L’art est il innocent ?
"Là-bas, au milieu des pierres, il faut lutter. Parfois le vent est plus
fort, parfois les hommes."
Cécile de Tormay
Cécile de Tormay
C’est à l’occasion de la visite de
l’exposition portant pour titre CHOREGRAPHIES SUSPENDUES, qui se
tient actuellement au carré d’art de Nîmes, que la question de savoir si l’art
est innocent m’est venue. En effet, huit artistes vietnamiens contemporains proposent des
installations qui confrontent les scénarios existants entre comportement
collectif, système de classe et emprise idéologique, dans
le contexte de diaspora où ils s’inscrivent intellectuellement et physiquement.
Déjà, à l’entrée de l’exposition, nous apercevons une tête, une grosse tête
décapitée. Une tête dorée qui pend à une grosse chaîne. C’est la tête gisant au
sol de Lénine. L’œuvre peut être qualifiée de belle pour certains,
d’intéressante pour d’autres. Mais l’objectif de l’artiste était-il de rester à
ces considérations classiques de l’art ? Est-ce vraiment innocent de
choisir cette tête là plutôt qu’une autre ?
L’idée
que nous avons souvent de l’art, c’est qu’il est une sorte de moyen d’évasion.
Nous voyons généralement dans l’art une sorte de moyen de nous donner des
extases colorées ou musicales dont la seule fonction serait de nous faire
oublier cette réalité
terne et brutale dans laquelle nous vivons. Dès lors, l'art ne serait pas
capable de changer de quelque manière que ce soit la réalité.
Cependant, c’est oublier les efforts surhumains déployés par l’art pour
dénoncer, dépasser, élever, transfigurer la réalité elle-même. C’est
oublier une constante, souvent retenue dans l’opinion, selon laquelle l’art
véritable, c’est celui qui est sensé faire « passer un message », être
un « art engagé », ce qui contredit complètement l’hypothèse
précédente. L'artiste ne guide-t-il pas le regard des hommes ?
L’art est un
moyen infaillible pour émouvoir les hommes. Emouvoir implique mouvoir, faire
bouger dans un sens ou un autre. Mais s’il faut faire bouger les hommes, cela
ne signifie-t-il pas en l’occurrence qu’il faut les mener à un lieu bien
précis ? Ce lieu est-il pur hasard, intuition, inconscience ? Peut-on
imaginer une collaboration entre art et idéologie ? Et si l’art était lui
aussi serviteur de maîtres, peut-on encore rêver sur la soi disant liberté de
l’artiste ?
Voilà
ce que nous apprenons dans un livre intitulé « de l’intelligence de
l’anti communisme ». Dans les années 50, 60, la CIA a soutenu et mis au
devant de la scène internationale des artistes aujourd’hui très célèbres, dont
les œuvres se vendent à des millions de dollars. Donald Jameson, ex fonctionnaire de l’agence,
est le premier à admette que le soutien aux artistes expressionnistes entrait
dans la politique de la « grande longue » (long leash) en
faveur des intellectuels. Stratégie raffinée : aux yeux de la CIA, ce
mouvement artistique montrait l’existence d’une créativité, d’une grande
liberté et d’une vitalité spirituelle, artistique et culturelle de la société
capitaliste, contre la grisaille de l’Union soviétique et de ses satellites. La
guerre froide se faisait sur tous les fronts: «L’expressionnisme abstrait
permettait de faire apparaître le réalisme socialisme comme encore plus rigide
et confiné qu’il ne l’était» explique l’ex-agent à The
Independent.
Par
ailleurs, les hommes ont toujours eu recours à de grands mythes pour expliquer
l’univers et organiser le chaos. Qu’on les
appelle aèdes ou griots, Homère et les autres ont été de grands
conteurs. Cette tradition du récit comme vecteur d’un message traverse l’histoire
humaine, depuis les hommes des cavernes jusqu’aux superproductions
hollywoodiennes…
De
nos jours, le conte de fée a pris une autre forme : le storytelling ou conte
de faits ou mise en récit. C’est une méthode utilisée
en communication fondée sur une structure
narrative du discours qui s'apparente à celle des contes,
des récits. Le conte de faits ou storytelling est
l'application de procédés narratifs dans la technique de communication pour
renforcer l'adhésion du public au fond du discours. La technique du
storytelling se fonde sur une trilogie : « capter l’attention /
stimuler le désir de changement / emporter la conviction par l’utilisation
d’arguments raisonnés ». L’utilisation d’histoires et de formules
symboliques (équivalentes au « il était une fois » des
contes pour enfants) à chacune des trois étapes permet au public de mettre
provisoirement de côté son cynisme et de garder un esprit ouvert au message
transmis. Selon Christian Salmon,
l’application des recettes du marketing à la vie publique conduirait
à « une machine à fabriquer des histoires et à formater les
esprits ». Les spin doctors, spécialistes du détournement
de l’attention des électeurs par des « histoires » sans
cesse renouvelées conduiraient à un appauvrissement de la démocratie. Ce
chercheur au CNRS explique que l'avènement du storytelling en politique s'est
produit aux États-Unis avec l'arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et que ses successeurs ont
perpétué voire radicalisé cette stratégie s'avérant très efficace. Il considère
également que le storytelling s'est propagé en Europe, notamment en France, ce
qu'il illustre en faisant référence à la campagne
électorale de 2007. D'après lui, les deux principaux protagonistes
de celle-ci, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, se sont avant tout affrontés
sur le terrain de leurs histoires personnelles et de leur capacité à mythifier
celles-ci, plutôt que dans le domaine des idées, dérive rendue possible par la
complicité des médias et le rôle croissant des conseillers en communication.
Cet exemple symbolise aux yeux de l'auteur les effets délétères du storytelling
sur la démocratie.
Création
d’artistes, ou fabrication d’histoires, la question de fond serait donc de
savoir quel rapport l’art entretient avec les hommes, la réalité, s’il est dans
son essence de les délaisser, s’il est de son essence de chercher à les montrer
sous un autre jour. Si l’art est d’essence politique, peut-il clamer son
innocence ?
SUJET A
VENIR
951
MERCREDI 16 Avril
L’évolution et la sélection naturelle : nouveaux credo ?
Blog du café
philo http://philopistes.blogspot.fr/
L’évolution et la sélection naturelle : nouveaux credo ?
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