lundi 8 avril 2013

Sujet du MARDI 16/04 : S’INDIGNER. ET APRES ?



S’INDIGNER. ET APRÈS ?

J’ai pensé à ce sujet le jour où j’ai appris la mort de Stéphane Hessel. J’avoue que je n’avais pas lu la brochure (une quinzaine de pages) qui l’a rendu célèbre et qui paraît-il s’est vendue par millions d’exemplaires (un vrai best seller !), qui a paraît-il exalté la jeunesse grecque, espagnole, américaine, au plus fort de la crise bancaire... Loin de moi l’idée de déprécier la valeur morale, l’honnêteté, de cet homme intègre  que je respecte pour une raison essentielle : parce qu’il est de ceux qui s’opposent de tout leur coeur et de toute leur intelligence, aux indifférents. Chose curieuse, quand je me suis rendu chez Sauramps pour acheter ladite brochure, j’ai trouvé juste à côté d’elle un livre de Gramsci dont le titre est: Pourquoi je hais l’indifférence.

Mais je ne voudrais pas que notre soirée se ramène à une critique ou à une défense de ce texte. Je dirais simplement : C’est un texte généreux, je partage son sentiment. Les sujets d’indignation, actuels et « historiques » sont innombrables. du nazisme au Rwanda, à la Palestine, la liste en serait interminable hélas (dont un sujet  qui ne figure pas dans le texte de Hessel : la bêtise (dont Flaubert fit en son temps un dictionnaire).: « Le motif de base de la Résistance était l’indignation, écrit Hessel, la violence tourne le dos à l’espoir, il faut lui préférer l’espérance, l’espérance de la non violence » Et de là s’ensuit le concept « d’insurrection pacifique ».  Et ce curieux titre du dernier « chapitre » : « Je ne désespère pas de la sagesse chinoise ».

Mais examinons d’abord le concept :
Aristote : Il fait la distinction entre colère et indignation (orgè, nemesis). Selon lui l’indignation supposerait l’absence de toute considération personnelle et la seule considération du prochain (la colère au contraire pour lui  c’est se venger publiquement d’un mépris manifesté à notre endroit, donc une affaire personnelle).

L’indignation s’oppose à l’indifférence. Et Gramsci justement dit que « l’indifférence est l’esprit de collaboration qui disculpe de toute responsabilité individuelle. Son contraire, l’indignation, c’est résister par la sensibilité, par l’intelligence et par l’imagination. Nous avons la sensibilité pour percevoir les souffrances du monde, l’intelligence pour les analyser, et l’imagination pour en montrer des solutions politiques » Je hais les indifférents dit-il encore, parce que « je pense que vivre c’est résister (...) à l’idéologie de la fatalité, cette apparence illusoire de l’absentéisme ».  Et il ajoute encore : « l’indignation aiguise l’intelligence ».  

La question est alors : Pourquoi y en a-t-il qui s’indignent et d’autres qui sont indifférents ? Hessel voit juste quand il dit s’adressant aux jeunes : « En vous comportant ainsi vous perdez l’une des composantes essentielles qui font l’humain ».

L’indignation n’existe pas sans son versant opposé : la pitié. On s’indigne sans être soi-même victime, étant spectateur de l’injustice. On se représente, on partage (en imagination), on ressent la souffrance de l’autre.

L’indignation n’existerait-elle que par la parole, la véhémence de la parole ?
On trouve un grand nombre d’indignés parmi les poètes et les écrivains. Voyez Dante, Voyez Agrippa d’Aubigné (Les Tragiques), voyez Hugo (Châtiments). Voyez Bayle (De la tolérance), Voltaire (L’affaire Calas, le chevalier de la Barre), Zola (J’accuse) etc...

ET APRES ?

Dans le texte d’Hessel on lit (on lie) : « L’indignation... et l’engagement qui en est la conséquence ». Le mot revient plusieurs fois : « Il faut s’engager au nom de la responsabilité de la personne humaine. ». L’engagement qu’il propose est l’engagement non violent (Gandhi, Mandela, Luther King). Il prône l’insurrection pacifique.

Mais qu’est-ce que l’engagement ? C’est passer d’une réaction spontanée (l’indignation) à l’action pratique, collective pour combattre l’iniquité, pour imposer la justice  L’insurrection ça s’organise. Hessel cite des organisations non politiques, des « mouvements sociaux : Attac, la FIDH, Amnesty. Leur efficacité ?

On bute alors sur la question de l’engagement, du militantisme politique. Quel « parti » prendre ? Qui corresponde à une conception de la justice sociale, à une vision utopique, un idéal qui défende les valeurs morales et humaines bafouées (les droits de l’homme) tout au long de l’Histoire. L’action politique. On a vu comment les idéaux peuvent être dévoyés.

L’indignation conduit certes à l’engagement, mais l’engagement (idéologique) à son tour peut conduire à l’aveuglement, à l’intransigeance, à l’intolérance qui étaient sources de notre indignation.

Une impasse ? L’indignation serait-elle stérile ? Condamnée à n’être qu’une réaction intellectuelle (d’intellectuels, écrivains, poètes, philosophes) qui ne pourrait dépasser les mots, la parole, l’éloquence du poème ou du pamphlet ? Les romantiques (Hugo), ont cru que la parole messianique avait pouvoir de changer le monde. On a dû déchanter. Au reste, y a t-il aujourd’hui une littérature engagée ?

Pire, l’indignation appliquée au social et au politique, et qui se manifeste alors sous une forme de rejet du modèle social et politique dans lequel on vit, ne risque-t-elle pas de déboucher justement sur le scepticisme, l’indifférence, l’absentéisme : Ecoeuré par les politiques (les politiciens), on ne fait pas (ou plus) de politique. On ne participe plus (absentéisme électoral). On ne croit plus à rien. S’indigner suffit pour apaiser sa conscience.

A moins que la « parole indignée » ne serve seulement à fabriquer des réfractaires ?
Qu’elle ait, à condition d’être entendue, un effet à retardement. Ce qui ne serait déjà pas si mal. Oui mais, la censure, le conformisme, le nivellement médiatique (on en a parlé ici) ? Mon sujet se mord la queue. 

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