En 2013 les
hommes occupaient la cité. Mais comment le faisaient-ils ? Toute la
question était là.
A l’ombre ou
au soleil, les terrasses des cafés et celles des restaurants étaient partout,
équipées de brumisateurs ou braséros. La pléthore en tout régnait en maître, la
démesure était reine, nous exultions d’illimitations polymorphes. Partout
hommes et femmes faisaient bombance et ripaille (tandis que d’autres
s’échinaient au travail ou croupissaient dans le besoin). A toute heure, une
belle hubris hédoniste dévorait l’espace social et le rapport aux autres. A
toute heure le débraillé de l’orée des culs nus, l’exubérance gestuelle et
verbale emplissaient l’espace visuel et sonore. Sous tous rapports et à tous
égards la fête et « la bonne vie » égayaient nos existences. La vie
en ce temps-là était comme « la bonne fille » et « la fille
bonne » alliant le pire et le meilleur, deux démesures opposées qui ne s’annulaient
pas mais, par leurs effets contraires, assuraient la déliquescence schizoïde de
l’esprit et de l’âme s’exprimant par une multitude de troubles délétères. Nous
étions en ces temps à la hauteur de tous nos désirs et plaisirs à foison.
L’argent de leur réalisation semblait ne jamais pouvoir tarir.
Authentiques
« épicuriens », nos concitoyens enchantaient la cité. Nos déchets
innombrables, vestiges quotidiens de l’abondance consommatoire, constituaient
pour nous moins un souci qu’un don gracieux aux goélands récemment venus de la
mer à tire-d’aile bénévoles. L’opinion partagée, notre doxa, voulait que nous fêtions également dès que s’en présentait
l’occasion l’hubris du « mariage
pour tous », de l’ultradécibel de « l’orgueil homosexuel » (la
« gay pride » états-unienne) et de la jubilation du solstice estival
de toutes les musiques cacophoniques. Au milieu du forum de la cité ouvert à toutes les libertés, trois ondines de
pierre onctueusement dénudées et alanguies sur de la mousse trempaient un pied
gracile dans un frai ruisseau municipal.
A la même
heure sur les rivages méridionaux de la mer commune, le pays ne menait-il pas
du haut des cieux chaque année, oui
chaque année sans que nous ne levions le sourcil, l’hubris d’une nouvelle et
sanglante guerre de destruction zénithale afin que nous soyions alimentés en
énergie et en minerais rares soutenant l’hubris de nos gadgets électroniques
divers ? Accaparés par la « bonne vie » plutôt que « la vie
bonne », nous ne nous en offusquions pas, même le temps d’un bref éclair.
Aucune lueur de conscience ne nous habitait déjà plus, toute pensée critique un
tant soit peu rationnelle de la mort de masse sciemment perpétrée nous avait
quittés, augurant de l’acceptation cinq années plus tard en 2018 de sa
dramatique réalisation parmi nous, contre nous, en nous et sur nous.
Nous étions
en 2013 … Mais étions-nous alors tous allés à pied par les chemins de France
camper devant les parlements et les lieux de pouvoir tels des Gandhi modernes, des
paysans sans terre indiens et français d’alors ou tels des
quidams patients et résolus des « places Tahrir » pour tarir la
démesure des pouvoirs et des actions illégitimes et criminelles ? Nous
appliquions-nous alors à vivre une existence simple faite du nécessaire et de
quelques autres plaisirs naturels assurant le moins de troubles possible dans
nos vies, en acceptant certains pour éviter les pires qui sont maintenant devenus
les nôtres ? Faisions-nous il y a cinq ans les tris nécessaires, passions-nous
nos choix de vie au tamis des valeurs éthiques les plus simples, celles qui
montrent que le plaisir le plus grand est celui de l’absence de trouble
physique ou moral, l’assurance d’un équilibre humain de l’agir sobrement en
toute justice pour chacun ?
Le plaisir
de la vie sobre et frugale ne s’atteint-il pas par la connaissance de nos
limites et de celles de la nature qui nous entoure et soutient nos
existences ? Cela n’implique-t-il pas une certaine discipline et une
ascèse, ne serait-ce que pour accéder à la pensée rationnelle nécessaire à la
maîtrise de soi et à la compréhension de la vie et du monde ? La
jubilation n’est-elle pas dans une vie faite de tempérance, de tranquillité et
d’autosuffisance en amitié avec les autres loin des croyances fausses et des
passions néfastes de la démesure et de l’hubris ?
Le but et la
conséquence ultime de la philosophie ne seraient-ils pas la jubilation d’ « une
vie simple pour tous afin que nous puissions tous simplement vivre dignement »
(Gandhi) ?
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