dimanche 25 février 2024

Sujjet du Merc. 28 Fev. 2024 : Ad Feuerbach.

                                            Ad Feuerbach.  

Le titre de ce philopiste est emprunté à quelques notes écrites en 1845 par Karl Marx et Friedrich Engels et connues sous le titre « Thèses sur Feuerbach ». Ludwig Feuerbach (né en 1804) a été étudiant de Hegel dont il a quitté l’enseignement en 1826. Il se rend célèbre dans un essai paru en 1830 « Pensées sur la mort et sur l'immortalité ». Il y affirme que la Raison seule est immortelle et conclut qu'il faut nier l'immortalité personnelle, revendiquant ainsi l'athéisme. Le livre est publié anonymement mais très rapidement ses collègues qui en est l'auteur. L'indignation du corps professoral lui interdira toute chaire universitaire. Mais il revient à des préoccupations religieuses dont naîtra, en 1841, son ouvrage fondamental, L'essence du christianisme. Le livre connaît un grand succès (il sera réédité deux fois, en 1842 et en 1848). Il s'agit de révéler les mystères de la religion afin que l'homme puisse se connaître lui-même.   
           
Friedrich Engels souligne de la manière suivante l'importance du rôle historique de Ludwig

Feuerbach :

« C'est alors que parut l'Essence du christianisme, de Feuerbach. D'un seul coup, il réduisit en poussière la contradiction, en replaçant carrément de nouveau le matérialisme sur le trône.

La nature existe indépendamment de toute philosophie ; elle est la base sur laquelle nous autres hommes, nous-mêmes produits de la nature, avons grandi ; en dehors de la nature et des hommes, il n'y a rien, et les êtres supérieurs créés par notre imagination religieuse ne sont que le reflet fantastique de notre être propre. L’enchantement était rompu ; le « système » était brisé et jeté au rancart » L. Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande 1888)

Feuerbach et le matérialisme :      
Le cartésianisme considère que les humains pensent, thèse réfutée par le matérialisme qui considère que la conscience n'est que le reflet de la réalité. Mais le risque est de basculer dans une vision mécanique, où la pensée ne consisterait qu'en une réaction à des stimuli, ce qui est précisément la thèse du béhaviorisme.

Pour les matérialistes les humains n'agissent donc pas mécaniquement, pas plus qu'ils ne sont libres ; leur psychologie se fonde sur leur existence réelle, naturelle, et le processus dialectique de leur pensée comme reflet de la réalité, mais aussi donc de leur propre réalité, puisqu'ils font partie de la réalité.

Pour cette raison, Ludwig Feuerbach reconnaît l'importance historique de l'empirisme, qui a été développé par Francis Bacon, dans une démarche précisément opposée à René Descartes qui lui rejette les sens :

« La grande signification historique de l'empirisme consiste de fait en ce qu'il donne aux sens leur droit en tant que moyen de la connaissance, qu'il a élevé à un objet substantiel en particulier la sphère de l'indirect, de l'empirique. »

(L. Feurbach : Histoire de la nouvelle philosophie)

Naturellement, ce n'est qu'une étape : Ludwig Feuerbach n'est donc pas empiriste, il ne s'arrête pas aux sens, cependant il ne rejette pas ceux-ci comme le fait René Descartes.

D'où sa formulation, dès une œuvre de jeunesse (Critique de l'empirisme), comme quoi :

« La pensée est la chose comme elle est, la représentation par les sens la présentation de la chose comme elle apparaît. Les sens nous donnent des images, les choses ne nous sont données que par la pensée (…).

Avec les sens nous lisons le livre de la nature, mais nous ne le comprenons pas par les sens. La compréhension raisonnée est un acte par lui-même, un acte absolument indépendant. Ce que saisit la compréhension raisonnée, il ne le comprend qu'à partir de et à travers lui-même ; il n'y a que ce qui est conforme à la compréhension raisonnée qui est un objet de la raison. La compréhension raisonnée est sa propre mesure, son principe propre ; il est causa sui [cause de soi-même], l'absolu dans les êtres humains. »


Feuerbach critique de Hegel :       
 Feuerbach reproche aussi à Hegel d'avoir posé l'être comme un concept sans présupposition alors qu'il s'agit en réalité d'une abstraction : ce n'est pas le néant qu'il faut opposer à l'être pur mais l'être concret et sensible. Hegel, comme toute la philosophie depuis Descartes, en rompant avec la perception sensible, a coupé l'homme de son expérience et ne pénètre jamais dans le monde concret.      

Puisque nature et esprit s'opposent, la philosophie ne doit pas prendre pour point de départ l'esprit mais la nature qui permet d'éclairer les démarches de l'esprit. Le mépris de la nature est un héritage de la théologie chrétienne et Hegel est en réalité un théologien travesti en philosophe : Hegel considère que la réalité est posée par l'idée comme la théologie considère que la nature est créée par Dieu.

Il s'agit de réinterpréter les notions d'être et de penser : l'être doit être affranchi du logos pour qu'il perde son caractère abstrait et se charge de la richesse d'exister. Le penser, obligé de tenir compte désormais d'un être enrichi de tout ce que lui apportent les sens, se hausse au niveau du connaître. Les sens donnent accès aux vérités philosophiques.           

 À la différence des animaux, l'homme a une vie intérieure et a conscience de faire partie d'une espèce. L'homme, pour Feuerbach, se définit par la raison (qui permet la pensée), la volonté (permettant l'action) et l'amour (fondement de la vie en commun). " L'homme existe pour connaître, pour aimer, pour vouloir " Mais l'homme se rend compte du caractère fini de ces prédicats en les comparant à ceux de son espèce et comprend qu'il est incapable de réaliser par ses propres moyens le vrai, le bien et l'amour. Il va donc projeter ces attributs humains hors de lui et les transférer à un être supérieur qu'il appelle Dieu. L'homme découvre donc, grâce à la religion, sa propre essence mais séparée de lui puisqu'il la confie à un être hors de lui-même. L'homme a, au fond, créé Dieu à son image ou plutôt à l'image de son espèce puisque les attributs divins sont infinis et qu'ils sont finis dans l'individu. Ce mécanisme est exactement ce qu'on appelle un processus d'aliénation c'est à dire de perte de soi dans un autre, cet autre ici étant Dieu.   

Mais ici apparait (ou réapparait) l’hégélianisme dans lequel a baigné Feuerbach. En effet, Il ne s'agit pas chez Feuerbach de détruire les valeurs religieuses. L'athéisme conserve les valeurs traditionnelles mais leur enlève toute caution divine. Enlever Dieu n'est donc pas enlever à l'homme les obligations qui sont les siennes mais, au contraire, donner à l'homme la pleine responsabilité de son destin. Les valeurs traditionnelles sont simplement laïcisées. Elles en deviennent même plus fortes car elles ne sont plus imposées de l'extérieur mais sont inhérentes à l'homme.    

Il faut bien voir que, pour Feuerbach, la religion a une nécessité historique. Elle est la première étape nécessaire pour qu'ensuite l'homme prenne conscience de son essence. Prenons un exemple, celui des « hommes providentiels », des « héros », que dit Feuerbach des : « grands hommes, des hommes exemplaires » qui « n’avaient qu’une seule passion fondamentale et dominante réaliser la fin qui constituait l’objet essentiel de leur activité ». L’objet donc, sans lequel ces hommes exemplaires n’auraient rien été, c’est la fin qui était la leur : il s’agit donc d’un objet pensé ou représenté, mais pas d’un objet sensible, existant réellement et effectivement donné.
Et si l’on demande maintenant pourquoi ces hommes n’auraient rien été sans cette fin qui était leur objet, la réponse feuerbachienne est que cette fin n’était pas autre chose qu’eux-mêmes, c’est-à-dire leur propre essence prise comme objet ou fin : dans cette fin, c’est leur propre essence qu’ils prennent pour objet, c’est leur propre essence qu’ils objectivent en la prenant pour fin.

La thèse de Feuerbach, est directement liée à la question de la différence humaine, pour lui, spécifique, c’est-à-dire à la capacité de se prendre soi-même comme objet et pour fin – ce qui est la définition même de la conscience. Mais comment nait la conscience ? L’homme serait il un être d’exception dans la nature ? Le seul à se concevoir comme objet et fin ?

Le fait d’être conscient ne modifie pas la nature des hommes d’une manière qui ferait d’eux des êtres échappant à l’ordre commun de la nature : ils sont et restent des êtres objectifs et naturels doués d’une activité vitale spécifique, caractérisée comme activité productive, avec cette différence propre qu’ils sont des êtres qui actualisent leur activité vitale en sachant qu’ils le font, c’est-à-dire avec conscience et volonté. Ainsi les hommes n’échappent pas à la condition générale des êtres naturels comme êtres objectifs, mais au contraire ils redoublent cette condition, ils en ajoutent dans l’objectivité : ils sont non seulement dans un rapport vital de dépendance à l’égard du reste de l’objectivité de la nature, mais ils savent qu’ils le sont, ce qui veut dire que le déploiement naturel ou spontané de leur activité vitale se redouble d’une volonté de manifester cette activité par eux-mêmes, de l’exprimer activement, c’est-à-dire, en un sens spinoziste, d’être la cause adéquate de leur propre activité.

Contrairement à Feuerbach les matérialistes conçoivent la conscience comme la compréhension des causes objectives de l’activation humaine, c’est-à-dire comme la connaissance que les hommes forment d’eux-mêmes en tant que parties de la nature, alors cette connaissance enveloppe elle-même la capacité pour les hommes d’être eux-mêmes la cause d’une activité qu’ils ne se contentent pas d’être, mais qu’ils ont, qu’ils possèdent, qu’ils prennent pour objet et qu’ils peuvent dès lors développer activement et volontairement.

 

Marx et Feuerbach (Thèses sur Feuerbach) :     

On retrouve bien chez Marx comme chez Feuerbach la notion d’« être objectif » mais :           
Pour Marx : cela veut dire que les hommes sont ceux qui se connaissent en tant qu’êtres objectifs, c’est-à-dire en tant que parties du tout objectif de la nature. La conscience, ou ce que « les philosophes » appellent la conscience, c’est pour Marx la connaissance de soi comme objet – ce qui ne veut pas dire se prendre soi-même pour objet, mais se connaître et se comprendre en tant qu’être objectif inscrit dans le tout de la nature, et donc aussi se reconnaître comme dépendant d’autres êtres également objectifs.  

Feuerbach quant à lui ne fait que réformer le point de vue de la philosophie de la conscience, notamment en posant que la conscience de soi possède la même forme que la conscience d’objet. Il affirme bien, contre Hegel, qu’il n’y a de conscience de soi possible que dans l’objet et qu’en niant son objet essentiel, la conscience se nie tout aussi bien elle-même. Ce qui signifie qu’il n’y a pas de conscience immédiate de soi possible, que toute conscience de soi est seconde, en ce qu’elle passe ou transite d’abord par la conscience de soi comme objet ou sous une forme objective. Néanmoins, il s’agit bien ensuite de reprendre en soi ce qu’on a tout d’abord mis de soi dans l’objet : par exemple, il s’agit bien, pour sortir de la religion et de l’aliénation religieuse, que l’homme se réapproprie tous les prédicats humains qu’il devait d’abord réaliser et objectiver en Dieu pour en prendre ensuite conscience comme étant les siens propres.           

Bref, si, chez Feuerbach, il ne s’agit plus, comme chez Hegel, de nier l’objectivité elle-même, il s’agit néanmoins bel et bien de dépouiller un contenu de la forme objective qu’il était inévitable qu’il prenne d’abord. La différence entre Hegel et Feuerbach est finalement la suivante : tandis que Feuerbach se scandalise de l’objectivité aliénée, Hegel se scandalise de l’objectivité en tant que telle.         

De l’aliénation :       
Pour Marx, contre Hegel et Feuerbach, rien n’atteste donc plus clairement l’aliénation des hommes, que la conception qu’ils ont d’eux-mêmes en tant que sujets conscients d’eux-mêmes, c’est-à-dire en tant qu’êtres par essence ou par nature distincts de l’objectivité, ou encore, pour le dire en termes spinozistes, la conception qu’ils ont d’eux-mêmes comme d’un « empire dans un empire ». Marx explique clairement que c’est uniquement par l’effet d’une procédure d’abstraction, c’est-à-dire d’isolement de soi hors du tout, que les hommes peuvent se concevoir comme des sujets essentiellement caractérisés par la conscience de soi, celle-ci étant elle-même comprise comme un trait qui distingue et sépare les hommes de tout autre être.

Les hommes sont des êtres naturels caractérisés non pas d’abord par leur capacité à former un savoir des essences, à commencer par la leur, mais par leur capacité à former une connaissance des causes, une connaissance des choses par leurs causes, étant entendu qu’une telle connaissance ne se forme que de manière immanente au déploiement de l’activité productive et vitale dont les hommes sont eux-mêmes les causes. Ne pas seulement être sa propre activité, mais l’avoir, c’est-à-dire la connaître à partir de ses causes, voilà qui n’isole pas les hommes du reste de l’objectivité, mais au contraire fait d’eux des êtres plus objectifs que tous les autres, justement parce qu’ils sont capables d’une connaissance des causes par lesquelles ils sont agis en tant que partie du tout.

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