Pas de discussions avec les tyrans ?
Gouvernement d’un seul, la tyrannie est toujours l’exercice du pouvoir fondé sur un coup de force et affranchi des lois. Cependant, ce pouvoir n’est pas nécessairement odieux et particulièrement violent. C’est pour les modernes que la tyrannie est le plus souvent un nom dévolu aux régimes insupportables qui ne valent que par la force qui les maintient. Aussi le tyrannicide est considéré par eux comme légitime.
Pour
les grecs, en revanche, le tyran peut apporter la paix et la sérénité dans la
cité. Il suffit qu’il ait assez d’habileté pour tenir en équilibre les forces
sociales en présence, et pour paraître, aux yeux du peuple et des notables, un
homme sage et modéré, par qui la tranquillité sera maintenue. Le tyran sait se
ménager des soutiens. Ce n’est donc pas forcément un délirant, un Néron, qui
conduit l’état à la catastrophe.
Cela
dit, la tyrannie est caractérisée par l’absence radicale de liberté politique,
c’est donc avant tout parce qu’elle constitue la dépendance de tous à l’égard
d’un seul que rien ne retient de mal faire, si c n’est sa propre intelligence
et son intérêt.
Dans
la philosophie moderne, le concept de despote a supplanté celui de tyran. Les
anciens réservait la notion de despote à la sphère domestique, relations
maitre-esclaves ou familiales. Puis elle fut appliquée au pouvoir seigneurial
ou royal, pour suggérer l’analogie entre l’administration de la famille et
celle de la société politique par un seigneur ou un monarque.
C’est
avec Montesquieu que le despotisme est nettement affirmé comme un équivalent de
la tyrannie. Pour lui, le despote et celui qui, sans lois et sans règle,
entraîne tout par sa volonté et ses caprices. A partir de la révolution
française, les notions de dictature et de dictateurs arrachées à l’oubli se
sont imposées comme descriptive d’un type d’exercice du pouvoir. D’autres
régimes tels que l’Hitlérisme ou le Stalinisme, considérés comme inédits et
plutôt qualifiés de totalitaires.
Certains
régimes d’Amérique latine du 20éme siècle, traditionnellement qualifié de
populistes peuvent être considérés comme tyranniques, même s’ils ne reposent
pas sur l’usurpation, car, le chef populiste, à la fois identifié au peuple et
posé comme être supérieur et salvateur, peut bientôt se placer au-dessus de la
loi et anéantir toute liberté politique, dans la mesure où, sous la protection
du chef, celle-ci est sensée ne plus avoir de signification.
On
voit que dans tous les cas, c’est la peur qui fait entrer les hommes en
servitude. Comme il faut de la vertu en république, de l’honneur en monarchie,
Il faut de la crainte en tyrannie dit Montesquieu, car l’honneur et la vertu y
seraient dangereux. Et désobéir serait s’y exposer à une mort violente. Chacun
cède au tyran la totalité de sa force et son droit naturel.
Contrairement
à Montesquieu Hobbes pense que la paix civile vaut tous les sacrifices et
notamment celui de la liberté et que le despotisme est le seul moyen de ramener
l’ordre dans les rapports entre les hommes. Un bon despotisme éclairé ?
Plus sain que les valeurs fondamentales de l’humanité ?
Le
tyran fascine. Il fait, malgré nous, partie de notre histoire. Depuis que
l'homme, cet animal politique, cherche à s'organiser, il engendre cet écart de
conduite où l'un prétend, en toute impunité, écraser les autres. Kadhafi, Kim
Il-sung, et bien d’autres... les tyrans sont parmi nous, avec deux ingrédients
sont récurrents : une déviance personnelle et un dispositif idéologique
radical. Peut-on les ramener à la raison ?
La Boétie veut prouver
que la servitude n’est pas forcée mais volontaire. En effet, la question qu’il
se pose, touche à l'essence même de la politique: pourquoi obéit-on ? Comment
se fait-il que le peuple continue à obéir au tyran ? Par méconnaissance de la liberté ? Par
lâcheté ? Par intérêt ?
Un
homme ne peut asservir un peuple si ce peuple ne s’asservit pas d’abord
lui-même. Il suffirait à l’homme de ne plus vouloir servir pour devenir libre.
Mais la désobéissance est-elle un comportement passif ? Ne doit-elle pas
être assortie d’expressions de volonté et d’aspirations ?
Platon,
qui définissait le tyran comme celui
qui, dans la cité, exerce son autorité selon ses propres vues, pose aussi que la raison et la discussion
mènent peu à peu à la découverte d'importantes vérités. Ainsi recherchait-il la
relation verbale directe et personnelle conduisant notamment à des politiques
du possible, du relatif, du négociable.
Le
tyran n’est-il pas un être humain, pourquoi ne serait-il pas intelligent ?
Doué de sentiments ou de raison ? Si l’on considère qu'une personne
devient tyrannique si on la laisse faire. Pourquoi ne pas apprendre à anticiper
et à négocier ?
Une
tyrannie docile (quelque fois mise en place de l’extérieur) vaut peut-être
mieux, pour ses partenaires étrangers, qu’une démocratie hostile. Les
possibilités d’influences existent, souvent guidées par les enjeux stratégiques
économiques, ou politiques. Elles peuvent aussi avoir des retombées intérieures
bénéfiques pour les peuples, en cas de cohérence de la communauté
internationale agissant diplomatiquement, dans le cadre de ses institutions.
Les
démocraties n’ont-elles pas elles-mêmes leur dose de tyrannie ?
Que
dire, par exemple, de l’opinion publique, sorte de tyran immatériel,
impersonnel et anonyme, aujourd’hui loin de son rôle initial de contrôle et de
critique constructive du pouvoir établi ? Sommes-nous si loin de Zola
écrivant à Félix Faure, en 1898 ; Ils (les journalistes) ameutent la France,
ils se cachent derrière sa légitime émotion, ils ferment les bouches en
troublant les cœurs en pervertissant les esprits. Je ne connais pas de plus
grand crime civique
Ou
de la tyrannie de la majorité exprimée par
Tocqueville ? Avec qui donc pourraient
discuter les minorités ?
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