Ce texte signe la fin d'une expèrience de 28 années
de pratique pubique de la philosophie à Montpellier.
Il sera le dernier que vous lirez sur ce Blog.
Lettre ouverte des animateurs du café philosophique de
Montpellier.
Madame, Monsieur,
Depuis 1997, 28 ans déjà, le café philo de Montpellier organise des rencontres
toutes les semaines, sans interruptions. En gros cela fait 1500 sujets, 1500
débats, plus ou moins philosophiques, mais toujours empreints de respect mutuel, de courtoisie.
Cet été 2025 le groupe des animateurs s’est réuni pour faire un bilan de ces deux
dernières années et plus particulièrement de ce premier semestre 2025.
Nous avons été unanimes pour constater :
qu’en 2024 par exemple, TOUS les sujets proposés l’ont été par une seule et
même personne (par ailleurs membre du collectif des animateurs !).
Or, depuis des années il y avait toujours 3 à 4 propositions de sujets dont le
choix était soumis aux voix des participants.
Le café philo n’a jamais été un lieu où l’on vient « consommer » des
sujets venus « d’en haut ». C’est un lieu participatif obéissant à
des règles démocratiques fondées sur la participation le plus large possible
des intervenants et surtout sur le principe premier de toute discussion à
vocation philosophique : la démonstration.
L’opinion n’est pas et ne sera jamais productrice de pensées
et d’actions nouvelles.
Pour ce premier semestre 2025, le constat est assez accablant. Un peu plus de
sujets provenant des intervenants (très peu), mais des hors-sujet fréquents et
des « discussions » avec très peu de références aux auteurs de la
philosophie et parfois des propos violents, des interpellations déplacées, des
tirades plus adaptées à un café littéraire qu’à l’exercice de la pratique philosophique.
Très clairement depuis au moins plus d’un an et demi le café philo n’est plus
ce que nous avons voulu qu’il soit. Un lieu d’échanges, de promotion des
intervenants, de réflexion, d’apprentissage de l’œuvre des auteurs de la
philosophie.
Nous ne sommes pas là pour maintenir en vie une sorte de « café du
commerce ». Même avec une étiquette « philosophique », un café
du commerce reste un café du commerce.
En conséquence, le café philosophique de Montpellier est dissous.
Pas de reprise
le 10 septembre 2025 prochaine, ni après. Le mail du café philo est supprimé.
Un grand merci à toutes celles et ceux qui ont fait vivre feu le café
philosophique de Montpellier.
Bien entendu, pour celles et ceux qui veulent pratiquer la philosophie nous proposerons
des rencontres mais suivant les modalités ci-après :
- Une association a été créée.
- Un règlement intérieur a été établi pour donner un cadre aux discussions à venir.
- Les sujets sont choisis par le bureau de l’association.
Ces sujets seront strictement consacrés à l’étude
philosophique de thèmes à partir de l’étude du corpus philosophique. Ils seront
traités sur des périodes longues de plusieurs semaines consacrées au même
thème.
- Le prochain thème retenu (jusqu'à fin décembre, a priori) est :
La question de la nature dans les œuvres des philosophes d’Anaximandre à Aristote (Anaximandre, Démocrite, Epicure, Héraclite, Aristote).
Si des personnes sont intéressées, nous rappelons qu’elles devront s’engager à respecter le règlement intérieur de nos rencontres. Elles peuvent nous contacter ici : cerphi.praxis@gmail.com
Vous trouverez ci-après deux textes qui ont été décisifs pour valider le choix que nous avons fait.
1 – La correspondance d’un intervenant ( ex co-animateur)..
2 – Un texte d’O. Brenifier, qui fut dans les années 1990 un des fondateurs avec M. Sautet des cafés philo en France et dans le monde. Ce texte traduit, on ne peut mieux, l’analyse générale de l’évolution des rapports de la société avec la parole et la pensée.
TEXTE 1 :
« Je pourrais écrire 500 lignes sur le sujet, mais faisons court.
Manque d’humilité. L’humilité n'est pas un résidu du judéo christianisme, mais simplement la connaissance de ses propres limites.
Café philo : très peu d'interventions qui témoignent d'un doute ou ignorance salutaire...je n'ai jamais entendu" je n'ai pas compris" ou "pourriez-vous m’expliquer ?" sans intention maligne. Si ce n'est celle de chercher à déstabiliser l'orateur...
Surtout cachons notre ignorance et faisons assaut d'une" culture" puisée dans Wikipédia...
Ignorance du lieu où l'on se trouve : on ne fait pas une déclamation théâtrale, qui quelquefois ne manquait pas d'intérêt, en ce lieu....
On mesure ses propos : on ne traite pas Spinoza "enculeur de mouches"..... On peut détester Mozart ou Michel ange, mais ils resteront Mozart et Michel ange.
Scène navrante : l'un des participants avançant d'un ton menaçant sur l'intervenant...Soudaine irruption des petites frappes du quartier de ma jeunesse. Nous étions à quelques secondes du" sors dans la rue, si tu es un homme !"...
Sauf que les petites frappes de ma jeunesse étaient dans leur monde et leur territoire...Mais là, dans ce lieu de culture et d'intelligence, supposé, ce fut navrant et régressif..."
Jp Aranega
TEXTE 2
DÉCALAGE
"En général, toute discussion m'intéresse, même lorsqu'elles paraissent banales, jusqu’à un certain point, évidemment. Elles me donnent du grain à moudre pour la réflexion et l'écriture.
Or bien souvent, les personnes avec qui je parle interrompent la discussion ou partent, en me disant que je suis ennuyeux. Cela me paraît bizarre, car bien que je sois exigeant dans le dialogue, il semble que je trouve plus d'intérêt que mes interlocuteurs dans notre discussion. Aussi me suis-je demandé pourquoi ces derniers trouvent peu d'intérêt à discuter avec moi, quand bien même j'apporte en général plus de contenu qu'ils ne le font, et que je trouve toujours de la matière dans nos échanges
Sans doute il se trouve là un décalage fondamental entre deux manières d’aborder le dialogue : l’une comme un travail de pensée, l’autre comme un échange social ou affectif.
Si je suis ennuyeux, c’est sans doute que je ne joue pas le jeu que mes interlocuteurs veulent jouer ou croient jouer. Pour beaucoup, parler est un moment de détente, de connivence, de légèreté. Le but n’est pas de penser, mais de se sentir bien, de se reconnaître, de partager des impressions, d’échanger, tout simplement. C’est une activité ludique ou affective, ou simplement un rituel social, où la pensée ne doit pas trop peser.
Lorsqu’un interlocuteur commence à analyser, creuser, reformuler, problématiser, cela est perçu comme une rupture de contrat implicite : la parole devient laborieuse, sérieuse, tendue. Elle oblige à réfléchir, à justifier, à remettre en question, ce que beaucoup fuient. Je viens au dialogue pour penser, ils viennent pour se détendre. C’est l’opposition entre dialogue et conversation, entre travail et détente.
Ma capacité à trouver de l’intérêt là où les autres n’en voient pas devient elle-même une source de malaise. Car si je m’attarde sur ce qu’ils disent, je leur renvoie une importance qu’ils n’assument pas, qu’ils ne souhaitent pas. Je transforme les banalités en objets d’examen, ce qui met à nu mes interlocuteurs ou les oblige à se situer. Je ne laisse pas les mots s’envoler, je les attrape et les décortique. Je recherche l’être à travers les paroles, mais cela oblige autrui à un face à face déplaisant, ou insupportable. Ils ne veulent pas être pris au sérieux, car cela implique une responsabilité de penser, une obligation d’exister.
Étrangement, du simple fait d’être intéressé, je deviens inquiétant. Je prétends apporter contenu, analyse, rigueur ou réflexion. Mais ce faisant, je dépasse ce que l’autre est prêt à recevoir, plus que ce qu’il ne demande. Il ne cherche pas de nourriture intellectuelle, il ne veut pas s’embêter. Il veut simplement partager une émotion, un souvenir, une opinion, une anecdote, il veut s’exprimer, voire il veut se montrer.
Ce que j’offre est donc vécu comme un excès. Trop intense, trop sérieux, trop profond. Sans le vouloir, je déséquilibre l’échange, et au lieu d’être perçu comme « généreux », je suis perçu comme envahissant. On m’accusera même de pontifier, d’agresser.
Creuser une idée, c’est mettre à l’épreuve celui qui l’a énoncée. En retour, l’autre peut se sentir fragilisé, mis en défaut, confronté à sa propre confusion.
Ce qui, pour moi, est matière à jubilation intellectuelle, est pour lui source de malaise narcissique.
Ce n’est pas l’idée qui gêne, c’est la mise en jeu de soi qu’elle implique. Le refus de penser est en fait une protection du moi. Le reproche d’ennui dissimule souvent un rejet de l’effort, un refus de la tension du sens. Je deviens ennuyeux non parce que je manque de contenu, mais parce que j’impose de fait une densité d’attention que l’autre ne veut ou ne peut pas soutenir.
Il dira même que ce n’est pas possible de discuter avec moi, car il se sent oppressé. En fait, être jugé ennuyeux, c’est parfois être trop vivant, comme un enfant hyperactif qui dérange son entourage.
Lorsque j’écoute attentivement et je relance, j’insiste. Lorsque j’approfondis, j’alourdis et je complique. Lorsque j’interprète et je donne du contenu, j’étouffe.
Je veux penser, ils veulent parler. Je prends leurs paroles au sérieux, ils se sentent piégés.
Le dialogue est pour moi une épreuve de vérité,
le leur est souvent un simple jeu d’affirmation de soi, une « liberté de parole ».
Je cherche de la matière, ils cherchent du confort, d’où le malaise et
l’incompréhension. Ils en concluent ainsi que ce n’est pas un dialogue, qu’il
n’est pas possible de discuter avec moi.
O. Brenifier