samedi 28 mai 2022

Sujet du Mercredi 01 Juin 2022 : DOUTER N'EST PAS NIER.

 DOUTER N'EST PAS NIER.


En 1770 l'Avocat Général Séguier déclare devant le parlement de Paris :
"
Les Philosophes se sont élevés en précepteurs du genre humain. Liberté de penser, voilà leur cri, et ce cri s'est fait entendre d'une extrémité du monde à l'autre. D'une main, ils ont tenté d'ébranler le Trône ; de l'autre, ils ont voulu renverser les Autels. Leur objet était de faire prendre un autre cours aux esprits sur les institutions civiles et religieuses, et la révolution s'est pour ainsi dire opérée... Éloquence, poésie, histoire, romans, jusqu'aux dictionnaires, tout a été infecté."          
Les philosophes dont il parle sont ceux des Lumières et la référence aux "dictionnaires" est celle à l'encyclopédie de Diderot et d'Alembert.

La référence aux "dictionnaires infectés" est lourde de présupposés. Crime suprême, les Lumières s'attaquent à la définition même des mots. Ils fouillent et creusent le sens. Ils retirent le superflu. A l'article :

"AUTORITÉ POLITIQUE" de l'encyclopédie on trouvera ainsi : "Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. La liberté est un présent du ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison."

Mais définir ainsi les mots est risqué. Lorsque le "présent du ciel" c'est la liberté et pas le souverain le lecteur de l'époque est désormais fondé à se poser des questions, à poser des questions, à s'interroger, à discuter du bien fondé de la monarchie, à douter.

L'interrogation, le doute, sont des corrosifs puissants aussi sont ils, de tout temps, perçus comme des menaces. Si l'on peut douter de tout, si l'on est fondé à s'interroger sur tout, comment peut-on d'une part acquérir des certitudes, comment aussi ne pas en arriver à nier tout et n'importe quoi y compris des faits avérés.

 

C'est le paradoxe, apparent, du fait de douter. C'est la "ruse de la raison" appliquée à l'activité dubitative.

Tout opposant au doute, quel que soit l'objet de celui-ci ( religion, morale, politique… ), vous assène le danger du fanatisme de la conviction
( négationnisme ) et/ou l'abîme du relativisme (scepticisme absolu). Vous êtes immédiatement disqualifié.

 

Pourtant Diderot insiste : " Il faut tout examiner, tout remuer sans exception et sans ménagement... Il faut fouler aux pieds toutes ces vieilles puérilités; renverser les barrières que la raison n'aura point posées; rendre aux sciences et aux arts une liberté qui leur est si précieuse... Il fallait un siècle raisonneur, où l'on ne cherchât plus les règles dans les auteurs, mais dans la nature..."

 

Un siècle plus tard Nietzsche en appellera à faire de la "philosophie au marteau", à faire sonner les idoles qui encombrent les chemins vers la connaissance.

 

Redevenons pragmatiques un instant. En 2002 éclate l'affaire de "pédophilie" d'Outreau. Nos modernes "avocats généraux" de la presse décrivent un des accusés, Mr M.L. comme "pornocrate spécialisé dans la pédophilie" (Le Figaro 15 janvier 2002). La télévision ( France 2) filme les retrouvailles de Mr M. L. avec sa famille. Deux ans et demi plus tôt la même chaîne filmait la même personne, au ralenti, arrivant menottes aux poignets au palais de justice de Boulogne sur Mer.

 

Pourtant en France l'accusé bénéficie de la présomption d'innocence. On pourrait appeler cela, philosophiquement parlant : le bénéfice du doute.

 

Démontrer avant d'affirmer. S'interroger. Douter. Se méfier des apparences. Démarche scientifique peut être et pourquoi pas philosophique après tout.

 

Fonder la connaissance sur le doute n'est pas nier nous rappelle Spinoza avec Descartes. Au-delà des extrémismes du scepticisme absolu et du négationnisme n'y aurait il pas la question de la méthode. Et cette méthode ne serait-elle pas celle de la démonstration qui ne se propose pas de convaincre mais de donner les conditions de la certitude ? Nous serions alors loin de la négation.


samedi 14 mai 2022

Sujet du Merc. 18 Mai 2022 : faut-il éteindre les Lumières ?

 

FAUT IL ETEINDRE LES LUMIERES ?

Les Lumières sont à la croisée des chemins de pensée et de vie. Elles procèdent à l’élaboration du bien commun par la critique de la raison par la raison, impliquant le rejet de l’autorité des préjugés, reçus sans libre examen et prônant l’esprit d’obéissance. Mais les idées des Lumières inspirent-elles encore un idéal collectif créateur d’espérance à long terme pour l’humanité et chacun de ses membres?
Cette quête de la liberté ne
sera-t-elle devenue que le résultat abstrait d’un «feu» déjà éteint qu’il faudrait rallumer d’une volonté animée par un «bois» nouveau? Une re-naissance, une re-fondation sont nécessaires. 

Mais comment?
  Par la raison pratique, la liberté collective pour le bien commun et l’égalité entre tous? Ou par l’irrationnel du préjugé des individus ou des totalitarismes fanatisant? Dès lors, quelle démocratie et quel avenir pour elle :
1) l’individualisme extrême contemporain est-il à mettre au compte de l’humanisme,
2) le progressisme humaniste est-il devenu incapable d’inspirer un idéal collectif créateur d’espérance,
3) les hommes ont-ils encore une volonté humaniste de gouverner leur avenir?

 

L’individualisme démocratique devrait rester ce droit à la liberté, parce qu’elle est une valeur que chacun partage avec les autres hommes dans la solidarité. L’individu conquiert ce droit en agissant comme l’égal des autres et en choisissant de penser et d’agir comme un sujet universel. Il s’agit de promouvoir la volonté de chacun de devenir une personne juridique (le droit) dans le respect absolu d’autrui, et non de consacrer la singularité de chacun.

C’est l’opposé de l’individualisme actuel niant l’idéal d’égalité et affichant son indifférence aux valeurs universelles qu’il remplace par celles de la consommation et de la communication: un matérialisme instinctif, versatile et indifférent aux principes premiers. Ce spontanéisme individualiste se veut différentialiste et singulariste, en quête d’identités interchangeables. Il ne saurait procéder de l’humanisme qui reste un projet collectif de liberté personnelle.

 

Le progressisme humaniste est un idéal d’émancipation éthique et juridique, culturel et politique. Mais les hommes se sont donnés la puissance de dominer la nature par la science qui la met en péril. Les Lumières ne seraient donc qu’un moyen, non une fin, d’accroître toujours plus le pouvoir des hommes? D’où le rejet de toutes leurs valeurs dans une diabolisation du progressisme humaniste.

Les Lumières semblent être arrivées à l’épuisement de l’espérance humaniste face à une croyance de fin supposée de l’histoire. Ceci n’est recevable qu’à la condition de confondre Lumières avec technicisme et positivisme. Ce dernier juge abstraites les idées des Lumières en tant que faux concepts, tandis que le technicisme considère comme faux problèmes tout ce qui n’est pas scientifique et soumis à la vérification de l’expérience. Ceci reflète une espérance déçue qui forge un préjugé défavorable sur la modernité et occulte l’intentionnalité critique des Lumières.

C’est pourquoi l’humanisme doit aujourd’hui redonner vie à ses ressources critiques premières et s’appréhender comme responsabilité devant l’avenir. Voilà le vrai défi d’une refondation nécessaire de l’éthique humaniste face aux effets secondaires majeurs de la science. Et puisque la science ne dit pas ce qu’il faut faire, il faut définir les raisons d’agir ensemble dont nous devons faire un idéal à atteindre en commun pour forger notre destin. Telle est la re-création de l’humanisme : toujours à réaliser.

 

Veut-on une clef? Les Lumières ont introduit la nouveauté du présupposé fondateur de l’activité de penser : la possibilité de s’entendre et de se comprendre comme seul moyen qui rende possible un accord universel sur les mêmes principes de base. Ainsi, la connaissance rationnelle étant d’abord celle de soi de la raison, cette condition est le présupposé de l’objectivité nécessaire à la science.
De plus, le présupposé des règles de la morale et du droit - qui accordent les volontés - est que les hommes peuvent s’entendre à reconnaître que la liberté, l’égalité et la dignité de chacun sont des principes de base qui doivent déterminer les relations entre les hommes. (Nous-y conformons-nous au Proche Orient et partout dans le tiers monde?)

A cet égard, la différence entre préjugé et présupposé est capitale pour l’humanisme en recréation. Considérer que l’égalité entre les hommes n’est qu’un préjugé, c’est limiter ce principe au monde occidental, étant sous-entendu que le préjugé adopté par cet ensemble humain ne concernerait pas les autres. Par contre, admettre que le principe d’égalité présuppose l’accord universel de tous les hommes, c’est faire de la reconnaissance de ce principe sa seule condition de validité: il n’est valide qu’à la condition de l’être pour tous!

 

Le préjugé limite ou empêche la communication (nous n’avons pas les mêmes préjugés, je vous applique ma violence : «Vous êtes avec nous ou contre nous» ; «Nous instaurerons la démocratie», sous-entendu de gré ou de force).

Le présupposé, par contre, rend la communication possible (nous pouvons débattre de nos préjugés respectifs). On pense à l’interventionnisme dans le monde opposé par les adhérents du principe contraire, qui eux-mêmes l’appliquent rarement.

D’où ressort le béant écart entre une infime minorité nantie et la condition abjecte des 85% de reliquat de l’humanité.

Il reste fort à faire à l’humanisme pour réduire le problème majeur de tous les hommes, outre les multiples fanatismes renaissants que sous-tendent les croyances gratuites et la bonne conscience : ces préjugés absolus.


lundi 9 mai 2022

Sujet du Mercredi 11 Mai 2022 : Peut-on nier l'évidence ?

PEUT-ON NIER L'EVIDENCE ? 


L'évidence, ce qui "devrait entraîner immédiatement l'accord de l'esprit" (dictionnaire de philosophie) serait-elle une fausse amie ? Il est évident pour tous les hommes que le soleil se lève à l'Est et se couche à l'Ouest. Qu'en conclure ? Qu'il tourne autour de la terre ? C'est l'évidence même. Et pourtant nous savons désormais que cela est faux.

Nos sens ne donnent donc pas tout le sens.

Mais ce n'est pas si simple, car même si nous ne connaissons pas les lois de la gravitation il ne nous viendrait, pas à l'esprit de sauter par une fenêtre pour savoir si nous allons nous envoler !

Il y a donc des moments, des objets, dont l'évidence s'imposerait à nous et d'autres, non !

Le concept d'évidence n'est donc pas si …évident que cela. Comment essayer de démêler l'écheveau ?

Si nous prenons le cas du soleil, l'évidence de son déplacement autour de la terre est lié à notre relative fixité. Nous considérant comme "ne bougeant pas" tout ce qui est autour, corrélativement se déplace. Mais notre perception est fausse. Nos sommes comme la mouche voletant dans un avion qui se déplace à 800 Kmh.

Pour résoudre le problème on peut utiliser deux critères :

1 - Douter de la réalité, de la perception.

2 - Utiliser des outils d'observation réduisant au minimum les perturbations du jugement induites par l'observateur.

 

Mais à douter de tout, ne risque-t-on pas de tout nier ? Et les outils d'observation ne peuvent-ils pas, eux-mêmes, être remis en cause ?

 

Si on reprend les exemples du soleil ou du fait de sauter par une fenêtre, peut être aurons nous un début de réponse. A grande échelle et pour des raisons pratiques se poser la question de l'héliocentrisme ou de l'univers centré sur la Terre, n'a pas d'importance pour un cultivateur. Le phénomène EST, ses conséquences sont connues et - à la limite - on peut se dispenser des CAUSES.

Par contre, a contrario, on sait, sans avoir besoin de connaître les lois physiques -stricto sensu- , que l'on tombe si on saute par la fenêtre. Ce type d'évidence est à échelle humaine, l'expérience montre que tous les objets tombent et donc que les corps humains aussi. Notons que dans ce cas, aussi, on ne se pose pas la question des causes. On connaît les conséquences.

 

Evidence évidente ou non-évidente semblent donc se rejoindre dans une insouciance des causes.

 

Ainsi, me semble-t-il, nier l'évidence et l'accepter comme fait acquis, relèverait alors de la volonté de ne pas savoir. Après tout l'ordre du monde est comme cela. Comment cela arrive n'a pas d'importance.

Cette tournure d'esprit revient à tout remettre au hasard, ou à tout confier à une entité suprême qui réglerait l'ordre du monde.

L'homme se retrouve prédestiné, il n'a pas besoin de comprendre il lui suffit composer avec les évidences. Mais "composer avec" n'est pas prouver, car nous l'avons vu avec le soleil, on peut "composer" avec son mouvement, mais dès lors qu'il faut voyager en haute mer, aller dans l'espace, progresser dans la connaissance, finies les "évidences".

 

Pourtant la brève histoire de l'humanité devrait nous alerter. L'homme n'a cessé, malgré les bûchers, les autodafés, les excommunications…. de gratter le vernis des évidences. De la pierre au métal, il aura bien fallu oser penser que des roches pouvaient fondre. Da la navigation en cabotage à l'utilisation de la boussole, il aura bien fallu penser à l'utilisation du magnétisme. La liste serait longue de toutes ces évidences que l'humanité a du nier pour progresser. Et même la nature de ce progrès est elle aussi évidente que cela ? Guerres, famines, crimes, misère, c'est l'évidence même du progrès humain, parait-il; et nous n'en sortirions pas !

 

"Quand le sage montre la lune, l'idiot regarde le doigt", Et nous, quelles évidences nous aveuglent ?

 


lundi 2 mai 2022

Sujet du Merc. 04 Mai 2022 : Sommes nous indéterminés ?

 SOMMES-NOUS INDETERMINES ?

 

L'année 1927 fut marquée par le Congrès de Physique Solvay à Bruxelles, durant lequel les idées de Niels Bohr favorisant l'indétermination furent bien reçues (ces vues devinrent connues sous le nom d' "interprétation de Copenhague"). Cette interprétation probabiliste des quanta par Bohr rejeta la causalité si chère à Einstein et contesta même l'existence d'une réalité physique. Curieusement, à ce congrès, Einstein fut le seul à soulever une objection publique aux assertions de Bohr. Pourtant ce que disait Bohr n’était fondé que sur de la pure subjectivité une conjecture de ce qui pourrait se passer dans l’infiniment petit.

Ce rappel à un tournant de la science moderne était nécessaire pour montrer de manière, certes rapide, que certaines conceptions philosophiques n’hésitent pas à s’insérer dans des débats non-clos pour justifier leurs prétentions à la « vérité ».

Si la philosophie depuis Descartes, les Lumières, avait dégagé l’homme du carcan de la religion, en faisant de lui un être singulier disposant de son libre arbitre (ce qui est aussi un des moteurs de la Réforme et du triomphe des échanges marchands sur l’ancien règne de la propriété du sol –Voir M. Weber « Ethique du Protestantisme »). Si Nietzsche avait cru pouvoir annoncer la « mort de dieu ».

L’époque qui s’ouvre avec Einstein et son contradicteur Bohr, semble offrir aux chantres de l’individualisme l’assise, la sûreté du propos, qui leur manquait.

 

D’abord on s’extasie et on ne prend évidemment pas la peine d’expliquer. « Tout est relatif », semble faire un écho à la théorie de la relativité. Si tout est relatif, ou sont les échelles de valeur ; le bien, le mal ; la justice, l’injustice ; le temps …. Version contemporaine : il n’y a pas de différence entre Bach et Madonna ; le cassoulet et un Mac Do (différence ne signifie pas jugement de valeur, bon ou mauvais).

 

Et puis si comme le prétend N. Bohr, le monde physique est indéterminé, voilà qui renforce les partisans du « moi au centre ». Si rien ne nous détermine, quelle liberté ! Nous voilà affranchis du passé et de l’avenir. Nous baignons dans une incertitude totale. Nous sommes devenus, enfin, ces particules élémentaires vantées de Houellebecq à Attali. Ces nomades
( monades ! ) connectés à d’autres nomades par nos portables et Internet ).

 

Bref nous serions enfin libres et la physique quantique moderne nous aurait révélé, somme toute, le « socle dur » de notre humanité.

 

Usant et abusant de raisonnements analogiques une littérature abondante nous submerge de ces nouveaux dogmes qui vont comme un gant à notre époque. Mais si nous admettions les réticences d’Einstein, et sa conviction d’une causalité pour l’ensemble des phénomènes (avec bien sûr sa grande honnêteté d’admettre que tout devait être discuté), que perdrions nous ?

 

« Rien ne vient de rien », est ce à dire que l’homme est rivé à son destin et qu’il n’a aucun degré de liberté ? Ou bien est ce justement une invitation à la curiosité ? Si tout à une cause, le bonheur ne réside t il pas dans la recherche des causes ? Le fait de nous croire seuls, uniques, électrons libres, jouets du hasard, n’est-il pas une sorte de dogme moderne ? Une invitation à l’acceptation du sort puisque nous abdiquons notre liberté à des « lois » supérieures. La nature, ou plutôt la physique revisitée par N. Bohr serait elle devenue notre dieu ? Qui nous prouve cette situation ? Cette conception du monde et de l’homme, qui sert-elle ? De même que l’indétermination en physique quantique a bloqué certains secteurs de la recherche sur les énergies nouvelles au « profit » de la destruction de l’environnement et de l’utilisation des carburants fossiles ( pétrole, charbon ) ; ne sommes nous pas les victimes d’une nouvelle théologie prétendument adossée à la science ?

 

Pourquoi depuis 1966 (programmes scolaires) : "le principe de la conservation de l'énergie n'est plus mentionné dans le texte officiel" et "le chapitre ondes et corpuscules ne peut plus faire l'objet d'examens" (R. Faucher: Physique, classes terminales C,D,E, programme 1966, Librairie Hatier, Paris VI, 1967) ?

 

Quelles sont les causes de cette volonté de ne considérer qu’un aspect, le plus contestable, de la physique. Quel retentissement cela peut il avoir sur notre manière d’appréhender le monde et les autres ?

 


Sujet du Merc. 17 Avril 2024 : L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme …

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