lundi 10 juillet 2017

Sujet du Merc. 12/07/2017 : Suffit-il d’observer pour connaître?



Suffit-il d’observer pour connaître ?  (Sujet Bac 2017)

Aristote disait qu’il faut « sauver les phénomènes ». Reprochant à Platon de se perdre dans le ciel des Idées, il est le fervent défenseur de la méthode inductive en science. Il s’agit de partir du particulier pour s’élever à l’universel. C’est par exemple l’observation attentive des parties des animaux qui permet de les classer. 

Ainsi Aristote est-il le premier à distinguer les vertébrés et les invertébrés et à ne pas commettre l’erreur de regrouper ensemble la mouette et la mouche parce qu’elles volent toutes les deux. L’observation est d’autant plus nécessaire qu’elle autorise les manipulations. Il ne s’agit pas de subir le phénomène, mais de l’interroger en cherchant par exemple sous son apparence première d’autres données observables. Ainsi Foucault dans Naissance de la clinique montre-t-il que le médecin Bichat en ouvrant tel cadavre juste après la mort du patient a pu voir comment les tissus se nécrosent afin de mieux comprendre le fonctionnement de la maladie mortelle. L’histologie (science des tissus) naît de ce sens aigu de l’observation.

La méthode expérimentale de Claude Bernard montre la fertilité de la simple observation lorsqu’on s’interdit toute vivisection. Il suffit d’observer les « entrées » et les « sorties » pour déduire par exemple la fonction glycogénique du foie puisque le corps en produit (on retrouve du glucose dans les urines) quand bien même on ne lui en donne  pas dans ses aliments. Bien conduite, l’expérimentation confirme que l’observation est déterminante en science.

Mais le défaut de l’observation, c’est que, par définition, elle passe d’abord par les sens. Or les sens ne sont pas une source fiable de connaissance. Pour fonder la science, il semble ainsi requis de s’affranchir de la médiation de ce qui relève de la perception. Descartes, au début de la deuxième méditation métaphysique dit bien que pour atteindre une première certitude, celle du « je pense, donc je suis » (cogito), il a dû fermer ses yeux et boucher ses oreilles. L’introspection se substitue alors à l’observation.  

Il semblerait donc que le travail théorique peut se passer de l’observation. Galilée est certes un grand observateur des étoiles, mais c’est par le simple calcul mathématique qu’il prouve que l’astre vu dans le ciel en 1572 est une nova très éloignée de la terre et donc que le système d’Aristote-Ptolémée qui soutient que seul le monde sublunaire autorise de telles apparitions est faux. Si « le livre de la nature est écrit en signes géométriques » (Galilée), c’est aux mathématiques de nous donner la clé du réel et non à l’observation directe des phénomènes.

Que l’observation puisse être paradoxalement un obstacle à la connaissance, c’est encore ce que dit Claude Levi-Strauss qui « hait les voyages et les explorateurs » (Tristes Tropiques). Adepte de l’anthropologie « en chambre », il estime que les travaux les plus approfondis et les plus fertiles pour comprendre la structure des groupes humains demandent de se couper du monde.

Bien sûr, il ne s’agit pas de renier le phénomène, mais de ne pas le survaloriser dans le travail de théorisation. La méthode scientifique, inaugurée par Platon dans le Timée, se veut hypothético-déductive : l’observation sert à confirmer ou à invalider une idée qui est d’abord et avant tout conçue par la raison.        

Quand bien même on accorderait que les phénomènes sont premiers, leur valeur scientifique ne peut être que celle d’une cause occasionnelle. L’atomisme épicurien prendrait ainsi sa source, si l’on en croit Lucrèce, dans l’observation d’un tourbillon de poussière dans un rayon de lumière. Mais l’atome étant, par définition, inobservable (du moins à l’œil nu) toute la théorie qui en découle ne peut être que spéculative.

L’observation reste donc le point de départ (la suggestion) et le point d’arrivée (la vérification) de la connaissance. Mais sa partie centrale reste théorique. Cette conviction est celle de Bachelard qui défend l’idée d’un rationalisme appliqué tout en remarquant que les progrès les plus récents des sciences reposent sur des théories qui défient l’observation, comme c’est le cas par exemple des hypothèses mathématiques sur les espaces à N dimensions.  

Nicolas Tenaillon  (Philomag)

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