Obéir c’est
renoncer à sa liberté
« Entre le fort et le faible, entre le riche et le
pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi
qui affranchit » H. Lacordaire
D'ordinaire, nous nous sentons libre
lorsque personne ne nous commande. Si nous devons obéir, nous avons le
sentiment de ne plus agir à notre guise, de devoir nous départir de notre
liberté. Ces idées paraissent évidentes. Peut-on pour autant les accepter sans examen? Peut-on
simplement opposer liberté et obéissance? Obéir, est-ce réellement et
nécessairement renoncer sa liberté?
Pour, peut être, accréditer cette
assertion encore faut-il en étudier les concepts principaux :
Obéir
c'est essentiellement se conformer à ce qu’ordonne quelqu'un ou quelque chose:
faire ce que demande un supérieur hiérarchique, adopter une règle morale, un principe religieux, respecter les
prescriptions de la loi. Mais c’est également le fait d’être soumis à une force psychologique
ou physique qui contraint : n’obéit-on pas à la force
gravitationnelle ?
La liberté quant à elle marque
l’aptitude du sujet à exercer sa volonté qu’elle s’exprime de façon :
-
négative (absence de soumission, de servitude ou de contrainte imposées par
d’autres ou par la loi),
- positive
(affirmation de l’autonomie du sujet rationnel)
- ou enfin relative (équilibre entre
l’exercice de sa volonté dans un esprit de justice et d’égalité pour rendre satisfaisante
une vie en collectivité).
Dans une acception radicale, obéir, c'est en effet renoncer à sa liberté, c'est-à-dire abandonner volontairement sa liberté. Celui qui se soumet à la volonté d'un(e) autre, en effet, a choisi de lui remettre son pouvoir de décision voire d’action. On pourrait dire qu'il a choisi de ne plus choisir, décidé de ne plus décider, qu'il s'est démis de sa liberté.
Mais à la réflexion, cette renonciation
volontaire décharge-t-elle vraiment le sujet de sa liberté? On sait qu'il ne
suffit pas, pour excuser ou justifier sa conduite, de dire qu'on a fait
qu'obéir aux ordres reçus. Dans cette perspective, Jean Paul Sartre dénonce la
« mauvaise foi » par laquelle nous cherchons à fuir nos
responsabilités. Nous voudrions nous dissimuler à nous-mêmes notre
responsabilité radicale par une sorte de mensonge qui fait que nous nous
pensons comme une chose, déterminée par des causes extérieures, alors que nous
existons comme conscience libre, que nous sommes « condamnés à être
libre », condamnés à choisir.
Une conscience libre qui renoncerait
réellement à sa liberté est pour le moins paradoxale voire inconcevable. Elle
affirmerait sa liberté dans l'acte même par laquelle elle prétendait s'en
défaire. En ce sens, l'obéissance ou la désobéissance sont toujours les
décisions d'une conscience qui ne peut pas ne pas choisir et découvre, qu'elle
n'a pas la liberté de fuir sa liberté.
Le problème n'est plus le même si l'on
exerce sur ma volonté une contrainte telle que je n'ai plus le pouvoir de
choisir. Mais où s'arrête ce pouvoir? Où commence la contrainte qui prive le
sujet de sa liberté? Sans examiner toutes les difficultés que soulèvent ces
questions, on peut rappeler que des hommes, lorsqu'ils jugent inacceptable ce
qu'on prétend leur imposer, vont jusqu'à risquer leur vie. De tels exemples
donnent au moins à penser que lorsqu'on obéit, on a pu choisir de ne pas
désobéir.
S'il paraît difficile de dire
qu'obéir, c'est nécessairement renoncer à sa liberté, c'est que, comme
l'écrivait Rousseau, « renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité
d'homme ». Comment concevoir alors une vie sociale, par ailleurs
nécessaire à l'humanité? L'obéissance à des lois communes n'implique-t-elle pas
nécessairement qu'on renonce à sa liberté pour se satisfaire de droits
limités?
Selon des conceptions et des modalités
différentes, Hobbes, Locke et Rousseau, principalement, ont théorisé le contrat
social : du fait de sa liberté l’homme libre à l’état de nature compromettrait
sa survie et serait amené à céder volontairement la totalité de ses pouvoirs à
une puissance supérieure (tyran, monarque, élu) qui aurait ainsi pour unique
devoir, mais essentiel, d'assurer paix civile et sécurité de tous.
Obéir à l'Etat impliquerait donc bien
qu'on renonce à sa liberté pour vivre sous la protection d'une puissance
capable de contraindre par la force ou la loi tout ce qui pourrait nuire à la
paix. Une telle obéissance ne dépouille t-
elle pas les citoyens de leur liberté et par conséquent les hommes de leur
humanité?
Un Etat doit être pensé, dit Rousseau, afin
de rendre possible l'élaboration de lois qui lient, qui obligent les hommes,
mais sans les réduire en esclavage. Lorsque le peuple concerté exprime sa
volonté par des lois, celui qui les respecte n’est pas contraint de s'incliner
devant elles comme devant une force ou une volonté étrangère. Il choisit
d'obéir à lui-même en obéissant à une volonté qui, dans l'idéal ainsi défini,
est à la fois la sienne et celle des autres citoyens. Il demeure donc aussi libre
qu'il est possible, puisque « l'obéissance à loi qu'on s'est prescrite est
liberté ».
Nous entendons, de nos jours, la
démocratie comme le respect de la souveraineté du peuple par leur gouvernement ce
qui rend donc possible une obéissance qui n’aliène pas sa liberté. Les lois qui
en émanent peuvent être autre chose que de simples limites de l'exercice de sa
liberté. Elles peuvent être des supports
d'une existence sociale à l'intérieur de laquelle chacun puisse se construire,
c'est-à-dire, finalement, réaliser sa liberté (n’emploie t- on pas des mots
connotés positivement tels que « respecter » le code de la route,
se « conformer » à la loi, « accepter » les décisions de
justice… ). Peut-on alors dire dans
cette conception que celui qui obéit renonce à sa liberté, s'il est vrai qu'il
a choisi d'obéir plutôt que de désobéir. L'autonomie n'exclut pas l'obéissance,
du moins une obéissance volontaire à des lois dont le sujet doit être
responsable.
Il reste néanmoins à promouvoir les
conditions d'une telle réalisation car les gouvernants ont toujours le pouvoir
de contraindre et d'imposer leur volonté
à celle, souveraine, du peuple. C'est là, note Rousseau, « le vice
inhérent et inévitable qui dès la naissance du corps politique tend sans relâche
à détruire ».
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