dimanche 12 mai 2013

Sujet du Mercredi 15 Mai : Comment passer d'une société des porteurs de cerveau à un troupeau de consommateurs ?



COMMENT  PASSER  D’UNE  SOCIETE  DE  PORTEURS  DE  CERVEAU  A  UN  TROUPEAU  DE  CONSOMMATEURS ?
Et réciproquement.
                « Je n’admets pas d’avoir pu être salopé vivant pendant toute mon existence; et cela    uniquement à cause du fait que c’est moi qui étais dieu, véritablement dieu. » Antonin Artaud, Œuvres, 1947.

Etrange constatation qui interloque et fait s’interroger.

Artaud reconnaissait avoir été salopé vivant par ses créateurs et maîtres. Ceux-là qui étaient ses dieux (et sont peut-être aussi les nôtres). Et cela d’autant plus qu’ils restent invisibles. Ils façonnent le monde sans qu’on puisse les nommer! Ils induisent la perception que nous avons du monde et par là déterminent notre esprit et notre psychisme. Restant cachés, donc inconnus, ils créent l’illusion que les produits de leurs choix - constituant une vaste entité monde ainsi remodelé - sont nos choix multiples par l’exercice de notre pure liberté. (Ridicule !) Et qu’ainsi chacun peut aisément se convaincre d’être un petit dieu. Et même d’être Dieu lui-même, chacun de son côté. D’être en fait notre propre transcendance immanente. En somme l’alpha et l’oméga. Collectivement, cela constitue un troupeau de petits dieux asymptotiquement égoïstes, tous pareils entre eux.

Mais aujourd’hui, comment procèdent les maîtres cachés ? Rien de tel que d’exalter les instincts puis les émotions parce que, fruits de désirs et conduisant aux plaisirs, elles arasent la volonté de « penser de notre propre chef ». Devenir son propre chef et maître, c’est ce que précisément les maîtres veulent éviter. Sauf pour eux-mêmes. Mais comment procèdent-ils aujourd’hui ? Par la consommation « libre » de plaisirs toujours renouvelés qui ainsi ne satisfont jamais pleinement les désirs. En bref, la consommation « libre » par les sens d’émotions d’images, de sons, de senteurs nouvelles, plaisirs tactiles, addictions diverses. Et au bout du chemin, une emprise mentale et psychique par la solitude au sein du troupeau glacé d’égos en tout pareils. Le consumérisme libéral consume les « Lumières » plus sûrement que celles-ci n’éclairent le sujet pensant. Cela  fait, le consumérisme consume à son tour les consommateurs qu’il a créés quand les objets de consommation dévorent les sujets-objets qu’il a formatés.

Regardant, écoutant et, en fait,  actant les moyens audiovisuels (radio, ciné, télé, Internet, réseaux sociaux virtuels, moteurs de recherche, Google Books), nous croyons faire nos libres choix comme des dieux libres dans un monde libre. En fait, c’est nous qui sommes regardés par l’œil de Big Brother et enregistrés dans ses « boîtes noires » façonnées d’algorithmes qui traitent nos données personnelles et collectives pour nous restituer ce que nous « regardons, pensons, parlons et devenons des pieds à la tête» sous la forme de produits de marché matériels et virtuels qui nous déterminent de fond en comble. Petits dieux illusoires, nous ne sommes que les créatures à chaque instant d’un Autre, invisible, propageant un nouveau dogme, celui du néo-libéralisme. Aujourd’hui, le Marché est ce dieu nouveau. Nous dirons avec le Marché que « le dieu nouveau est arrivé », comme un produit marketing type Beaujolais. Nous dirons que nous le savions, ou pas… , bien qu’encore assez confusément.

Pour tenter de percer les arcanes de ce monde, inventé par l’Autre, de l’être-ensemble (nos sociétés, cultures, civilisations) et de l’être-soi (nos personnalités) tous deux aliénés d’une nouvelle façon, nous pouvons convoquer toutes les ressources.  Celles :

-  de l’anthropologue (une nouvelle mutation humaine après celle du paléo- au néolithique ?),
-   de l’historien (le rapport à la religion ?),
-  du grammairien (les nouveaux usages langagiers (orwelliens) dans les instances d’en haut et dans la population : « Casse-toi, pauv’ con ! », « Yo, yo ! » et autres slam-rapp ?),
-  de l’économiste (un changement décisif dans le mode de régulation du capitalisme ?),
-  du sociologue (les institutions classiques, la famille et l’école, ne socialisent plus ?),
-  du politologue (changement radical de faire de la politique ?),
-  du théoricien de l’art (l’art contemporain égaré en futilités égotiques diverses ?),
-  et même du psychanalyste (une nouvelle économie psychique passée des névroses aux psychoses, de l’individu rigide et « renfrogné » au laxiste schizoïde « fluidifié », hédoniste et apparemment « sympa » bien que férocement égotique et égoïste ?).
Et ainsi de suite…

Mais n’est-ce pas le rôle du philosophe de réunir ces apports disjoints en un seul ou en divers ensembles cohérents qu’il doit à nouveaux frais sans cesse tester pour les infirmer ou les confirmer face au réel dans sa quête de connaissances authentiques ? Ensemble plongerons-nous ce soir dans ce bain philosophique roboratif à partir de ces éléments épars pour les conjuguer entre eux ? En effet, si nous faisons de la philosophie, n’est-ce pas justement pour disposer d’un autre lieu où tout puisse, avec méthode et raison, se discuter en même temps ?

Mais il est une autre raison pour laquelle le philosophe que nous sommes tous se trouve ici vivement convoqué. C’est précisément parce que ces changements affectent ce sur quoi repose la philosophie et sans quoi elle n’existerait pas : le logos et la cité. Cela même que les Grecs antiques avaient su faire émerger du réel en y instituant une démocratie égalitaire et directe.

La question change alors radicalement de nature et devient la suivante :  « Dans quelle mesure les transformations actuelles nous interdisent-elles toujours plus la possibilité de penser de son propre chef et collectivement 1) parce que les « Lumières » du sujet pensant autonome n’ont, d’entrée de jeu, plus aujourd’hui grand droit de cité dans nos sociétés, et 2) qu’en outre les instincts, hormones, émotions  et autres vagissements pré-langagiers de la douce ou violente musique du nouveau-né sont promus comme première voire seule valeur ? ». Alors que devenir un être humain distinct de la bête, c’est surimposer à notre élément « de nature » animal tout ce qui fait la culture ...

Ainsi, pour philosopher sur ce qui arrive dans le logos et la cité afin de le nommer, ne nous faut-il pas commencer par reconnaître que chacun des plans en question renvoie à l’une des dimensions constitutives de la culture correspondant au patrimoine social, politique, symbolique, artistique nous appartenant en commun et qui forme ce qu’on appelle une civilisation ? 

La civilisation, le capitalisme et leur sens respectifs et conjugués deviennent la question dont nous allons essayer ensemble de « disputer ».

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