dimanche 26 janvier 2020

Sujet du Merc. 29 Janv. 2020 : LA PHILOSOPHIE : POSER DES QUESTIONS OU DONNER DES RÉPONSES ?


LA PHILOSOPHIE : POSER DES QUESTIONS OU DONNER DES RÉPONSES ?


Le fait de  poser des questions n’est pas propre aux philosophes. On pourrait même dire que « poser des questions » est une des caractéristiques de l’homme . Mais le corollaire immédiat c’est que si l’homme pose des questions ce n’est pas (de manière générale) pour en rester là. Il cherche une réponse et parfois arrive à formuler une réponse appropriée.

Depuis l’apparition des cafés philosophiques et d’une certaine philosophie dite « post-moderne » il est devenu quasiment honteux de donner des réponses à des questions philosophiques. Seule la science aurait la capacité à donner des réponses (provisoires pour certaines) car s’appuyant sur l’expérimentation et le fait qu’on puisse répéter des processus dès lors qu’on en a démontré la cohérence.

Cette attitude honteuse qui revient à dire que la philosophie n’a pas à donner de réponse ne doit elle pas être questionnée à son tour ?

Il y a toutes sortes de questions. Mais sont-elles toutes à portée philosophique ? Dieu existe-t-il ?  Ou encore, qui est le premier de la poule ou l’œuf ?, peut on répondre à ces deux questions ?  Les théologiens probablement, la philosophie idéaliste aussi au sens ou la réponse est une pure spéculation.
Stricto sensu il n’y a pas de réponses possibles hors la position dogmatique ou le choix binaire qui n’influent de toute façon pas sur le réel. Comme le dit M. Onfray : «Seuls les débats théologiques chrétiens, puis la scolastique affirment que l'exercice de la pensée vaut comme tel, à la manière d'une pure gymnastique intellectuelle séparée du réel. » ( M. Onfray).
Probablement avons-nous oublié ( ou nous a-t-on aidé à l’oublier !)que  : « la philosophie est aussi un art, ce qu'elle a été pendant une dizaine de siècles dans la période antique grecque et romaine, avant l'arrivée puis l'hégémonie du christianisme sur le terrain des idées. Art de penser et de vivre, de vivre pour penser et de penser pour vivre » M. Onfray
Vivre, pour les êtres humains, est en effet – in fine -  un problème de réponses concrètes à des situations concrètes.
Une partie du questionnement est purement métaphysique : pourquoi manger ?, pourquoi aller à l’école ?, Pourquoi suis-je en vie ? . La métaphysique est la spécialiste des  questions qui ne peut avoir que des réponses qui la satisfasse. Pendant que je vais disserter sur le fait de savoir pourquoi je suis en vie un temps infini peut s’couler jusqu’à …. Ma mort.

Ce type de questionnement sur le POURQUOI a le grand avantage de suspendre l’action. Et c’est bien là le but de toute métaphysique dont la question majeure continue à tarauder les spéculateurs : « pourquoi tout plutôt que rien » Leibnitz. On peut encore en parler d’ailleurs !
C’est une toute autre affaire de poser systématiquement la question du COMMENT et de s’en tenir à cette ligne. En fait nous revenons là à la source de la philosophie, comment diviser ce champ ?, comment prévoir de manière certaine les marées, une éclipse ? Comment accéder au bonheur ?  Ce furent parmi les premières questions de premiers philosophes.
Prenons la question du bonheur ou de la « vie bonne », si on la pose métaphysiquement : « pourquoi le bonheur ? » cela peut conduire à formuler des réponses qui vont permettre de rater l’essentiel : la réalisation effective du bonheur. Alors que la question : « Comment le bonheur ? » nous implique totalement dans une action. Notre bonheur dépend à la fois de nous et à la fois ne dépend pas seulement de nous. Pour que l’action se produise, pour que le bonheur se réalise – in concreto -  il faut un double oui ; c’est une question de vouloir et de pouvoir. Est-ce que je veux le bonheur et il faudra que j’agisse, est ce que peux, est ce que j’ai les moyens pour accéder au bonheur? Si le constat et NON, et bien si je veux quand même accéder au bonheur il faudra que, à nouveau j’agisse et que par ma pratique je me donne les moyens d’y accéder.
Ainsi la « prudence » de certains philosophes ou amateurs de philosophie, ne serait elle pas la résurgence de cette posture « d’avoir les mains propres car …..on n’a pas de mains » ? Le fait de craindre les réponses, de poser des questions univoques, qui amènent à des spéculations pures  ne serait il pas aussi une certaine paresse face à tout processus de connaissance c'est-à-dire à toute volonté de se transformer soi-même.
En effet poser la question du COMMENT oblige à utiliser des méthodes de pensée, de disposer d’outils intellectuels, de vouloir accéder à des domaines de connaissances, de faire des efforts. Discuter du sexe des anges peut être un doux divertissement, mais comprendre comment certains alors qu’ils organisaient la traite négrière, et les buchers de l’inquisition, pouvaient s’y adonner, nous renseigne certainement plus sur une certaine idée de l’homme.
Discuter de la démocratie, de la pollution, de la misère, peut aussi être sans fin (fins). « Pourquoi la démocratie ? » : parce que c’est le meilleur des régimes politiques ! ( les plus habiles diront le moins mauvais ). Mais : « Comment la démocratie ? », comment la réaliser concrètement dans ce monde ou des millions d’êtres humains voient leurs vies basculer au nom de la démocratie ( droit d’ingérence ... ), comme hier au nom de dieu tout puissant ?
« Pourquoi la pollution ? » parce qu’on est trop nombreux et que l’homme est un loup pour l’homme ?  Mais « comment la pollution ?», qui pollue, vous, moi ?  Monsanto, Total, Rhône Poulenc ? et au nom de quelle vision philosophique de l’homme ?
« Pourquoi la misère, », parce que nous devons passer dans ce monde « comme dans une vallée de larmes » et que certains sont destinés à y rester plus longtemps que d’autres ?. Mais « comment la misère ? », par quels mécanismes des couches de population entières des peuples entiers hier debout, en sont réduits à survivre avec la famine et la maladie en prime ?
Si un des rôles de la philosophie et des philosophes est de poser des questions, comme tous les hommes le font. La fonction de ceux que la philosophie attire ne serait elle pas d’apprendre à poser les bonnes questions et chercher ensemble non point les bonnes réponses, mais bien les outils méthodologiques qui pourraient permettre aux autres hommes de se passer de toute spéculation ?
«  Nous ne sommes pas pour que dans un monde désorganisé les intellectuels se livrent à la spéculation pure…Nous sommes pour que les intellectuels entrent eux aussi dans leur époque ; mais nous ne pensons pas qu’ils puissent y entrer autrement qu’en lui faisant la guerre. La guerre pour avoir la paix »    A. Artaud

lundi 20 janvier 2020

Sujet du Merc. 22/01/2020 : "Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre" Platon


Que nul n'entre ici s'il n'est "géomètre" (Platon). 

Ce texte figurait parait-il au fronton de l’école de philosophie que créa Platon, école qui s’intitulait «  Académie ».

Imaginons un instant qu’à l’entrée du café philo figure cette phrase. Il est probable que beaucoup rebrousseraient chemin. Mais que peut-on entendre par « géomètre » ? Pour Platon, la géométrie, pas plus que les autres sciences mathématiques, n'est une fin en soi, mais seulement un préalable destiné à tester et développer la capacité d'abstraction de l'étudiant. Il s’agissait, pour lui, d’apprendre à dépasser les sensations qui nous maintiennent dans l’ordre du visible ( des sens) et du matériel pour s’élever vers un intelligible transcendantal.

Dans ce cadre la géométrie est une science qui n’autorise guère de fantaisies et on comprend peut être mieux la préoccupation de Platon. Des lignes des courbes, de segments, des angles …. Si toutes les activités humaines pouvaient ainsi être abordées, si la vertu, le courage, la beauté … pouvaient se mesurer pour arriver un absolu de Vertu, Courage, Beauté.

On est là dans une recherche qui a profondément marquée la philosophie. Aujourd’hui encore certains philosophes posent ainsi les problèmes. Il y aurait – au-dessus – de nos petites contingences des valeurs « en soi ». du Bien, du Mal, du Beau, du Laid, de l’Ethique, etc….

C’est en ce sens que Platon pose la géométrie comme pivot de l’accès à la connaissance. Mais ce n’est pas à la connaissance du réel auquel s’attache Platon. Rompant avec les traditions philosophiques antérieures qui cherchaient à comprend la nature, la matière, Platon va s’attacher à chercher en tout ce qui transcende ce tout.

Pour lui le réel n’existe pas, au dessus du réel il y a le monde des idées et si, pour reprendre un exemple classique, nous avons des lits ce ne sont que des réplique du lit « premier » qui est le lit de dieu. D’où aussi la haine de Platon pour les arts. 

Pour reprendre l’exemple ci-dessus Platon acceptait qu’un artisan puisse «  reproduire » le lit de dieu pour notre usage, mais qu’un peintre puisse montrer un lit sur un tableau, cela avait une valeur de sacrilège. En effet l’artiste proposait une « idée » du lit, alors que la seule idée possible était l’idée supérieure, celle formulée par le dieu.

Il ne faut donc pas prendre cette phrase, intitulé du sujet, comme une volonté d’accorder science et philosophie, mais au contraire comme tentative de mathématisation du monde, mais avec un présupposé. Le monde est le résultat d’une idée divine et la géométrie est l’outil donné par dieu (une idée) pour nous faire accéder à la transcendance.

Alors que, comme nous l’avons vu avec Anaximandre, deux siècles plus tôt ( voir philopiste : «  Anaximandre ou la fin du mythe » ), la géométrisation du cosmos avait permis de développer une philosophie d’explication du monde fondée sur le rejet d’une « naissance », d’une création et un projet d’organisation sociale prenant en compte isonomie et contradiction; avec Platon nous assistons à une reprise en main de la pensée mythique, une remise en cause de toute la philosophie de la nature et une conception politique basée sur l’inégalité et le « mensonge nécessaire ».

Le monde grec avait changé en deux siècles. Une oligarchie et une monarchie s’étaient peu à peu imposées aux hommes. Athènes avaient fait la guerre et son pouvoir déclinait. Une pensée nouvelle s’avérait nécessaire. 

Platon allait être le penseur de cette époque. En réaction à la décadence rien de tel qu’une dose de croyances revues et corrigées. En réaction à la philosophie de la nature, elle qui partait du réel pour en tirer des lois et transformer ce réel, quoi de plus logique que de nier le réel et d’en revenir « au bon vieux temps » celui des mythes et des explications cosmologiques fondées sur de la pure spéculation : 
Pour Platon, le monde s’appuie sur cinq éléments essentiels : le Feu, l’Air, l’Eau, la Terre et l’Univers. En réaction à l’idée d’un univers incréé, le dieu créateur ressuscite « Ainsi, le Dieu a placé l'air et l'eau au milieu, entre le feu et la terre, et il a disposé ces éléments les uns à l'égard des autres, autant qu'il était possible dans le même rapport, de telle sorte que ce que le feu est à l'air, l'air le fût à l'eau, et que ce que l'air est à l'eau, l'eau le fût à la terre. De la sorte, il a uni et façonné un Ciel à la fois visible et tangible." (Platon – Le Timée)

La philosophie va désormais se tourner vers la métaphysique. Les choses « en soi », les concepts à majuscules (Vérité, Beauté …) vont dominer le débat théologico-philosophique. 

Les atomistes comme Epicure, Démocrite… ne purent s’imposer face à une philosophie qui proposait aux puissants un tel corpus idéologique. Il faudra un Spinoza, puis un Descartes pour voir commencer à émerger une pensée différente. 18 siècles pour un renouveau de la pensée philosophique.


lundi 13 janvier 2020

Sujet du Merc. 15/01/2020 : L’amélioration du monde comme amélioration de soi

L’amélioration du monde comme amélioration de soi


En Occident depuis Platon, Ve siècle avant J-C, jusqu’au XVIIe siècle prévaut une société à pensée transcendantale. Pour les Grecs, puis dans le monde gréco-romain, la philosophie est un mode de vie authentique. 
Aristote dans son Lycée forme ses disciples à la vie philosophique : c’est le bonheur que peut procurer la pratique de la vertu dans la cité, une vie toute tourner vers l’activité de l’esprit (la théoria) à la recherche de la sagesse dans un monde fini parfait (le cosmos). 
Puis le christianisme comme philosophie révélée : dès le 2ème siècle ap. J-C les apologistes chrétiens ont utilisé la notion de logos pour définir le christianisme comme la philosophie, celle-ci se présente à la fois comme un discours et un mode de vie (1).
Au moyen âge la philosophie sera mise au service de la théologie, l’homme sera pris dans un système de dépendance(féodalité) figé et immuable dont il sera libéré lors de sa mort pour accéder au royaume de Dieu. 
Au XVIe et XVIIe siècle la société se déchire dans les guerres de religions (la guerre de tous contre tous) : l’homme se donne le droit de penser et la liberté de choisir sa religion. Avec la liberté de conscience nait le concept de liberté libérale ou libéralisme, soutenu d’abord par John Locke (1632-1704) en Angleterre.

Ce mouvement intellectuel aboutira aux « Lumières » du XVIIIe siècle : c’est la prise d’autonomie de l’homme, sa capacité à se servir de son propre entendement, de sa raison (Kant). Une société immanente d’individus est née. Il y a privatisation de la religion et de ses valeurs. L’amélioration des conditions de l’homme est dans le progrès scientifico-technique.
L’homme peut agir pour transformer le monde et le rendre meilleur, et, en cela améliorer sa condition humaine sans attendre de Dieu une aide pour son accomplissement.

Qu’en est-il aujourd’hui de notre relation au monde et quel avenir pour l’homme ?

Alors qu’on affirme en Occident que les libertés sont acquises, à l’évidence l’évolution technoscientifique et politique montre que nos libertés ont disparu dans de nombreux domaines et que le projet d’autonomie de l’homme est en panne.

Je vous soumets trois approches philosophiques différentes de penseurs contemporains :

1/ Quitter l’horizontalité du système et retrouver une forme de verticalité par la volonté et l’effort individuel, ceci par un engagement pratique et responsable. Peter Sloterdijk (2) voit la liberté de l’homme dans sa manière d’habiter le monde et de se créer soi-même dans cet habitat (une vie exemplaire au moyen de la metanoïa, de l’ascèse et des études)

« L’individu apparaît désormais plutôt comme un entraineur qui supervise le choix de ses talents et anime l’équipe de ses habitudes. Que l’on appelle cela micro politique, ou art de vivre (…). »
« La devise de l’anthropologie selon laquelle l’homme ne se contente pas de vivre, mais doit mener sa vie, se transpose à la fin du XXe siècle dans cette exigence qui retentit dans tous les médias : faire de son propre moi un projet, et du projet une entreprise, gestion de sa faillite comprise. »
« La société semi-séculaire depuis le Baroque, permet le compromis historique entre l’amélioration de soi et l’amélioration du monde. Tandis que la première reste totalement de la compétence de l’individu qui désire changer, la deuxième dépend des performances des enseignants, des inventeurs et des entrepreneurs qui ont peuplé le champ social avec les résultats de leur activité, résultats pédagogiques d’un côté, techniques et économiques de l’autre. Sous l’aspect du changement de méthode, on remarque ici à quel point le centre de gravité se décale peu à peu de l’influence de l’individu sur lui-même vers l’influence, provenant quasi de l’extérieur, des enseignants et des inventeurs sur les masses. » 

2/  Retrouver Marx, Jean Claude Michéa. (3) Il milite pour le retour à une philosophie de « la vie commune », pour une limitation de la revendication des nouveaux droits des individus qui nous entrainent vers une société d’individus atomisés. Il rejette la privatisation des biens et valeurs qui ont vocation à rester ou à devenir des biens communs.

« Or ce refus de réduire l’essence de la société à un simple agrégat de particules contractantes n’ayant entre elles de relations que fondées sur le calcul d’intérêt (…) ne nous rappelle pas seulement qu’il existe aussi des liens qui libèrent (comme par exemple, l’amour, l’amitié ou le sens de l’entraide), et que notre épanouissement individuel trouve par conséquent certaines conditions indispensables dans l’existence d’une véritable vie commune. »
« Dans quel nouveau langage philosophique et politique capable de prendre enfin en compte l’instance de la vie commune et de distinguer ainsi les libertés qui renforcent notre autonomie individuelle et collective de celles qui accroissent notre atomisation. »
« La libre concurrence impose aux capitalistes les lois immanentes de la production capitaliste comme des lois coercitives externes. »

3/  Refonder le libéralisme, Monique Canto-Sperber. (4)  Elle prend acte de la perte de libertés dans notre vie sociale (mise en fiches, profilage, écoutés et filmés sans notre consentement), politique (dépossession du pouvoir dans des institutions de la démocratie représentative ne permettant pas la participation effective) et économique (impuissance des pauvres à s’affranchir d’une inscription sociale).
La liberté naturelle n’est ni bonne ni mauvaise, celle-ci ne fait que convertir en puissance d’agir le droit de rester en vie qui appartient à tout homme et fait que chaque individu a une souveraineté illimitée sur lui-même, mais le libéralisme contient des ambiguïtés, notamment politiques. Il faut redéfinir les liens entre la liberté politique (ou citoyenneté) et la liberté libérale : le fait que nul ne m’opprime et que je sois libre ne suffit pas si je ne suis pas doté des moyens d’échapper à l’asservissement économique et social. Le remède : la participation politique comme perfectionnement individuel et collectif doit permettre une appréciation vigilante de la légitimité du pouvoir.

« La société libre n’est pas seulement une société où chacun jouit de ressources minimales lui permettant d’être un acteur social, c’est surtout une société où les possibilités d’en faire usage pour se transformer soi-même et s’affranchir de la condition où l’on est né comme de l’environnement où l’on vit sont nombreuses et illusoires. »
 « Il paraît difficile de faire de la liberté économique le modèle même de la liberté. Car beaucoup d’individus n’ayant ni capital ni les moyens de produire quoi que ce soit, cette liberté se réduit pour eux à échanger sur le marché la seule chose qu’ils possèdent, à savoir leur force de travail autrefois, et aujourd’hui, du moins pour certains, leur intelligence, voire leur personnalité… »
« La liberté sans moyens est toujours la liberté tandis que des moyens de liberté sans garantie de libre usage, ce n’est plus la liberté »
 « La liberté politique dont les conditions sont le pluralisme politique et la neutralité de l’État, et qui s’exprime dans la capacité à définir des arbitrages entre libertés et bien collectifs. »

(1) « Qu’est-ce que la philosophie antique » de Pierre Hadot.
(2) « Tu dois changer ta vie » de Peter Sloterdijk.
(3) « Le loup dans la bergerie » Jean Claude Michéa.
 (4) « La fin des libertés ou comment refonder le libéralisme » Monique Canto-Sperber.                                                

dimanche 5 janvier 2020

Sujet du 08/01/2020 : POURQUOI LES HOMMES OBEISSENT-ILS A DES MAITRES ?


                  POURQUOI LES HOMMES OBEISSENT-ILS A DES MAITRES ?

On pourrait affirmer que c'est tout simplement parce que, par paresse, c'est plus confortable et que ça apaise les peurs. On aurait ainsi peu argumenté. La question semble mal posée. Que votre critique soit donc sans ambages sur ce qui suit.

Il ne s'agit pas de savoir s'il doit y avoir des maîtres ou pas puisque toute compétence confère une autorité, une maîtrise sur d'autres. Il y a donc des maîtres nécessaires mais pas abusifs. A certains moments et en certaines circonstances, n'est-on pas en société le maître d'un autre, tandis qu'on est aussi l'obligé ou même le soumis d'un autre ? Les Portugais ne se disent-ils pas mutuellement l' « obligado » d'un autre ?

En somme tout est une question de degré de maîtrise ou de soumission. La question n'est-elle pas avant tout éthique ? Et la réponse radicale ? Dans quelle mesure respecte-t-on la dignité de l'autre (Kant) ? En société, qu'est-ce qui est nécessaire sans être abusif ? Sachant que « l'homme est un animal politique » (Aristote). Et que les hommes ne peuvent vivre qu'en société par des échanges incessants dans des processus dialectiques diversement constructifs. On ne peut obéir à des maîtres sans en être parfois un soi-même.

Voyons cela. Comment cela se fait-il ? Qu'elles en sont les limites ? Comment des idées peuvent-elles s'ériger en dogmes métaphysiques de soumission et de servitude ?

                     Le nouveau-né découvre des contraintes et en impose à son entourage. Aux contraintes physiques auxquelles il s'affronte, il essaie à son tour de s'imposer en maître. Même si elles s'imposent in fine à lui en posant des limites infranchissables. Il en est de même de sa part vis-à-vis des êtres qu'il côtoie. Ces processus dialectiques de maîtrise qui se répondent assurent l'édification de la qualité d'homme. Ils construisent pas à pas la personne à partir de l'animal qui n'est encore un homme qu'en puissance. Mais outrepasser certaines limites conduit à l'abus. Alors émerge l'enfant-roi qui s'impose en maître puéril. Le mythe de la consommation l'installe dans cet état qui prépare des adultes immatures. Comment alors rééduquer dans la dignité d'hommes ceux qui n'en ont pas franchi les jalons dans la petite enfance ? Surtout si en outre on concède à l'enfant deux libertés abusives. Celle à la Gréta Thunberg d'invectiver en maître les adultes d'un doigt et d'un regard haineux, tout en désertant l'école de la connaissance ou en participant à celle de l'ignorance par l'indiscipline. Comment alors assurer l'édification d'une société en évitant sa décomposition en monades d'individus égotiques, ignorants et, pire encore, despotiques entre eux ?
                     Aux extrêmes opposés, il y a deux impositions possibles. Celle d'une morale, religion, idéologie ou mythe métaphysiques ; ou encore celle de l'arbitraire de la brutalité physique de l'enfance, de l'exploitation d'un salariat jetable, de l'esclavage et finalement de la torture. Ces impositions conduisent directement à la problématique de l'intitulé « pourquoi les hommes obéissent-ils à des maîtres ? » et plus particulièrement au « comment » de la chose. Faisons-le en deux temps. Il faut savoir ce qui fait un être humain et le maintient dans cette qualité. Ensuite, la révolte, la lutte et finalement la révolution ne suggèrent-elles pas elles aussi le « comment » ? En effet comment les hommes en arrivent-ils à pareilles obéissance et indignité ? Ici, un rappel de fondamentaux est nécessaire.

Tout ce qui appartient à l'univers, particule ou galaxie, caillou ou animal ou homme, est par convention doté d'existence. Tout objet est. Mais ce n'est que grâce à un observateur qui en trace les limites, lui assigne une singularité et le définit que toute chose devient un objet individualisé. Pour être un objet du monde, il faut être l'objet du discours d'un observateur. Certes parmi les animaux les hommes ne sont pas les seuls observateurs. Mais les hommes ne sont-ils pas seuls capables, par exemple, d'aller au-delà de la constatation qu'une tache brillante monte chaque matin dans le ciel. Tout objet est une création arbitraire du discours humain.
Sans l'homme l'univers n'est qu'un continuum sans structure, tant spatiale que temporelle. Du coup, seuls les hommes peuvent imaginer demain. L'objet soleil inexorablement réapparaît à l'horizon. Les ours, les écureuils font des provisions pour l'hiver, mais ce réflexe est déclenché par la température. Ils font des provisions parce qu'il fait froid, non pour passer l'hiver (intention humaine). Etre conscient que demain existera et que je peux avoir une influence sur lui est propre aux hommes.

Outre d'être soumis à un déterminisme animal, les hommes ont un appétit lié à leur capacité de penser demain. Ce qui entraîne celle de s'interroger sur ce que sera cet avenir. D'où l'angoisse et l'espérance métaphysiques. Mais aussi le désir de rendre l'avenir conforme à leurs vœux. Comme leur prise sur le réel n'est que fort partielle, ils en viennent à s'imaginer des mondes illusoires hors du réel où interviennent des dieux et d'autres puissances occultes. Cette capacité est source de multiples dérives métaphysiques.

Revenant à leur regard créateur d'objet, les hommes peuvent le tourner vers eux-mêmes et se faire l'objet de leur discours. Du coup, non seulement ils sont comme tout animal, mais encore ils se savent être par un regard auto-réflexif. C'est la conscience.

Mais encore faut-il qu'il y ait possibilité de discours. Les faits montrent qu'un être humain sans rapport avec d'autres hommes n'a jamais pu parler ni tenir de discours, ni devenir ni rester un homme. Nous ne devenons hommes et ne le restons que par nos échanges et partages mutuels et collectifs. Je dis je parce que d'autres m'ont dit tu, et réciproquement. Il faut qu'il y ait un nous pour qu'il y ait un je. Le cerveau et le corps humains sont l'aboutissement de l'aventure de la matière au cours de l'évolution par l'apparition de pouvoirs toujours plus grands découlant de structures matérielles sans cesse plus complexes.

Il s'en suit que ceux qui n'acceptent pas d'entrer dans une relation authentique, franche et complète avec d'autres les privent de la dignité d'homme, celle d'être pleinement conscients. Ils les déterminent à l'état de conscience partielle proche de celle de l'animal dressé à « obéir à la voix de son maître ». C'est ce que montre l'exemple contemporain de populations paléolithiques d'Amazonie. Une brève tentative de Jésuites à instaurer une hiérarchie parmi les enfants d'Indiens par une notation scolaire a échoué dans le massacre de ces maîtres, qui en préparaient d'autres abusifs pour la postérité. Les Indiens avaient compris qu'instaurer une vision métaphysique de pouvoirs discriminatoires parmi eux les priverait de tout ou partie de leur qualité d'êtres humains : leur dignité. L'émergence de maîtres qui imposent l'institution hiérarchique de l'obéissance s'est soldée par l'éradication de la cause. La révolte a été suivie d'une ferme détermination dans le passage instantané à l'acte radical. Les Amazoniens sont philosophes. Comme Spinoza ils n'ont pas ignoré la cause qui les aurait sinon déterminés

Cette anecdote nous ramène au paléolithique de l'Ancien Monde et à la mutation néolithique vivace jusqu'à nos jours. Il y a quelque dix mille ans, le climat se réchauffe, devient plus sec (tiens, quelle surprise !). Chasseurs-cueilleurs jusqu'alors, les hommes se concentrent aux points d'eau essentiels à
la vie. Ils se sédentarisent dans ces écosystèmes luxuriants. Le conflit s'installe pour les ressources. La guerre apparaît par la décimation totale de communautés. La protection de la vie et des ressources devient la spécialité des plus vaillants et vigoureux disposant du pouvoir nouveau et exorbitant de prêter vie ou mort à tout un chacun. Une hiérarchie apparaît qui confère aux guerriers ce pouvoir discrétionnaire. D'autres classes les entretiendront, obéissant à la nécessité de la spécialisation des tâches pour survivre.       
La dépendance est réciproque. Mais l'urgence de la défense armée établit une asymétrie induisant la possibilité d'une sujétion et même in fine de l'abus de pouvoir. L'expérience acquise induit une violence plus insidieuse et profonde, assurant sujétion et obéissance par la conviction que l'intérêt de tous réside dans une concorde politique d'acceptation. Le recours à des croyances partagées par les soumis afin de conforter la stabilité sociale d'un système hiérarchique assigne à chacun sa condition de contrainte et d'obéissance. Les plus réfléchis font émerger des croyances sous forme de mythes, religions et idéologies diverses. 
En bref, des visions métaphysiques pénètrent les habitudes et les esprits. Elles sont le fruit de l'imagination de maîtres rusés et exploiteurs de congénères apeurés ou paresseux, ou encore naïfs parce que « ignorants des causes qui les déterminent ».

Aujourd'hui les prétendues libertés innombrables conférées aux individus-rois esseulés ne les confinent-elles pas insidieusement dans une ignorance garante de leur sujétion et exploitation sans retour par des maîtres s'avançant souvent masqués ? Pourtant ne suffirait-il pas de gratter l'émail du réel pour découvrir le pot-aux-roses ?          
Ainsi, l'argent – qui n'est qu'un accord révocable parmi les membres d'une communauté représentant ses valeurs – a-t-il été subrepticement accaparé par les maîtres ultimes du capitalisme. Ceci grâce à la paresse ou à l'ignorance serviles de tous les autres hommes, confondus par le subterfuge d'un paradigme métaphysique traduit en un mécanisme mathématique difficile d'accès aux moins initiés. Le principe d'illusion imaginé par les maîtres est de faire accroire qu'une monnaie inerte (métallique, papier ou électronique) peut se reproduire infiniment telle une chimère vivante selon la volonté de ses maîtres et créateurs. Or ce qui est ainsi transfiguré en son contraire prétend représenter l'accord social de tous sur la dignité d'homme qui réunit en toute confiance les membres d'une société. 

Un autre exemple plus récent est celui de « crime climatique de l'humanité ». L'affirmation d'ordre métaphysique – contraire aux faits mesurés et chiffrés, et aux sciences – est que les rejets coupables par les hommes de « gaz à effet de serre » éradiqueront bientôt la vie sur terre par leurs conséquences cataclysmiques sur tout ce qui se passe sous le soleil. Les notions religieuses de culpabilité, punition et rédemption sont omniprésentes. Les coûts immenses de la guerre contre les rejets doivent être imputés selon le principe du « pollueur, payeur ». En somme à chacun de payer une TVA climatique à proportion de sa consommation.      
Or consommer est le mot d'ordre du capitalisme. Les révoltes sociales lancinantes actuelles en sont les témoins (Gilets jaunes, pensions de retraite, etc.). Seront d'autant plus affectées les personnes dont la consommation représente une proportion plus grande de leur revenu. Elles seront imposées, punies et rédimées selon l'adage qu'il faut faire payer les moins bien lotis, même si c'est peu par tête, car leur nombre fera l'affaire. Ainsi se sépare le grain de l'ivraie. Le crédo métaphysico-religieux du crime climatique pénalisera quelque 95 à 99% des hommes sur terre, qui ainsi rachèteront en enfer leurs errements écologiques.

Réfléchissons un instant. Le prix de ces gaz de climat sont comme un droit à respirer, dont il faut s'acquitter. Il en est de même pour l'eau, bien commun de l'humanité comme l'air et assurant la vie, qui se vend de plus en plus aux enchères entre clients privés les plus puissants. En toute logique avec la conjecture métaphysique du réchauffement supposé dû à l'homme, ce dernier est décrété unique déterminant de la disponibilité d'air « propre » (peu de CO2) et d'eau douce. Les fonds climat ainsi collectés sur l'eau et l'air sont, en vertu de l'immensité capitaliste des gains promis, voués à la financiarisation par produits dérivés boursiers. Ils enrichissent infiniment par « la pompe à phynances » la fraction du pourcent de reliquat humain déjà le plus riche. Dans la même veine, les réserves monétaires destinées à régler les pensions de retraite sont-elles aussi en voie de constituer des produits dérivés de la financiarisation du monde ? La vie des vieux devient une ressource capitalistique à l'instar du film « Soleil vert » ?

Oui, la métaphysique souvent chamboule le monde. Les croyances, mythes, religions, idéologies l'ont prouvé. Sauf qu'aujourd'hui ce qu'elles mettent en œuvre est universel et sans borne. Cet hubris infini par son hyperbolique démesure sera-t-il le déclencheur de révolutions sociales planétaires qui l'annihileront ?
Mais quelles hécatombes, dans quelles souffrances, ne seront donc pas nécessaires. Comment collectivement aider à les minorer ? Allons-nous approfondir les points énoncés dans ce texte, et sans doute d'autres encore, en vue d'une (ré)action nécessaire ?

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