POURQUOI DÉBATTRE PLUTÔT QUE
PHILOSOPHER ?
Que de fois n’avons-nous pas à faire à un médecin qui se
contente de pratiquer une auscultation ou une analyse superficielle suivie,
sans preuves matérielles réelles, du « diagnostic » de telle
affection et de telle médication. Ou encore, se bornant aux apparences, le
médecin prescrit-il un remède qui atténue les symptômes sans précisément cerner
les causes du mal et son identification en vérité afin d’administrer le remède
pertinent. Voilà ce que nous réclamons qu’on nous assure.
Dès lors pourquoi ne pas exiger autant de nous-mêmes ?
Particulièrement dans notre démarche de recherche relative aux questions que
nous nous posons ? Notamment dans nos recherches philosophiques. Servons-nous
donc de l’exemple du médecin comme grille de lecture, crible ou tamis pour
juger de la pertinence de l’approche que nous adoptons pour traiter tout
sujet. Nous verrons alors toute la différence qui existe entre débattre et
philosopher…
Déjà on ne peut débattre qu’à au moins deux personnes et le
plus souvent à plusieurs à la télévision, dans les réseaux sociaux, réunions
d’amis et cafés ou devant un bar. Dans les débats, les protagonistes échangent
des points de vue appuyés sur des convictions personnelles ou sur celles
véhiculées alentour ou par les médias. Il s’agit souvent d’opinions abusivement
affirmées comme vérités. Faible est alors le souci de les étayer par un
ensemble coordonné de faits pertinents
dûment avérés et vérifiés. Faits dont on aurait dû rechercher les liens
essentiels entre eux qui constituent alors des preuves solides. On en aurait
aussi recherché les causes profondes
et évidentes pour construire l’une ou l’autre hypothèse, principe ou théorie explicatifs probants le mieux argumentés qui soient.
La dernière exigence qu’enfin on s’imposerait ne
devrait-elle pas être d’ensuite sans cesse soumettre à la critique et au doute
systématique ce principe de fond qui nous apparaît comme la vérité la plus
probante ? Une vérification est donc nécessaire par la recherche volontaire
et systématique de faits nouveaux d’observation ou d’expérience les plus
proches possibles de ceux initialement obtenus afin de déceler dans le principe
retenu quelque faille ou contradiction qui s’y cacherait.
Ce sont là les ingrédients coordonnés les uns avec les
autres d’une approche scientifique, c-à-d
philosophique, qui permet d’accéder à
des connaissances authentiques plutôt qu’à des opinions ou idées toute faites.
C’était cela la philosophie et la science jusqu’au début du dix-neuvième
siècle, mais rarement après Hegel. C’est ainsi qu’on avance dans la
compréhension et les connaissances. N’est-ce pas aussi sur les acquis solides
et véritables d’une telle démarche que peut se construire une action pertinente ? Plutôt que sur
les artifices de vains débats illusoires.
Pouvons-nous ici y arriver entre nous ? Le défi est
jeté. Ne pas le relever et continuer à concevoir les choses par effets d’imagination « en notre âme et
conscience » et « conviction profonde », n’est-ce pas mettre
la charrette avant les bœufs, affirmer sans preuve une opinion toute faite et
ne retenir à toute force que les faits qui la confortent tout en niant tous les
autres ou encore en voulant par sophisme les tordre jusqu’à ce qu’ils se
conforment et soutiennent notre « conviction profonde »?
N’est-ce pas là nous confiner à la mé-connaissance, aux croyances fausses, à
l’ignorance et aux débats oiseux qui détournent d’une action pertinente et
confinent à l’échec les actes que nous posons ? C’est s’inscrire in fine dans la servitude à nos erreurs
volontaires en faisant dès le départ le choix de l’impuissance politique de nos
actes (pour autant que nous osions en poser).
Dès lors, « pourquoi débattons-nous plutôt que
philosopher » (ou rechercher des connaissances) sur un sujet ? Quelle
motivation nous anime ? Il y a des vérités qui gênent ; tant les dominants
que les dominés, mais pas pour les mêmes raisons bien sûr. Les gens n’aiment
pas être dérangés. De plus, souvent ils préfèrent quelque chose de faux mais de
vraisemblable à quelque chose de vrai mais d’inhabituel. Ils ne veulent rien
d’exceptionnel. Rien qui les remette en question. Ils réclament des
informateurs qui offrent des choses faciles à décrypter et qui ressemblent à ce
qu’ils connaissent déjà et les réconfortent. Ce qu’ils veulent, c’est être
rassurés sans efforts notables de leur part. Cela assure une satisfaction ou un
plaisir immédiats sans devoir attendre les résultats plus lointains d’une
recherche de vérité. Quitte à accéder en toute sérénité à la servitude
volontaire dans la béatitude de la non-pensée. Le prix à payer de cette
aliénation est alors sans limite. Ils s’en plaignent avec acrimonie et même grande
violence sans se retourner vers eux-mêmes pour absence de prise de
responsabilité radicale de leurs existences.
Que faire alors ? Pour nous sortir de cette
terrible impasse.
Rappelons à propos ces mots d’authentiques philosophes
étrangers aux affirmations ultérieures d’un Karl Popper très vingtième et
vingt-et-unième siècles dont nous sommes si souvent devenus les adeptes (« l’assurance que moi, je trouve là dans ma
conscience un certain contenu est l’assise fondamentale de ce qui est donné
comme vrai. ») :
- Hegel :
« C’est que la philosophie ne permet
pas qu’on ne fasse qu’assurer, que s’imaginer, qu’aller et venir arbitrairement
par la pensée en raisonnant. »
- Feuerbach :
pour vouloir « être philosophe, …
pense comme un être vivant, réel, … pense dans l’existence, dans le monde,
comme un membre de ce monde, et non
dans le vide de l’abstraction, telle une monade esseulée,… »
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