dimanche 19 juillet 2015

Juset du Merc. 22/07 : La culture fait-elle l’homme? (Bac 2015)



                   La culture fait-elle l’homme? (Bac 2015)

Partie I.

La culture fait l'homme dans le sens où elle le façonne. Dans un premier temps, il peut paraître évident que la culture fait l'homme. Celle-ci implique en effet un ensemble de transformations par lesquelles l'homme est changé. Ce que l'homme est aujourd'hui, c'est justement le résultat de ce processus d'évolution qui lui est propre et qui est la culture. "Faire" quelque chose, c'est le fabriquer, le façonner. En ce sens, on peut donc bien dire que la culture fait l'homme. Elle le transforme et ce qu'il est aujourd'hui est bien le produit de la culture.
La capacité de l'homme à la culture est en effet liée à sa capacité à l'histoire. C'est sa capacité à transmettre, accumuler des connaissances, des techniques, des valeurs, et à se transformer au gré de cette évolution. C'est ce que Rousseau nomme la perfectibilité (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes), la capacité de l'homme à s'écarter de la nature et qui fait qu'un homme et l'espèce humaine évoluent indéfiniment alors qu'un animal et une espèce animale ont une évolution dictée par la nature. Celle-ci ne dure que quelques mois pour l'individu et quelques centaines d'années pour l'espèce. L'histoire des hommes porte ainsi la marque du progrès technique, scientifique, politique, moral, qui fait ce que nous sommes aujourd'hui, nos manières de vivre et d'être.
A ce titre, d'ailleurs, ce sont aussi les cultures particulières qui font les hommes. La culture désigne aussi l'ensemble des manières de vivre qui sont propres à une époque et à un lieu. Il y a une relativité des cultures dans le temps, dans l'espace et en cela aussi la culture fait l'homme : ce que nous sommes dépend de la culture dans laquelle nous naissons et évoluons. C'est jusqu'à notre corps qui est façonné par cette culture-là (voir à ce titre par exemple la notion « d'habitus » chez le sociologue Pierre Bourdieu, c'est-à-dire la manière dont le capital social, culturel, façonne le corps, notre manière de marcher, de parler, de nous tenir...).

La culture fait l'homme dans le sens où elle le façonne. Elle est constituée d'un ensemble de productions et de progrès qui ont un impact sur la manière dont les hommes vivent. Elle produit une transformation matérielle de l'homme. Mais cette transformation ne reste-t-elle pas superficielle? Dans la mesure où l'homme est naturellement conduit à la culture, ne peut-on pas dire qu'elle ne le fait pas dans le sens où elle ne le transforme pas fondamentalement puisqu'elle est ce qu'il est ?

 Partie II.
La culture ne fait pas l'homme. Elle est ce qu'il est.
On pouvait ici voir en quoi la culture ne fait pas l'homme dans le sens où elle est ce qu'il est. Certes, elle l'éloigne de ce qu'il est de manière innée, mais c'est justement bien là sa nature : l'homme est un être de culture et en ce sens la culture ne le transforme pas, elle lui permet de se réaliser, elle est sa nature.
La culture est d'abord un besoin. Si l'homme transforme la nature qui l'entoure, par la technique notamment, c'est d'abord parce qu'il est incapable de survivre dans la nature sans avoir recours à ces outils. L'homme n'est naturellement, originellement, pas en mesure d'assurer sa propre survie dans la nature sans avoir recours à la technique et à la culture. Comme le montre par exemple Platon dans le Protagoras avec le mythe de Prométhée, la culture, la technique,  sont naturelles chez l'homme, correspondent à son essence, car ce sont les moyens dont l'homme est naturellement doté pour assurer sa survie au sein d'un environnement qui n'est pas fait pour lui et dans lequel il est démuni par rapport aux autres espèces animales. La culture est donc d'abord naturelle dans le sens où elle permet à l'homme de survivre.
Ce n'est pas seulement un besoin, c'est aussi ce qui permet à l'homme de réaliser son essence, son humanité. Par la culture, l'homme s'écarte de la nature et s'en extrait et c'est ce qui lui permet de réaliser la nature qui est la sienne. Par la transformation et la domination de la nature, l'homme affirme son humanité, la liberté, sa nature raisonnable. Voir par exemple la fonction de la culture et en particulier de l'art chez Hegel, dans l'Esthétique, ou le sens de la culture dans La Crise de la culture d'Hannah Arendt.

La culture ne fait donc pas l'homme. Elle est ce qu'il est. Elle ne le transforme pas dans son essence mais est au contraire ce par quoi son essence se réalise. Elle est naturelle pour l'homme. Mais n'y a-t-il quand même pas un risque? Par la culture, l'homme ne finit-il pas par se défaire, c'est-à-dire s'éloigner de sa nature non pas innée (ce qui on l'a vu est au contraire ce qui lui permet de se réaliser), mais au sens de destination ( ce qu'il est amené à devenir) ?

 Partie III.
La culture ne finit-elle pas par nuire aux hommes et à l'humanité ?
Ce dernier moment permet d'explorer des aspects plus négatifs de la culture. Celle-ci ne finit-elle pas par nuire aux hommes et à l'humanité ? Ne finit-elle pas par les éloigner de leur nature, c'est-à-dire les déshumaniser ? Si le moteur de la culture est le progrès, notamment scientifique et technique, celui-ci, par son rythme de croissance exponentiel et indéfini, ne fait-il pas courir à l'homme le risque de s'y perdre ? En effet, c'est d'abord une forme de simplicité et d'innocence originelles que l'homme perd par la culture. Celle-ci l'éloigne en effet du rapport immédiat qu'il a aux autres, au monde, à lui-même. Rousseau y voit, dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, une dénaturation. L'homme a perdu les qualités positives qui étaient les siennes naturellement. La culture a défait l'homme, l'a coupé des autres, de lui-même, de la nature. 
Cette régression liée à la culture tient aussi à la multiplication des cultures et à leurs conflits. Certes, la mondialisation permet les échanges entre les cultures, et ils n'ont jamais été aussi importants qu’ils le sont aujourd'hui. Mais ces échanges tendent aussi à tourner au rapport de force, tant certaines cultures s'imposent à d'autres et tendent à les dominer. Comme le montre Lévi-Strauss dans Race et Histoire, les relations entre les cultures sont loin d'être harmonieuses. Là encore donc la culture défait l'homme en le conduisant à entrer en conflit avec les autres.

Il n'y a toutefois pas là de fatalité et on peut penser une culture qui essaie de réconcilier nature et culture, qui s'attache à progresser en harmonie avec la nature en nous et à l'extérieur de nous, sans faire violence à la nature ni à notre nature. De Rousseau à Hans Jonas, c'est ce que beaucoup ont tenté de penser en essayant de voir comment la culture pouvait se faire, se penser, se réguler dans le respect de la nature et de notre nature.

Conclusion.

La culture fait l'homme. Elle le transforme, elle le défait même. Certes, elle est l'expression de la nature de l'homme qui est un être de culture et a naturellement besoin de transformer ce qui l'entoure. Mais la capacité indéfinie de l'homme à se transformer et à transformer ce qui l'entoure produit aussi des effets délétères sur l'homme lui-même, son environnement. Cela n'est toutefois pas inévitable et la culture peut faire l'objet d'une régulation, d'une réflexion pour être compatible, cohérente avec la nature et la nature de l'homme.
Par Aïda N'Diaye, pour Philosophie Magazine.

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