que, selon Aristote, l’homme est un animal politique, en ce sens qu’il réalise son excellence (arêtê) en tant qu’il est formé par la paideia grecque, de la même façon que les plantes parviennent à leur plein épanouissement seulement dans la mesure où elles profitent d’un sol et d’un climat excellents.
Pourtant, cette belle totalité, ou belle individualité de la cité grecque, telle que la célèbrent les fêtes en l’honneur d’Athéna, le divin n’étant ici que la cité personnifiée, reconnaît l’existence d’une part obscure qui s’oppose à sa lumineuse unité : la résistance d’une nature rebelle (la rareté que l’économie ne réussit pas à supprimer), les luttes intestines qui menacent intérieurement l’unité civile, les guerres avec les cités voisines qui la menacent de l’extérieur.
C’est toute cette part qui échappe à la souveraine juridiction de la cité que la cité nomme « le destin ».

A l’inverse du châtiment qui est passivement subi par la conscience juive aliénée au Dieu qui lui dicte la loi, le destin doit et peut au contraire être surmonté et vaincu. Alors que la conscience juive est totalement aliénée à l’Absolu qui réside en son intériorité, et qui édicte la Loi inconditionnée qui prononce sans appel le châtiment, le destin sollicite au contraire des hommes une réaction combative.

Comme l’écrit Bernard Bourgeois (Hegel à Francfort, p. 70) : « L’homme et le destin s’affrontent comme des égaux, si l’un doit pourtant triompher. L’homme est l’esclave de la loi qui le châtie, mais il est l’ennemi du destin ».  Par J. Darriulat (extraits)

dimanche 5 juillet 2020

Sujet du Merc. 8 Juillet 2020 : Le spiritualisme est une faiblesse de la pensée.


Le spiritualisme est une faiblesse de la pensée.  


   

Propulsé en pleine célébrité après le succès de l’autoédition de son premier livre « Qui dit quoi ? » ARTHURO n’arrêtait plus de se répandre dans les médias à la mode où l’on traquait le moindre de ses bons mots et guettait ses plus brèves petites phrases. La toute dernière, il la prononça dans une interview sur Canal Moins. Tandis qu’il réfléchissait au sens à donner à une réponse, le journaliste, pressé, lui lança à propos :- Alors, ARTHURO, vous méditez ?- Pourquoi ? Vous aussi vous avez commis un roman ?
Des mots d’esprit tels que celui-ci, ARTHURO en émettait tellement à longueur de journée qu’on l’avait catalogué comme « être spirituel ». Mais dans le fond, ce titre, qui lui assurait pourtant une gloire certaine, ne lui convenait pas vraiment. Il voulut se défendre de cette caricature, la considérant comme trop réductrice, et essaya plutôt de trouver un espace où sa pensée pourrait mieux s’exprimer. C’est ainsi, qu’entre autres activités plus ou moins intellectuelles, il adhéra à un club-philo réputé de sa ville, où avaient lieu des débats enflammés, en particulier sous l’influence de certains sénateurs patentés qui pratiquaient allègrement la glose vulgaire, le dithyrambe approximatif ou parfois même la logorrhée intestinale.

Un soir, où il était justement question de « l’esprit », ARTHURO entendit ce propos catégorique dans la bouche d’un intervenant, qui avait sans doute lu BERGSON en diagonale, entre une séance de divan et une autre au confessionnal : « L’esprit est une notion très marquée par ses origines religieuses. Le « Saint Esprit », représenté par une colombe, est l’esprit divin, véritable force susceptible de sanctifier les âmes ».

Dans ce vénérable cénacle et se faufilant subrepticement entre les « figuras del toreo », ARTHURO réussit à intervenir dans le débat, en l’occurrence pour signaler que ce qu’il venait d’entendre ne voulait rien dire. Prudent tout de même, il demanda modestement que l’on définisse au moins le mot « esprit », ce qui n’est pas complètement la même chose que « le mot d’esprit ».
Un des matadors, le chef de lidia du cartel, lui répondit :- L’esprit vient du latin spiritus qui signifie « souffle », « vent », c’est un principe individuel de la pensée, un principe immatériel opposé à la nature ou à la matière.

ARTHURO répliqua que le souffle, le vent, mouvements de l’air, ne sont que des manifestations naturelles normales de la matière, le concept de gaz ayant depuis longtemps été décrit avec beaucoup de précision par de grands savants comme l’abbé MARIOTTE, BOYLE, CHARLES et GAY LUSSAC, entre autres. Et pour apporter son grain de sel dans la discussion, il ajouta que même l’esprit-de-sel, l’esprit-de-bois, ou l’esprit-de-vin n’ont jamais été que des formules provisoires pour désigner, respectivement, l’acide chlorhydrique, le méthanol, et l’alcool éthylique, substances, il est vrai, qui peuvent faire perdre les esprits ! 

Le débat s’accentua vite, suite à cette réplique. Les tenants du spiritualisme possédaient en effet de nombreux autres arguments à faire valoir pour justifier leur croyance. En particulier ils ne purent pas s’empêcher de rabâcher, encore une fois (une foi !) le sempiternel dualisme cartésien, comme s’il était le garant d’un principe absolu qui ferait coexister l’âme et le corps.A cet argument du dogme classique de la grande philosophie occidentale, ARTHURO répondit par une double objection :
- D’abord, l’âme ce n’est pas l’esprit, dit-il, sauf à faire un amalgame opportuniste.
- Et ensuite, ce n’est pas parce qu’une notion est duale qu’elle est forcément riche de concept, sauf si on la perçoit en termes de dialectique. Ce qui n’était, d’ailleurs, pas le premier sens que lui avait donné DESCARTES.
Les « philosophes », sceptiques sur la critique du dualisme cartésien, et évitant prudemment de trop diverger sur la confusion entre « l’esprit » animal et l’instinct, en oublièrent même la roue de secours de la glande pinéale, et cherchèrent donc un bol d’air du côté de LIEBNITZ.Car pour ce dernier, la matière ne se ramènerait, au fond, qu’à une forme d’énergie, irreprésentable, de nature spirituelle, ce qui éliminerait donc toute son autonomie physique et consacrerait ainsi le spiritualisme comme une doctrine selon laquelle l’esprit constituerait la substance de toute vérité. 

La remarque que fit alors ARTHURO dérouta visiblement ses interlocuteurs :
- Que la matière et l’énergie soient deux manifestations d’une
même entité, on le sait maintenant depuis E=MC2, mais il faut
faire attention à deux abus malheureux de ce cliché :
- Le premier est que la stabilité de la matière, même sous ses formes en perpétuelles et complexes transformations, est suffisamment garantie à l’échelle humaine, dans le temps et dans l’espace, pour qu’il n’y ait aucun sens d’y appliquer effectivement la formule d’EINSTEIN, formule souvent abusément utilisée au-delà de son domaine pratique de validité.
- La seconde est que la nature spirituelle de l’énergie (ce qui n’est pas la même chose que la nature énergétique de l’esprit) reste une allégation absolument gratuite, sans aucun fondement scientifique sérieux, et qui ne peut provenir que d’une commode « révélation .         

Oubliant volontairement SPINOZA, où il y aurait eu pourtant beaucoup à dire, on appela alors directement HEGEL.Pour le grand phénoménologue, l’esprit est l’Esprit, soit un principe impersonnel. Chaque homme n’est qu’un agent de l’Esprit, conçu comme une capacité d’autodétermination, et c’est précisément cette liberté qui lui permet d’engendrer l’histoire. C’est par l’esprit que s’introduit la rationalité dans le monde, il progresse toujours.
Comme ARTHURO semblait encore bougrement dubitatif devant ce qu’il estimait être un dogme, un dogme bien déguisé, mais un dogme, on lui résuma l’argument hégélien par une subtile métaphore :
« L’esprit progresse toujours, comme la taupe qui creuse son chemin à travers l’obscurité afin de parvenir enfin à la lumière ».ARTHURO fit remarquer qu’en général, se donner en métaphore n’est que la reconnaissance implicite d’une faiblesse (ou d’une insuffisance) de son langage et de son argumentation, et qu’en particulier, le cas de la taupe n’était pas un modèle très pertinent pour exprimer une quelconque recherche de « lumière ». Avez-vous trouvé beaucoup d’esprit chez les taupes, ou même chez les taupes modèles ?
Il fallut alors convoquer BERGSON à la rescousse.
En effet, selon le néo-métaphysicien, l’esprit n’est pas un effet du corps (tant pis pour les taupes ci-dessus), et la vie n’est pas
réductible à la matière.
Loin d’être la clé du fonctionnement de l’esprit, le cerveau n’en est que l’instrument et le support.
ARTHURO rétorqua que les rapports de la matière et de l’esprit n’ont de sens que si l’on connaît d’abord bien la matière et ses potentialités les plus avancées, ce que la science essaye de cerner aux confins de ses investigations. C’est ainsi qu’il proposa qu’enfin on aborde la question de « l’esprit » par un renversement complet des discours antérieurs, un point de vue selon lequel il faudrait partir de la matière pour aller vers l’esprit et non pas l’inverse. La problématique ainsi suggérée, dans laquelle la science retrouve toute sa place au lieu d’être reléguée au seul rang de faire-valoir des impostures métaphysiciennes, peut alors encore offrir un formidable défi de sens, en se donnant comme perspective, sinon comme programme, de continuer à démontrer, après la neurobiologie de CHANGEUX, que :   « L’esprit est le plus haut produit de la matière ».
Mais cette pensée, exigeante, difficile, où rien n’est jamais acquis, où le doute méthodique oblige à sans cesse maintenir l’effort, nous fait même courir le risque de nous conduire, avec le philosophe G.RYLE jusqu’à envisager l’économie de la notion même d’ « esprit ». L’« esprit» ne serait alors  qu’une entité imaginaire, un mythe, « un fantôme de la machine ».
Mais cette pensée, tous les spiritualistes ne voulaient pas (ou ne pouvaient pas) l’entendre. Comme ils étaient lourdement majoritaires dans les bavardages à la mode de chez nous, saturaient les médias par leurs écrits, leur baratin et l’imposition de leurs images, ARTHURO sentit que ses propos dérangeaient, et sentit monter progressivement la tension pesante qui précède toujours une poussée totalitaire, lorsque s’avère la radicalisation d’un dogme ébranlé.Il devenait temps, urgent, de détendre l’ambiance dans laquelle il
se sentait enfermé.
En échappatoire, il fit alors un tour de passe-passe spiritiste, qu’il
 avait appris à l’université publique de LECCA, et c’est ainsi que tout le monde se retrouva pour « la troisième mi-temps » dans la caverne d’ALI BABA, là où les babas coulent, beaucoup mieux que s’ils n’avaient jamais dû endurer la moindre assignation à résidence dans la caverne de PLATON.



Sujet du Merc.27/03/2024 : PEUT - ON SE PASSER DE SPINOZA ?

         PEUT - ON SE PASSER DE SPINOZA ? Ce texte est contre-intuitif et peut passer pour une vanne. Mais non, blague à part, il est une ...