Comment envisager un collectif
heureux ?
un exemple de réflexion sur ce thème :
Épicurevoulait donner une forme concrète à son enseignement. Il ne s'est pas contenté de rédiger des ouvrages philosophiques ou thérapeutiques. Il a créé de toute pièce une nouvelle institution originale aux abords de la ville d'Athènes. Ce fut le Jardin, ainsi nommé en raison du caractère volontairement naturel, voire agreste de ce lieu retiré, peuplé d'arbres, de fleurs et d'amis philosophes vivant en communauté. Il avait acheté un petit terrain qui serait un lieu de méditation, d'étude, de conversation et d'exercices divers, dont nous ne savons malheureusement pas grand chose. Il est permis de penser que l'école avait développé une série de pratiques psychophysiques destinées à soigner le corps et l'âme, selon l'esprit du fondateur.
Philosophie concrète, appliquée, soucieuse de santé et de sérénité,
asile de retrait et de pratique philosophique intégrale. Ce jardin devint
célèbre dans tout le monde antique et bientôt de paisibles et généreux Jardins
essaimèrent dans tout le monde méditerranéen, comme en témoigne encore, deux
siécles plus tard, le mur de Diogène d'Oenanda couvert d'inscriptions
épicuriennes, de même que la célèbre villa romaine d'Herculanum. Bien des
siècles plus tard on trouvera un lointain écho de cette entreprise dans la
fameuse Abbaye de Thélème, de Rabelais. Rappelons enfin que Epicure était nommé
: celui qui a le plus d'amis et que son nom même "epikouros" veut
dire : celui qui soigne.
La philosophie qui
sous-tend le jardin est la suivante : il est impossible de modifier dans
l'immédiat le caractère désastreux de la civilisation hellénistique. La
politique n'est pas de la compétence du sage, qui n'est ni un dictateur, ni un
tyran, ni un élu, ni un conseiller du prince. A la différence du Stoïcien qui
pense pouvoir agir sur le gouvernement (voire Sénèque) et infléchir la
politique dans le sens d'une universalité humaniste, l'épicurien opte pour le
local contre le général. Il n'attend pas une improbable révolution pour vivre
intensément dans le moment présent: le bonheur ne saurait attendre, toute
l'œuvre du maître répète inlassablement cette leçon de bon sens. "Nous
mourons tous affairés au lieu de goûter la vie heureuse" .
Le Jardin sera un
lieu clos, ouvert aux amis philosophes, à tous les amis philosophes, qu'ils
soient anciens banquiers, ouvriers, artisans, mères de famille, instruits ou
non, et les anciennes prostituées elles-mêmes trouveront ici un refuge et un
accueil, à la seule condition de s'ouvrir à la vraie philosophie. Pensez donc!
Non seulement des femmes - pour l'époque c'est une révolution - mais des
prostituées! Ce retrait est volontaire, pensé, assumé comme tel :
exchorèsis, c'est à dire, retrait du "chœur", du groupe, du troupeau,
de la tribu des insensés qui courent après la gloire, la fortune, le pouvoir et
tous les plaisirs non naturels et non nécessaires. La volupté sexuelle n'est ni
recherchée ni condamnée: elle est à sa place, naturelle, sans être vraiment
nécessaire.
L'ami philosophe met la liberté éthique au dessus de l'amour, qui
entraîne trop souvent dépendance et maladie de l'âme.
La philosophie est
d'abord une école de bien-être, de sérénité et de plaisir sous la gouverne de
la pensée. Le Jardin est à sa manière une école, une université, un asile, un
lieu thérapeutique de libre examen, de sagesse et d'amitié.
En précisant bien
que la sagesse n'est pas solitaire, égoïste et individualiste, mais partagée,
développée, enrichie dans l'amitié réciproque et inconditionnelle. A sa manière
le Jardin est une contre-société dans la société.
Un exemple de vie sociale
paisible contre la frénésie ambiante. Un modèle de vie simple, naturelle,
frugale et absolument somptueuse dans sa pauvreté volontaire.
La philosophie
intégrale, sans religion. Exemplarité d'un lien social sans aliénation.
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