LA NATURE DE L’ARGENT
L’argent est un moyen d’échange permettant la
représentation des rapports humains. Pour cerner sa nature suffit-il de réunir
des faits archéologiques sur des monnaies aujourd’hui disparues ? Ou
faut-il, par contraste, savoir comment depuis des siècles l’argent aliène tout
ce que nous faisons et produisons en nous réalisant comme êtres humains ?
Et ne faut-il pas savoir comment l’argent nous exploite tout en aliénant
notre qualité d’hommes ? Pour sûr il ne tombe pas du ciel. Mais
n’est-il pas créé, à leur strict profit, par une poignée de puissants (eux
aussi, comme nous, aliénés par lui) au prix de l’exploitation de tous ?
– Peut-on
imaginer l’ampleur de cette aliénation ? L’argent est créé et géré sous
forme de crédits-dettes, certes dus à des entités privées mais adossés à
l’ensemble des richesses humaines et sociales (« Il n’y a de richesse que
d’hommes », Jean Bodin, philosophe de la Renaissance). Ces entités privées
pratiquent un vol universel légal, d’ampleur ultime, mais illégitime. En outre,
ce crime de faux-monnayage généralisé au monde entier ne se poursuit-il pas par
l’imposition d’intérêts sur ce vol (!), à verser aux arnaqueurs ? De ce
fait ces intérêts constituent la dette d’un argent qui n’est pas encore créé.
Oui, mais il sera créé par la nécessité de l’emprunter aux mêmes, qui
l’adosseront à la promesse de la production future par le travail salarié
asservi qui engendrera l’argent nécessaire au remboursement du capital
emprunté et des intérêts indus des crédits-dettes. C’est la création privée
de l’argent-dette sans limite et à partir de rien, sauf du prétendu
« minerai humain ». Telle est la nature de l’argent des cinq derniers
siècles. C’est très fort ; et génial.
C’est comme si on capturait l’humanité au bord d’une
route et qu’on la forçait à travailler, tout en lui faisant payer, en sus, le
prix de son travail. Il s’agit du prélèvement subreptice et occulte ad
libitum de notre substance et, tendanciellement, de l’intégralité de nos
forces vitales, nos vies. L’immensité des souffrances, atrocités, carnages
constatés par centaines de millions (au moins 20 millions de morts de faim
annuels, sans compter ceux d’innombrables guerres) est le crime perpétré à
grande échelle partout et tout le temps dans le monde, dans une quiétude
générale (semble-t-il due à cette aliénation).
Cette monnaie de « progrès » en tous genres,
mais aussi de mort et de destruction, est à l’opposé des « monnaies
humaines et sociales ». Celles-ci avaient perduré pendant la majorité de
l’existence de Sapiens jusqu’à l’émergence de l’agriculture il y a environ onze
mille ans. Ces monnaies ont subsisté de manière résiduelle jusqu’à il y a un
demi-siècle pour finir par être détruites par l’incursion de l’argent-dette
capitaliste. Elles ne servaient nullement à l’aliénation et à l’exploitation
des populations, pas plus qu’au commerce. Au contraire, elles représentaient
les obligations fondamentales que se donnent les hommes en société, qui
s’édifient mutuellement dès leur naissance par leurs activités exercées en
commun. En effet « L’homme est un animal politique (social) »,
Aristote. Ces monnaies visaient essentiellement les obligations reconnaissant
« la richesse de la fiancée » (procréation et soins de vie) et
tentaient de compenser au mieux l’oblitération volontaire ou pas, partielle ou
totale de vies humaines, qui ont une dignité sans prix (Kant).
Pour passer des « monnaies humaines (plumes de
paradisiers, coquillages, barres de laiton, d’or ou d’argent...) à d’autres
monnaies par perversion radicale des premières, il a fallu des actes d’une
grande violence comme le rapt ou la razzia de groupes voisins, la capture
forcée d’une « fiancée » ou d’hommes réduits en esclaves, en choses.
C’est la réification d’humains qui, dès lors, ne valent plus que leur prix
marchand, exprimé en monnaie déshumanisante devenue commerciale et ayant perdu
toute dignité humaine (Kant). Cette violence du capital-stock
alimentaire n’a-t-elle pas conduit à l’émergence de la guerre ?
La monnaie est ainsi devenue la propriété privée
des puissants. Ceux-ci, réunis en entités idoines (temples, palais, banques),
la créent et la gèrent en manipulant et en exploitant le commun des mortels,
rendu « ignorant des causes qui le déterminent » (Spinoza) par une
profonde manipulation psychologique et mentale. Ce dispositif a asservi les
hommes, sans qu’étrangement ils ne se soulèvent. Peut-être à cause de leur
déshumanisation ?
– Pour juger de la monnaie en connaissance
de cause (Spinoza), voici un extrait probant des Manuscrits de 1844 du
philosophe K. Marx :
« L’argent en possédant la qualité de tout
acheter, en possédant la qualité de s’approprier tous les objets est donc
l’objet comme possession éminente. L’universalité de sa qualité est la
toute-puissance de son essence. Il passe donc pour tout-puissant… L’argent est
l’entremetteur entre le besoin et l’objet, entre la vie et le moyen de
subsistance de l’homme. Mais ce qui sert de médiateur à ma vie sert aussi de
médiateur à l’existence des autres hommes pour moi. Pour moi, l’argent, c’est
l’autre homme…
Ce qui, grâce à l’argent, est pour moi ce que je peux
payer, c’est-à-dire ce que l’argent peut acheter, je le suis
moi-même, moi le possesseur de l’argent. Ma force est tout aussi grande qu’est
la force de l’argent. Les qualités de l’argent sont mes qualités et mes forces
essentielles – à moi son possesseur. Ce que je suis et ce que je peux n’est
donc nullement déterminé par mon individualité. Je suis laid, mais je peux
m’acheter la plus belle femme. Donc je ne suis pas laid, car l’effet de la
laideur, sa force repoussante, est annulé par l’argent. De par mon
individualité, je suis perclus, mais l’argent me procure vingt-quatre jambes.
Je ne suis donc pas perclus… L’argent est le bien suprême, donc son possesseur
est bon. Moi qui par l’argent peux tout ce à quoi aspire un coeur humain, ne
suis-je pas en possession de tous les pouvoirs humains ? Donc mon argent
ne transforme-t-il pas toutes mes impuissances en leur contraire ? …
Si l’argent est le lien qui me lie à la vie humaine, à
la société, à la nature, à l’homme, l’argent n’est-il pas le lien de tous les
liens ? Ne peut-il pas dénouer et nouer tous les liens ? N’est-il pas
aussi de ce fait le moyen universel de séparation ? Il est la vraie
monnaie divisionnaire, tout comme le vrai moyen d’union, la force chimique
universelle de la société.
La perversion et la confusion de toutes les qualités
humaines et naturelles, la fraternisation des impossibilités – la force divine
– de l’argent sont impliquées dans son essence en tant qu’essence générique
aliénée, aliénante et s’aliénant, des hommes. Il est la puissance aliénée de
l’humanité. ».
On voit que la puissance de l’argent-dette nous permet
de comprendre le processus du travail aliéné comme comparable à la métaphysique.
Tous deux participent de logiques qui récusent les différences et l’objectivité
et d’universalités qui se donnent comme principe antérieur à toutes les
contradictions. Et particulièrement à la première d’entre elles, l’opposition
entre le sujet et l’objet. Cette puissance de l’argent induit une relation au
monde qui nie l’histoire effective et la nature, en les faisant sortir du
cercle de la conscience.
Il faut cependant saisir ce qui, dans l’analyse
marxienne de la puissance aliénée de l’argent, reste idéaliste. Marx y
parle encore de l’argent et non du capital. Dans son analyse de 1844
l’argent pouvait encore être saisi comme un processus en soi à part entière.
Mais pas encore comme un produit des rapports de production aliénés.
Dans les Manuscrits l’argent apparaît comme un phénomène qui a son autonomie.
Alors que l’argent n’est que l’instrument du capitalisme, qui lui
est le mode universel de l’exploitation.
Pourtant les Manuscrits gravitent plutôt autour du
concept d’aliénation que de celui d’exploitation. Or ces deux rapports
sociaux ne sont pas de même nature. L’aliénation est une aliénation universelle
de l’humanité, même chez le capitaliste parce qu’il possède l’argent. Avec le
concept d’exploitation, l’unité – fût-elle générique – de l’humanité disparaît
de l’esprit de Marx. Or l’exploitation est une réalité de la production des
hommes, pas de l‘échange, propre à l’argent. L’opposition, propre à l’exploitation,
est inconciliable entre le travailleur producteur et le capitaliste détenteur
du capital et possesseur des moyens de production. Cette opposition fait que
seul le prolétariat porte en lui l’avenir de l’humanité parce qu’il est le seul
à produire, et que l’exploitation dépend de la production. Par contraste,
l’échange, lui, dépend du commerce des biens produits, qui se fait par
l’argent.
Mais l’échange aliéné implique la non-équivalence des
produits échangés et fait finalement apparaître le vol (aliénation) comme le
résultat des opérations de circulation de l’argent. Le concept d’exploitation
naît, lui, sur le sol de la production. L’aliénation n’est donc pas
l’exploitation parce que le travail, tel qu’il est analysé dans les Manuscrits,
n’est pas une catégorie philosophique historique. La catégorie du travail
aliéné, poussée jusqu’au bout de sa logique, a néanmoins finalement permis à Marx
de développer une théorie du travail en se passant de son approche idéaliste,
spéculative pour devenir pleinement matérialiste.
– Mais voici, pour notre gouverne, comment
fonctionne cet argent-dette capitaliste qui dirige le monde par l’usage caché,
subtil d’un algorithme d’une grande simplicité, manipulé à leur guise
par les grands Etats, et les grandes banques et entreprises privées, réunis au
sein de la Banque des Règlements Internationaux, sise dans la bonne ville de
Bâle en Suisse :
K = 1 / [ X + Z ( 1 –
X) ]
K : coefficient multiplicateur
de création monétaire par les banques privées.
X : Coefficient de
préférence de la population pour les pièces et les billets. C’est
l’effet « notre amie la Carte Bleue » (propriété privée de
banquiers), de préférence « sans contact ». « Moi,
individu-roi, j’ai mon libre-arbitre. Je suis surpuissant. Cool, chill
off ! »
Z : Coefficient de Réserve Obligataire de monnaie
en fonds propres que doivent détenir les banques privées auprès des
Banques Centrales (dites nationales ou publiques pour mieux occulter leur vraie
nature, sous main-mise privée). C’est à cette Réserve que s’adossent les
banquiers pour générer l’argent de dette à profusion. Celui-ci est, en sus,
encore surmultiplié par l’application d’un taux d’intérêt annuel illégitime
aux « vertus » délétères rarement soupçonnées, en lieu et place d’une
juste somme forfaitaire minimale pour prêt d’argent. Par ce génial subterfuge,
l’arnaque légale (d’État !) conçue par les puissants devient
totale.
° Si, comme nous y incitent les
trois super-larrons de Bâle par le tout digital, l’usage des billets disparaît
par notre coupable inconscience à user de l’argent digital ( X = 0 ) , alors K
devient 1 / Z et
la création privée capitaliste de l’argent croîtrait divinement comme pains et
poissons christiques. Cela se fait par un taux forfaitaire actuel de
1,25 % par transaction, totalement absent dans le cas des billets. Les
banquiers s’assurent des profits mirobolants.
° Et si, en outre, par la
financiarisation occulte accélérée de « titres pourris » (subprimes
ou autres) de valeur presque nulle, Z tendait vers Zéro, alors K serait proche
de 1 / 0 ou
l’infini. Cela signifierait que les banquiers créeraient l’argent presque à
l’infini. La concentration de l’argent (définition du capitalisme) chez
quelques grands banquiers serait telle qu’ils s’approprieraient la Terre
entière et les hommes, qui en seraient privés et plongés dans l’esclavage, la
misère et, in fine, la mort. Cela ne serait pas dans l’intérêt bien
compris des banquiers et des puissants. Non, ils veillent à minutieusement
doser la chose.
Outre cela, les propriétaires du
capital-argent déterminent la destination de leur création monétaire ad
libitum puisqu’elle apparaît par les crédits-prêts qu’ils
n’accordent, à leur gré et conditions, qu’aux emprunteurs de leur choix. Cette
pratique prend un nouvel essor par le Système de Crédit Social chinois et les
Systèmes de Crédit Bancaire nord-américains, promesse d’une appropriation
ultime du genre humain.
° Si, en outre, l’État, qui vit
de nos impôts, s’endette sans relâche, que se passe-t-il ? Il se rend et
nous avec, pieds et poings liés pour des générations, dépendants et esclaves de
banquiers et de fonds d’investissement étrangers privés, à leur profit et
majoritairement à notre détriment. Et cela par un argent qui, éthiquement, ne
leur appartient pas puisqu’il est adossé à « notre richesse
d’hommes » (Jean Bodin), nos activités et notre « travail de
production générique » (Marx). Surtout que s’y ajoutent en outre,
crime ultime, les intérêts légitimement indus et arnaqueurs qui exténuent le vulgum
pecus des « sans-dents », qualificatif cynique dont les
exploiteurs affublent la quasi totalité de l’humanité.
Comme il a été démontré
ci-avant, ce système métaphysique et absolu de la propriété privée des moyens
de production et d’échange aliène et exploite les hommes et la nature.
Dès lors ne serait-il pas dérisoire de prétendre à un pur libre-arbitre
tout aussi métaphysique qu’inopérant, alors que notre connaissance de la
nature de l’argent-dette prouve le faible degré de liberté effective
(Spinoza) qu’il faut assumer avec courage. A charge pour les hommes de
renverser la vapeur sociale et politique (Aristote), à grande échelle.
Henri Ford, suppôt des Nazis,
déclarait : « Si les gens savaient comment se crée l’argent,
il y aurait une révolution avant demain matin. ». Et Josiah Stamp,
gouverneur de la Banque d’Angleterre, ne s’y trompait pas : « Si
vous désirez être les esclaves des banques et payer pour financer votre propre
esclavage, alors laissez les banquiers créer l’argent. ». Il incitait
à agir. Ensemble. C’est notre seule liberté (Spinoza).