A QUOI SERT LE VIDE ?
"La nature a horreur du vide" est une expression
tellement ressassée qu'on ne songe même plus à la portée de son contenu. Cela
signifie-t-il que dès qu'il y a un soupçon de vide la nature chercherait à le
combler ? Possible, mais dans ce cas là il faut admettre qu'il y eu un vide, ou
un moment de vide. Et puis faut il entendre "vide" comme absence de
molécules d'air ou bien espace entre des objets ? Dans le premier cas l'affaire
est simple et les expériences multiples, philosophiquement
parlant cela ne nous mène pas loin. Par contre l'espace entre des objets (
aujourd'hui mesurable ) est manifeste, qu'ils se manifeste dans l'air, l'eau,
le vide d'air ou tout ce qu'on voudra …
Cette évidence de la
"présence" du vide fut pourtant niée jusqu'au XVII° siècle, en
référence à Aristote. Aristote, comme la plupart des grecs anciens considérait
le monde comme plein, sphérique, immobile et comme il constatait, malgré tout,
des mouvements : lune , soleil, marées, la vie humaine il fallait inventer une
cause première, un primus motor pour
justifier le beau système aristotélicien. Tout étant immuable, l'ordre des
sociétés devait l'être lui aussi et la liberté humaine étant incorporée au
schéma général la vie des hommes étant incluse dans le destin. La conception
physique du monde - sans vide - servait à merveille l'ordre social de la
féodalité et des théologiens.
Mais vint Galilée et pour la
première fois la question du vide est posée de manière concrète, expérimentale.
"Alors qu’Aristote ne s’intéressait
au mouvement dans le vide que pour démontrer que ce dernier ne peut exister,
Galilée, lui, se sert du vide pour étudier les lois mathématiques du mouvement.
Dans ses Discours sur Deux Sciences Nouvelles, rédigés après sa condamnation
par l’Inquisition en 1632, il discute le mouvement dans un vide supposé afin de
pouvoir faire abstraction des frottements et de la poussée d’Archimède qui,
dans un milieu dense, viennent le contrarier. Le résultat qui intéresse Galilée
est que, dans le cas d’une chute dans le vide – que celui-ci se rencontre ou
non dans la nature, Galilée ne se prononce pas vraiment – tous les corps sont animés de la même vitesse, quel que soit leur poids.
Il mène donc ici une véritable expérience de pensée, et utilise le vide comme
cas limite pour étudier les propriétés du mouvement. Ce processus
d’abstraction, d’idéalisation du réel est la condition de toute science
quantitative, et le cas du mouvement dans le vide joue désormais à ce propos un
rôle exemplaire.
Galilée procède encore à un autre retournement sensationnel. Dans sa
discussion sur la résistance des matériaux (l’autre science nouvelle), il
semble se référer à l’« horreur du vide » médiévale. Il a en effet appris,
dit-il, des fontainiers de Florence qu’aucune pompe, quelle que soit
l’ingéniosité des ingénieurs, ne peut faire monter l’eau « un cheveu plus haut
que dix-huit brasses » (un peu plus de dix mètres). Eh bien, c’est donc que la
nature a « horreur du vide » ... à raison de dix-huit brasses ! Au-delà, la
colonne d’eau se brise sous son propre poids. Quoi de plus étranger à la pensée
médiévale, de plus moderne que cette quantification d’un « principe » ? L’«
horreur du vide » est devenue une « théorie effective », mesurable,
quantifiable..." (P. Marage, Physique des particules élémentaires
Université libre de Bruxelles ).
Le renversement opéré par Galilée
est d'une conséquence immense en philosophie.
Il renoue avec les pensées d'Epicure et de Démocrite leur donnant une nouvelle
dimension fondée sur l'expérience scientifique. L'homme n'a plus à spéculer, à
s'imaginer des "fantômes" ( voir le sujet sur Spinoza ). Son monde
n'est pas figé et lui-même peut utiliser une "liberté" concrète, à condition
de se pencher sur les causes (Spinoza) pour jouer de sa liberté, comme les
atomes.
La matière constituée de
particules en mouvement, s'unit par un ensemble de forces en interaction dans
un vide nécessaire et libérateur ( si on enlevait tous les "vides"
des particules d'un corps humain, toute la matière tiendrait dans un dé à
coudre ! - difficile de bouger !).
Ainsi disparaissent le
"vide" et le "plein". La nature n'a horreur de rien du
tout. Elle est nature justement parce que le vide est son champ de déploiement,
de réalisation. C'est par des transformations dialectiques dans lesquelles les
contraires apparents "vide" et "plein" interagissent, que
la matière existe.
C'est par cette même dialectique
que l'homme n'a plus a avoir peur du néant, pour peu qu'il considère sa
nouvelle amitié avec le vide comme un éveil de sa liberté. Un espace pour se
mouvoir.
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