Qu’est ce que l’identité ?
« Qui suis-je ? »
cette question est celle qui donne à penser l’identité de tout individu. Cette
identité plurielle, parfois si difficile à saisir, n’est pourtant pas étrangère
à toutes les empreintes qui marquent chaque parcours existentiel. Empreintes
certes génétiques et généalogiques, mais aussi culturelles, familiales et
sociales qu’il appartient à l’individu non seulement de découvrir et
d’interpréter, mais de comprendre afin de donner sens à son histoire. Dans
cette approche est mise en question la part de liberté qui échoit au sujet, et
qui le rend en partie du moins l’acteur de sa propre identité. Un acteur en
dette de tous les héritages reçus, mais qui peut en transmettant à son tour
découvrir qui il est.
Comme le rappelle
l’Encyclopédie, « l’identité d’une chose est ce qui fait dire qu’elle
est la même et non une autre » suivant « un certain regard de temps ou de lieu
». Contrairement à celle des « êtres corporels », où « une portion de matière
n’est plus dite précisément la même, quand elle reçoit continuellement augmentation
ou altération dans ses modifications, telles que sa figure ou son mouvement »,
l’identité d’une « substance intelligente » subsiste malgré les « changements
d’augmentation ou de diminution de pensées ou de sentiments ». En effet, dans
le cas d’une « substance intelligente », l’identité vient « de son unité ou
indivisibilité, quelques modifications qu’il y survienne, telles que ses
pensées ou ses sentiments »2. Mais quel est, pour une personne, ce principe,
cette « unité » qui autorise à affirmer une permanence derrière le changement ?
Qu’est-ce qui reste le même ?
La mise en
questionnement de ce concept renvoie donc à une identité construite,
reconstruite ou déconstruite, qui, au travers de l’enquête ou de la simple
quête, porte en elle l’impossible transparence du sujet à lui-même. Si la
recherche d’une possible identité rumine par-delà fantasmes, invention et
interprétation sa propre fragilité, qu’à tout moment elle est capable de
s’effriter, de se décomposer et de n’être que fantôme ou coquille vide,
néanmoins dans ce qu’elle donne à penser, elle échafaude à partir d’un certain
nombre de piliers une réelle philosophie. De la question du nom à celle de
l’héritage, de l’importance du père au problème posé par le don, de l’apport
culturel à la rencontre de l’autre, du rôle de la contingence à l’heureux
accident, c’est la difficulté de se connaître et de connaître l’autre qui est
abordée.
«
Nous ne sommes pas des chiens après tout , nous ne sommes pas mus seulement par
l’instinct et l’habitude ; nous avons la capacité de penser (…) nous savons que
nous sommes car nous pouvons réfléchir à ce que nous sommes » Paul Auster. Si tous les hommes ont la conscience
pour essence, alors de ce point de vue chaque individu est semblable à tout
autre. En ce sens comme l’a défini Descartes dans les Méditations
Métaphysiques, la question « que suis-je » ne peut recevoir qu’une unique
réponse : « une chose qui pense. (…) C’est-à-dire une chose qui doute, qui
conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et
qui sent ». Dans cette perspective, il apparaît clairement que «
notre sentiment du moi est formé par la pulsion de la conscience au fond de
nous »
Or faut-il le
rappeler, à certaines périodes de l’histoire, des hommes ont estimé que la pensée
faisait défaut à certains êtres et à partir de ce constat rien n’a empêché de
les considérer comme « des bêtes sauvages, des démons à visage
humains ».
Et pourtant,
l’identité de l’être ne peut se limiter à son essence, à son humanité, car ce
serait alors nier la singularité de tel individu différent de tel autre. En
somme, dans sa dimension essentielle, la considération métaphysique du « que
suis-je » risque de n’être qu’une simple fiction. Le philosophe David Hume le
note : « l’identité que nous attribuons à l’esprit de l’homme n’est qu’une
identité fictive ». Fictive, car
elle ne tient pas compte du fait « que nous changeons constamment, qu’une
sorte de continuum, de flux d’émotions et de pensées nous anime », « qu’une
personnalité (…) est constituée d’une infinité de gammes, de couleurs au
spectre très large » qui touche à la dimension non pas essentielle de
l’homme mais existentielle.
« Je suis Peter
Stillman. Je le dis de mon plein gré. Oui ce n’est pas mon véritable nom. Oui.
Ce n’est pas mon véritable nom. Non.(…) et peut-être ne suis-je personne (…)
mon vrai nom c’est M. Triste, (…) pour l’heure je suis encore Peter Stillman. » P. Auster, Trilogie New-yorkaise, pp 32-41.
La question de
l’héritage renvoie à cette autre interrogation : de qui suis-je le fils ? Elle
s’inscrit dans plusieurs types de filiations qui tous empiètent les uns sur les
autres : filiation biologique, familiale, religieuse, historique et culturelle.
En ce sens, l’héritage n’est jamais qu’un simple legs. Il est d’abord un appel
à la mémoire qui fait signe à tout individu nouveau venu qui devient alors
porteur d’un capital qu’il ne peut pas ne pas reconnaître en partie du moins
comme étant sien. Et si comme le disait René Char, « l’héritage n’est précédé
d’aucun testament », l’individu peut alors le préserver, le
transmettre, l’enrichir, ou tout au contraire le supporter ou le dilapider.
De tous les
héritages, l’héritage biologique est le plus souvent subi, il est un héritage
face auquel l’individu n’a que peu de prise et donc de liberté. Du point de vue
de l’Histoire, l’héritage est celui auquel l’individu n’a pas participé mais
dont il se doit de porter la charge. Toutefois, précisons que l’héritage
culturel, historique, et matériel n’est pas sans lien avec la question du père.
Père généalogique, père spirituel, père biologique, père fantôme ou père
absent, le père n’est jamais seulement le simple parent. Il est cause et
conséquence directes ou indirectes de toute stabilité ou instabilité du fils.
Présence ou absence ineffaçable, il est ce lien fort, fragile, ténu, invisible,
inexistant, qui participe à la construction de l’identité. Le Nom-du-père,
reconnu par la mère instaure donc la loi. « Le père n’est présent que par sa
loi qui est Parole et ce n’est que dans la mesure où sa parole est reconnue par
la mère qu’elle prend valeur de loi. » Par la castration, passage de l’être à
l’avoir, l’individu peut donc acquérir une individualité et ceci par l’accès
même à l’ordre du symbole, de la culture et de la civilisation. Ainsi, «
l’enfant en intériorisant la loi, s’identifie au père et en fait son modèle. La
loi devient dès-lors libératrice : car séparé de la mère, il dispose de
lui-même, prend conscience qu’il est à faire et s’oriente vers l’avenir, il
s’insère dans le social, la culture, il rentre dans le langage. (…)
Le père est celui qui « reconnait » l’enfant, c’est-à-dire lui confère sa
personnalité par une Parole qui est la Loi, lien de parenté spirituelle et
promesse » Jacques Lacan, Les formations de l’inconscient.
Du Nom-du-père au Noms-du-père ce sont tous les rapports à la fonction du père
qui sont sous tendus : symbolique, imaginaire, réel.
Outre la culture,
l’époque, l’héritage et l’importance du père, un certain nombre de marqueurs
éducatifs et sociaux peuvent certes façonner l’individu, mais sans pour autant
le déterminer complètement. C’est cette latitude qui fait qu’une rencontre, la
naissance d’un enfant, un accident, un deuil, une séparation, une déception,
peuvent conduire l’individu à « se remanier en profondeur ». Comme l’énonce
David Le Breton, « l’homme ne cesse jamais de naître et ses conditions d’existence le
changent en même temps qu’il influe sur elles ». D. Le Breton, Signes
d’identité. Quelquefois même un « démantèlement de l’identité favorisé par
la virulence d’une expérience (…) porte (…) [l’individu] au-delà de ses
anciennes références », l’inscrivant alors dans un tout « autre rapport
au monde ».
Ce « bricolage »
ne peut certes se réaliser qu’à partir de la relation à l’autre, aux autres.
Paradoxalement, même si l’homme est toujours seul et le plus souvent comme «
enfermé dans sa tête » pourtant, il n’est ce qu’il est « que
grâce aux autres ». Quand Paul Auster écrit que « nous ne sommes que ce que les
autres ont fait de nous », ce n’est pas dans la mesure où les autres
nous déterminent de part en part mais dans la mesure où les autres,
c’est-à-dire la culture, la famille, les amis, nous « habitent ». Sans eux «
nous ne sommes pas entièrement complets ». Dans cette optique, l’autre
est tout à la fois celui qui participe à ma propre construction, mais aussi
celui qui me révèle à moi-même. « Dans les yeux de l’autre peut naître la
connaissance de soi »
Ainsi, c’est au
cœur d’une relation dialectique et circulaire de moi à l’autre, et de l’autre à
moi que se module l’identité toujours en devenir.
(Extraits d’un
travail sur Paul Auster)
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