L’AMITIÉ VAUT-ELLE MIEUX QUE L’AMOUR ?
Il n’est pas
aisé de tracer une ligne de démarcation entre l’amitié et l’amour. Ce n’est là
qu’une difficulté du sujet parmi beaucoup d’autres. Mais l’on peut cependant
trouver quelque intérêt à tenter malgré tout un effort d’analyse. L’amitié est
une valeur tellement reconnue, tellement admise tout au long de l’histoire des
hommes et des femmes qu’il n’est en effet guère nécessaire d’en faire l’éloge,
ni même de démontrer qu’elle en est une. Mais quel est le contenu de cette
valeur ? L’amitié est assez généralement vécue comme un lieu non passionnel,
dépourvu d’ambiguïté parce que non sexualisé, contrairement aux rapports
amoureux. En apparence la relation amicale serait libre et volontaire. On
choisit ses amis et le lien ainsi créé, apparaitrait alors comme l’effet de ce
choix, ceci en connaissance de cause !
Quand n’est-il
de l’amour considéré comme le plus grand des sentiments ? Trop souvent ne
nous amène-t-il pas à nous surpasser ou à la dépression ? Ceci dit quand
il se présente, il est souvent le révélateur de l’individu qui sommeillait
jusqu’alors en nous. Savons-nous vraiment ce qu’est l’amour ? Serait-il
d’abord tourné vers soi pour répondre à la peur du manque ? Mais au fait
de quel amour parle-t-on et pour quel objet ? On le dit multiple, on peut
aimer l’argent ou le pouvoir mais aussi ses amis, cet homme ou cette femme dont
on est amoureux mais aussi ses enfants, ses parents voir n’importe qui :
celui qui est là ou pas, celui qu’on appelle son prochain. On peut aussi aimer
Dieu, si l’on y croit. Et aussi s’aimer soi si l’on croit un peu en soi, c’est
l’amour propre ou amour de soi disent certains, consistant en un respect de
soi-même comme un être digne d’être aimé et d’aimer car peut-on aimer l’autre
si l’on ne s’aime pas soi-même ?
L’unicité du mot
amour pour autant d’objets différents peut être souvent source de confusions,
d’autant que le désir s’en mêle presque toujours et c’est alors l’équivoque du
mot amour qui occupe le terrain de notre quotidien. Ne nous racontons pas
d’histoires, s’il vous plait, pour faire semblant d’aimer autre chose que
nous-mêmes. Et que dire de l’amour de la Vérité ? En sommes nous capables.
Bref il faudrait
des mots différents pour des amours différents : tendresse, amitié,
passion, attachement, sympathie, adoration, charité, concupiscence.
Tout cela reste
cependant bien embarrassant pour exprimer avec objectivité ce que nous pouvons
ressentir à un instant donné ! Embarras que n’avaient pas les philosophes
grecs et leurs contemporains qui plus synthétiques ou plus simplement lucides
se servaient principalement de trois mots : éros, philia et agapè.
Eros c’est le manque, la passion amoureuse souvent éphémère. Comment ne pas
aimer ce qui nous manque ? Philia traduisait ordinairement l’amitié, cette
bienveillance joyeuse, ce souci de l’autre ‘parce
que c’était lui et parce que c’était moi’ disait Montaigne parlant de son
ami La Boetie. Agapè enfin évoque l’amour du prochain, de celui qui ne nous
manque ni ne nous fait du bien. Au-delà de la charité ne s’agirait-il pas
plutôt de redonner aux hommes l’ambition d’une amitié universelle libérée de
l’égoïsme. L’amour pourrait-il avoir une dimension éthique bien moins
individuelle qu’il n’y parait ?
Si les
philosophes ont été très prolifiques au sujet de l’amitié et de l’amour, il en
est de même pour les artistes, peintres, auteurs, romanciers. Nombreuses sont
les œuvres qui nous sont données à découvrir, à questionner. Mais encore, les
scientifiques ont étudié ce phénomène étrange qu’est l’amour, qui nous pousse parfois aux extrêmes. Les
chercheurs ont étudié les réactions cérébrales durant l’état amoureux, les
psychologues aussi se sont mêlés d’étudier l’amour enfin les sociologues ont
mis en avant l’importance du contexte socioculturel dans les liens entre amis
et entre amants.
L’amitié
vaut-elle mieux que l’amour ?
Pour autant,
qu’on ne se dépêche pas trop, entre les trois mots éros, philia, agapé de
choisir, de vouloir choisir, s’il faut les questionner une nouvelle fois, c’est
pour peut être mieux comprendre qu’ils sont tous les trois liés, tous les trois
inscrits dans un même processus, celui de mieux vivre sinon de survivre.
Schopenhauer
n’a-t-il pas écrit « que l’amour est un piège tendu à l’individu pour perpétuer l’espèce ».
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